Elephant Man

Elephant Man

Article écrit par Romain Jacquet, Médecin Vasculaire, Chanteur, Auteur-Compositeur, Reims

"Je me dis parfois que si ma tête est si grosse, c’est parce qu’elle est pleine de rêves"      ( John Merrick ) – The Elephant Man –

John Merrick : "I am not an elephant ! I am not an animal ! I am a human being ! I am a man !" Réplqiue du film de David Lynch


La médecine à travers les arts : une maladie orpheline au cinéma, "Elephant Man" de David Lynch

La vie tragique de Joseph Merrick surnommé "l'homme éléphant" et porteur d'une anomalie génétique rare et incurable, responsable d'une difformité majeure de son visage et de la moitié de son corps a été magistralement illustrée et immortalisée au cinéma par le réalisateur David Lynch dans le film mythique "Elephant Man". Film  sorti en 1980 et dont on célèbre cette année les 40 ans d'existence avec notamment une version restaurée en 4 K et ultra définition, supervisée par le réalisateur lui-même.

Joseph Merrick (rebaptisé John dans le film) naît en 1862 dans l'Angleterre victorienne à Leicester et c'est un bébé normal jusqu'à l'âge de 21 mois où sa maman remarque à peine l'existence d'un bouton sur la commissure de sa lèvre, mais qui finira par enfler démesurément, avant que n'apparaissent d'importantes excroissances de chair particulièrement sur la moitié de son visage et la moitié de son corps, responsables d'une modification de ses téguments et de ses reliefs cutanés qui deviennent rugueux, pareils à la peau d'un éléphant, s'accompagnant par ailleurs d'une hypertrophie osseuse particulièrement au niveau de son front, mais aussi de ses membres sur la moitié du corps associée à une déformation de sa colonne vertébrale. La génétique n'en est encore qu'à ses balbutiements (Gregor Mendel publie en 1866 son article sur les lois la transmission des caractères héréditaires, quand Joseph n'a que 4 ans) et sa mère interprétera la métamorphose physique de son enfant comme la conséquence d'une très forte émotion subie pendant sa grossesse, lorsqu'elle fut renversée par l'éléphant d'un cirque de passage à Leicester, ce que Joseph retiendra comme l'interprétation de sa monstruosité tout au long de sa vie (les historiens ont confirmé qu'un éléphant s'était bien échappé d'un cirque à Leicester lorsque sa mère était enceinte de lui).

L'aggravation progressive de la maladie de Joseph conduit à une difformité majeure et sa vie bascule lorsqu'il perd sa mère d'une pneumonie à l'âge de 11 ans, ce qu'il signalera comme l'événement le plus tragique de sa vie. Son père régulièrement violent avec son fils, se remarie avec sa propriétaire et cette femme se montre très dure avec l'enfant qu'elle n'accepte pas et qui n'a d'autre solution que de quitter l'école à l'âge de 13 ans et d'aller vendre des objets dans la rue. Mais devant l'aggravation de cette monstruosité qui devient sienne, Joseph ne trouve pas d'autre recours que de s'exhiber dans des foires de monstres humains (nommés "freaks" en anglais) à Leicester tout d'abord, puis dans d’autres foires en Angleterre où pour quelques pennys on vient voir le phénomène désormais appelé "Elephant Man". Il s'installe dans une arrière-boutique à Londres dans le quartier mal famé de Whitechapel (qui sera bientôt le terrain d'action du tristement célèbre Jack l'éventreur), mais il doit quitter l'Angleterre en 1885, suite à une décision du gouvernement britannique d'interdire sur le sol anglais ces spectacles de monstres, trop choquants pour la société victorienne et il gagne alors le continent, vêtu d'une ample cape noire et le chef recouvert d'une toile de jute pour parcourir les routes de Belgique, de Hollande et de France dans le cadre d'une exhibition itinérante de monstres humains. À l'automne 1885, la presse française s'indigne de ce spectacle écœurant et au printemps 1886, son impresario lui vole ses économies et l'abandonne en Belgique.

Joseph réussit tant bien que mal à regagner Londres et à la fin de son périple se trouve à la gare de Liverpool Street où il se fait agresser par la foule (moment illustré dans le film de David Lynch par la scène mythique et la réplique :"je ne suis pas un animal, je suis un être humain, je suis un homme"). Il est alors sauvé par une carte de visite retrouvée dans sa poche et qui correspond à celle du Docteur Frederick Treves, chirurgien qui est venu le rencontrer pour l'examiner 2 ans auparavant, fasciné par les conséquences sa maladie, avant de présenter son cas clinique à un colloque de médecine. Concernant sa première rencontre avec Joseph Merrick, le médecin écrira dans ses mémoires : "devant moi se tenait le spécimen de l'humanité le plus répugnant que j'aie jamais vu", mais lorsqu'il fut appelé en gare de Liverpool Street, c'est l'être en souffrance qu'il retrouve et qu'il décide d'aider dans un élan de compassion qui ne le quittera pas, puisqu'il l'héberge dans une chambre sous les toits du Royal London hospital, avant de lancer une souscription dans le Times dont le bénéfice permettra d'installer définitivement dans cette chambre Joseph, dont le sort réussira à émouvoir la famille royale qui lui donnera tout son soutien.

