ASPIRINE : recommandations commentées de l'USPSTF 2022

ASPIRINE : recommandations commentées de l'USPSTF 2022

iconographie aspirine

“L'avenir a le don d'arriver sans prévenir.” Georges F Will

“La science des projets consiste à prévenir les difficultés de l'exécution.” Vauvenargues



Aspirin Use to Prevent Cardiovascular Disease US Preventive Services Task Force Recommendation Statement : 
l'article

La décision d'initier l'utilisation d'aspirine à faible dose pour la prévention primaire des MCV chez les adultes âgés de 40 à 59 ans présentant un risque de MCV sur 10 ans de 10 % ou plus doit être individuelle. Les preuves indiquent que le bénéfice net de l'utilisation de l'aspirine dans ce groupe est faible. Les personnes qui ne présentent pas un risque accru de saignement et qui sont disposées à prendre quotidiennement de l'aspirine à faible dose sont plus susceptibles d'en bénéficier. (Recommandation C) L'USPSTF recommande de ne pas commencer l'utilisation d'aspirine à faible dose pour la prévention primaire des maladies cardiovasculaires chez les adultes de 60 ans ou plus. (recommandation D)

USPP2

USPP1
'US Preventive Services Task Force (USPSTF) conclut avec une certitude modérée que l'utilisation de l'aspirine pour la prévention primaire des événements cardiovasculaires chez les adultes âgés de 40 à 59 ans qui ont un risque cardiovasculaire de 10 % ou plus sur 10 ans présente un petit bénéfice net .

L'USPSTF conclut avec une certitude modérée que l'initiation de l'utilisation de l'aspirine pour la prévention primaire des événements cardiovasculaires chez les adultes de 60 ans ou plus n'a aucun avantage net .

Les directives cliniques ont relégué cet avantage individualisé à l'évaluation des risques pour les professionnels de la santé et leur jugement clinique, sans fournir beaucoup de conseils formels et avec des outils de soutien limités pour ces décisions complexes dans le cadre clinique occupé. Cependant, l'utilisation inappropriée de l'aspirine pour la prévention primaire est courante dans la pratique clinique, soulignant le besoin important d'améliorer les outils de prise de décision fondés sur des données probantes concernant l'utilisation de l'aspirine. 

Pour la prévention primaire de l'ASCVD, les décisions concernant l'utilisation de l'aspirine doivent être hautement individualisées, en équilibrant le rapport bénéfice/risque et les préférences des patients concernant l'utilisation à long terme prévue.

SYNTHESE PATIENT 

USPP3
Demain 

m zed220005f1 1650297839.68864
Cadre conceptuel pour cibler la prévention primaire des maladies cardiovasculaires avec l'aspirine en utilisant le phénotype plaquettaire à l'ère de la médecine de précision

L'étude future de l'aspirine pour la prévention des maladies cardiovasculaires nécessitera de nouvelles conceptions. Au lieu d'identifier le risque global de MCV d'un individu à l'aide de facteurs de risque traditionnels (p. ex. âge, hypertension, diabète, hyperlipidémie), le phénotype plaquettaire de chaque patient pourrait être pris en compte pour l'initiation d'un traitement ciblant les plaquettes, y compris l'aspirine.

Étant donné que les personnes présentant une activité plaquettaire accrue présentent un risque cardiovasculaire plus élevé et que l'aspirine diminue l'activité plaquettaire, la mesure de l'activité plaquettaire ou du transcriptome plaquettaire chez les personnes sans MCV peut aider à identifier un groupe à haut risque qui bénéficierait d'un traitement préventif à l'aspirine. De plus, le risque de saignement est augmenté chez les personnes ayant une faible activité plaquettaire. Ainsi, une compréhension du phénotype plaquettaire des patients peut augmenter le potentiel de bénéfice du traitement antiplaquettaire, tout en réduisant le potentiel de préjudice. La figure met en évidence un cadre conceptuel proposé pour savoir comment étudier le bénéfice par rapport au risque de l'aspirine chez les individus en fonction de leur phénotype plaquettaire de base. Des essais bien conçus pourraient fournir des preuves définitives pour tester cette approche.

Francois Becker
Commentaires François Becker 08/05/22
Chamonix
MD, PhD, HDR, PU Médecine Vasculaire

Aspirin Use to Prevent Cardiovascular Disease. US Preventive Services Task Force Recommendation Statement

JAMA. 2022;327(16):1577-1584.




La prévention cardio-vasculaire (CV) est relativement récente. L’étude de Framingham débute en 1948 ; en 1977, dans un éditorial du N Engl J Med (1), un de ses co-directeurs, G.V. Mann, était encore très sceptique sur le rôle du cholestérol …. Les premières études sur l’aspirine en prévention CV datent de 1978 (prévention secondaire des AVC, 2) et 1980 (prévention de la récidive d’événement coronaire après pontage coronaire, 3). Jusqu’au début des années 1990, l’aspirine était quasi le seul médicament utilisé en prévention CV comme le montre l’histoire des études sur les sténoses carotides.

L’USPSTF (U.S. Preventive Services Task Force) a publié ses premières recommandations en 1989, la prescription d’aspirine en faisait partie ; ces recommandations sur l’aspirine ont fluctué, pendulé, avec la progression de la prévention CV primaire (pertinence, moyens, et diffusion) et la qualité des études à disposition comme le rappelle Brett dans son éditorial (4)

  • En 1989, l’USPSTF recommandait de « considérer » la prescription d'aspirine en prévention CV primaire chez les hommes ≥ 40 ans avec des facteurs de risque CV (FRcv) et un faible risque de saignement. Cette recommandation reposait sur 2 essais randomisés réalisés chez des médecins de sexe masculin uniquement.
  • En 1996, l'USPSTF concluait d’une nouvelle analyse que les taux de iatrogénie et de bénéfices étaient trop proches pour justifier une recommandation générale.
  • En 2002, suite à la publication de 3 essais avec des populations plus représentatives, l’USPSTF a fortement recommandé que les cliniciens discutent de la prévention CV primaire par l'aspirine avec les personnes à risque accru de maladie coronaire et a suggéré que les décisions prennent en compte des calculateurs de risque CV et des tableaux bénéfices/risques (NB, « fortement recommandé » ne faisait référence qu'à des discussions avec les patients et non à l'utilisation systématique d'aspirine).
  • En 2009, l'USPSTF recommandait fortement d'encourager la prophylaxie par l'aspirine pour un large éventail d'adultes (hommes âgés de 45 à 79 ans ; femmes âgées de 55 à 79 ans) en fonction du risque estimé à 10 ans d'infarctus du myocarde, d'accident vasculaire cérébral , et de saignements gastro-intestinaux.
  • En 2016, l'USPSTF réduisait la tranche d'âge des candidats éligibles à la prophylaxie par l'aspirine et recommandait que l'aspirine ne soit envisagée que pour ceux dont le risque CV à 10 ans dépassait 10%, dont l'espérance de vie dépassait 10 ans et qui n'étaient pas à risque accru de saignement. Les recommandations 2016 mentionnaient également, pour la première fois, la prévention du cancer colorectal comme un avantage potentiel.

En 2022, le retour de balancier va un peu plus loin concernant la place de l'aspirine en prévention CV primaire, la ligne directrice ne recommande pas l'aspirine préventive de routine pour quiconque. Chez les sujets ≥ 60 ans il est vivement déconseillé de commencer une prévention CV primaire par l’aspirine (recommandation de grade D, recommandation « against » « décourager l’usage »). Chez les sujets 40-59 ans avec un risque CV à 10 ans estimé ≥ 10% il est conseillé aux cliniciens et aux patients de discuter l'instauration d'une prophylaxie à l'aspirine sur des bases individuelles (recommandation de grade C, « offrir ou fournir le service en fonction du jugement du clinicien et des préférences des patients. Il existe une certitude modérée d’un bénéfice net faible »).

NB, le bénéfice en prévention du cancer colorectal est également remis en question.

Ce qui a changé la donne c’est d’abord la revue de 11 essais randomisés de l’aspirine à faible dose (75-100 mg/j) en prévention primaire montrant une réduction de 10% des événements CV mais sans réduction de la mortalité et avec une augmentation de 44% des saignements majeurs sur une durée de 4 à 10 ans.

C’est plus encore la publication en 2018 de 3 grands essais randomisés contrôlés contre placebo de l’aspirine en prévention CV primaire portant sur 47.000 patients suivis sur 5 à 7 ans

  • ARRIVE incluait des sujets ≥ 55 ans avec multiples FRcv (sauf diabète) et un risque CV estimé à 17% à 10 ans : pas de bénéfice de l’aspirine, légère augmentation significative des saignements digestifs .
  • ASPREE incluait des sujets ≥ 65 ans avec ou sans FRcv : pas de bénéfice CV de l’aspirine, légère augmentation de la mortalité, augmentation des saignements majeurs.
  • ASCEND incluait des patients diabétiques ≥ 40 ans : avec l’aspirine diminution des événements CV et augmentation des saignements majeurs à des taux identiques.

A noter que dans tous ces essais il était clairement observé un meilleur contrôle de la TA et des lipides, et une réduction du tabagisme par rapport aux précédents essais (dans ASPREE et ASCEND le taux de fumeurs actifs était inférieur à 10% …).

Ceci dit

  • Ces recommandations portent sur l’initiation de prévention CV primaire par l’aspirine, il n’est pas donné de directives pour les sujets qui sont déjà sous aspirine (il est seulement mentionné qu’il est raisonnable d’arrêter l’aspirine à 75 ans).
  • L’estimation du risque CV à 10 ans repose sur des scores, mais on ne précise pas quel score utilisé (certains surestiment le risque CV, scores américain et européen reposent sur des populations à risque CV différents plus élevé aux USA qu’en Europe, le diabète est omis dans certains scores car considéré comme facteur de haut risque CV à lui seul, …).
  • L’évaluation du risque CV est imparfaite, elle sera probablement prochainement complétée par des marqueurs biologiques (comme la mesure de l’activité plaquettaire) et des données d’imagerie (reste à définir lesquelles sont les plus pertinentes et les plus faciles à obtenir … à condition que l’on maitrise la suite, que cela n’induise pas des examens en cascade et des interventions non-validées sur des lésions asymptomatiques)
  • Mettre en avant le jugement du clinicien, tenir compte de l’avis du patient, c’est bien mais cela suppose que le clinicien prenne le temps d’évaluer le risque et de discuter avec le patient, entre le patient qui abrège d’un « c’est à vous de voir Docteur » et celui qui « a vu sur Internet que .. » ce n’est pas toujours facile !
  • La correction des facteurs de risque CV modifiables (Diabète, Dyslipidémie, HTA, Tabagisme, Sédentarité) reste la clef de la prévention CV primaire avec un rapport bénéfice-risque indiscutable … et cela aussi ça prend du temps et de l’énergie, le patient préfère souvent « avaler une pilule » que de faire l’effort de modifier son style de vie et de jeter son paquet de cigarettes.

Il n’est peut-être pas inutile de rappeler que le tabagisme est non seulement facteur de risque d’AVC ischémique mais aussi facteur de risque d’AVC hémorragique, que l’efficacité de l’aspirine chez le tabagique est discutée. Ainsi, l’aspirine chez le tabagique augmente le risque d’AVC hémorragique sans peut être diminué le risque d’accident ischémique.

Au total donc l’aspirine 75-100 mg/j. en prévention CV primaire se discute actuellement seulement chez les sujets de 40-60 ans à haut risque CV en complément du contrôle de facteurs de risque CV modifiables.

Une dernière remarque : le titre de l’article « Aspirin Use to Prevent Cardiovascular Disease US Preventive Services Task Force Recommendation Statement » ne précise pas de quelle prévention il va être question, primaire ou secondaire ?, c’est très regrettable.

Que l’aspirine soit discutée en prévention primaire est tout à fait normal au vu des dernières grandes études. Mais il n’est pas question pour l’instant de récuser l’aspirine en prévention secondaire.

La version préliminaire de ces recommandations USPSTF 2022 a été publiée pour commentaires du public en octobre 2021. Cependant, certains médias n'ont pas réussi à comprendre ou à signaler clairement la distinction entre la prévention primaire (que les nouvelles recommandations abordent) et la prévention secondaire (ce qu'elles ne font pas) avec confusion chez certains patients qui prenaient de l'aspirine de manière appropriée pour la prophylaxie secondaire d'infarctus du myocarde ou d’accident ischémique cérébral ou après pose de stent vasculaire (5).

Cela doit nous rappeler que l’efficacité de la prévention passe par un langage clair et précis, discuter avec le patient suppose que le patient comprenne le problème. « Ce que l’on conçoit bien s’énonce clairement et les mots pour le dire arrivent aisément » (Boileau)

  1. V. Mann. Diet-heart: end of an era. The New England Jounal of Medicine, 1977 : 297, 644-650
  2. The Canadian Cooperative Study Group. A rando- mized trial of aspirin and sulfinpyrazone in threatened stroke. N Engl J Med 1978 ; 299 : 53-9.
  3. Chesebro JH, Fuster V, Elveback LR, Clements IP, Smith HC, Holmes DR Jr, et al. Effect of dipyridamole and aspirin on late vein-graft patency after coronary bypass operations, N Engl J Med 1984 ; 310 : 209-14.
  4. Brett A.S. Should patients take Aspirin for primary cardiovascular prevention? Updated recommendations from the US Preventive Services Task Force. Editorial. JAMA 2002 Apr 26
  5. Lloyd-Jones D. USPSTF Report on Aspirin for Primary Prevention. Editorial. JAMA Cardiol 2002 Apr 26

F. Becker 08/05/2022


Merci François d'avoir éclairé notre boussole sur la prévention CV primaire par l'aspirine. Comme d'habitude des fondamentaux doivent être respectés avant de prescrire ou pas de l'aspirine dans contexte. La clinique, la motivation du patient, les respecst du contrôle des FDRCV, les traitements dèjà mis en place, l'activité physique etc. Rien de nouveau si ce n'est l'amplificatio
n pour chaque patient de ses mesures et prendre le temp)s de le faire. L'aspirine reste pour les patients le "couteau suisse" de la médecine au quotidien. L'asprine garde "ses effets magiques" auprès des patients.

Comme l'a souligné François que faut-il faire chez les patients qui prennent de l'aspirine en prévention primaire depsui un certain temps ? 

Que faut-il faire chez les diabétiques ? En 2019 l'ESC recommandait l'aspirine en prévention primaire chez les diabétiques à haut et très haut risque CV mais recommandations IIB.....rien de très certain....

J'ajouterai un point important  issu de la vraie vie  : ne par oublier 
pas qu'au milieu de ces controverses  il y a un patient qui ne comprend  pas la proposition d'arrêter l'aspirine que nous avons prescrit il y a  5 à 10  ans......et celui qui ne comprend pas qu'on ne lui prescrive pas d'aspirine, le médicament qui sauve la vie alors qu'il a des facteurs de risque CV.......