Le 11 avril 1890 à l’âge de 27 ans, Joseph Merrick est retrouvé mort d'asphyxie, allongé en travers de son lit du Royal London hospital et le poids de sa tête a vraisemblablement occasionné une fracture des cervicales expliquant le décès (dans le film, David Lynch en fait un acte volontaire car Joseph était obligé de dormir assis la tête sur les genoux et au cours de la dernière scène, il se couche en posant consciemment la tête en arrière sur un oreiller pour dormir comme tout le monde, mais en vérité il aurait peut-être fait un malaise et il se serait retrouvé sur le dos, le poids de sa tête entraînant l'asphyxie).

Concernant la maladie dont souffrait Joseph, on a longtemps parlé de neurofibromatose de type 1 encore appelée maladie de Recklinghausen, mais dans les années 80, la communauté médicale a pu identifier une maladie orpheline dont seulement 120 cas ont été rapportés jusqu'à maintenant, avec une prévalence de moins de 1 naissance vivante sur 1 million, appelée le syndrome de Protée dont la définition clinique cadre de façon très troublante avec celle de Joseph, notamment une apparence normale à la naissance et une maladie qui débute de 6 à 18 mois pour aboutir progressivement à cette croissance excessive asymétrique. Les médecins ont pu individualiser le mécanisme génétique par mutation somatique AKT1 (sans risque de transmission pour les membres de la famille) ou alors par mutation PTEN (de transmission autosomique dominante et on retiendra que la sœur de Joseph était elle aussi atteinte d'une maladie génétique et le certificat de décès a constaté qu'elle était infirme de naissance). La confrontation de l'ADN semble confirmer que Joseph Merrick était porteur de cette maladie orpheline et il faut retenir la miraculeuse avancée médicale menée il y a 2 ans par l'équipe du Docteur Canaud de l'hôpital Necker à Paris utilisant une molécule initialement destinée au traitement du cancer du sein et du colon et qui a permis de voir une régression tout à fait spectaculaire de la majorité des excroissances dans 100 % des cas sur les 17 patients inclus dans l'étude, par blocage du gène défaillant. On peut donc penser que s'il était né un siècle plus tard, l'homme éléphant aurait pu guérir de son incroyable difformité et affronter un destin moins tragique.

La dramatique histoire de Joseph Merrick ressurgit près d'un siècle après sa naissance lors de l'écriture d'une pièce par le dramaturge Bernard Pomerance à partir de la réédition qui vient de paraître des mémoires du Docteur Treves (livre publié initialement en 1923, dans lequel le médecin rebaptise lui-même Joseph en John, peut-être pour lui assurer une certaine forme d'anonymat). Cette pièce est jouée à Londres à partir de novembre 1977 avec David Bowie dans le rôle principal et elle sera adaptée un peu plus tard à Broadway où elle décrochera en 1979 le Tony Award de la meilleure pièce (elle sera reprise en 2014 avec dans le rôle principal Bradley Cooper et plus récemment en France avec Joey Starr et Béatrice Dalle). Peu de temps après, deux scénaristes débutants s'inspirent du livre du Docteur Treves et d'une deuxième source bibliographique (le livre sur "la dignité de l'homme éléphant" écrit par Ashley Montagu un anthropologue humaniste anglais contemporain de Treves) pour écrire le scénario d'un film, mais ils ne connaissent personne dans le monde du cinéma pour le soumettre à un producteur. Ils ont toutefois une amie baby-sitter qui travaille chez Jonathan Sanger, ancien assistant réalisateur de Mel Brooks (que l'on peut considérer à l'époque comme le roi du box-office américain) et la jeune fille lui transmet le scénario en insistant vivement pour qu'il accepte de le lire. Sanger est emballé et il décide d'en optionner les droits et d'en parler à son ami Stuart Cornfeld, producteur qui à l’époque collabore avec un jeune réalisateur David Lynch qui n'a concrétisé qu'une seule réalisation "Eraserhead", film expérimental en noir et blanc auto produit et diffusé seulement dans quelques cinémas pour les séances de minuit, mais qui a déjà quelques adeptes dont Stanley Kubrick notamment. Stuart Cornfeld remet plusieurs scénarios à David Lynch qui s'arrête sur le seul titre "Elephant Man" et ne lira même pas les autres propositions, déclarant à l'époque au magazine Premiere avoir voulu rendre justice à cet homme au physique repoussant mais à l'âme si belle, pure et généreuse.

l elephant man 1980 de l affiche du film john hurt date 1980 kgm62h

David Lynch présente le scénario à plusieurs studios qui refusent le projet, n'imaginant pas un quelconque succès pour un film sur un tel monstre et Stuart Cornfeld transmet alors le scénario à Anne Bancroft (l'inoubliable Mrs Robinson immortalisée par la chanson de Simon et Garfunkel dans le film "le lauréat" avec Dustin Hoffman sorti en 1967) qui l'adore et le donne à lire à son mari Mel Brooks qui lui aussi partage son enthousiasme. Mel Brooks qui réalise des comédies à grand succès vient de créer sa propre société de production Brooksfilms, avec l'intention de monter des projets de films autres que des comédies et il souhaite immédiatement produire "Elephant Man" en pensant plutôt au réalisateur anglais Ridley Scott qui vient de réaliser "Les Duellistes" et "Alien". Stuart Cornfeld, qui bien évidemment veut convaincre Mel Brooks d'embaucher David Lynch pour le projet, organise donc dans les locaux de la Fox une projection privée de son premier film "Eraserhead" et Mel Brooks sort totalement conquis de la projection du film, convaincu que David Lynch doit être le réalisateur du film "Elephant Man" et il réussit par sa notoriété à imposer le réalisateur et le film à la Paramount qui le signe en acceptant toutes ses exigences, notamment que le film soit en noir et blanc et qu'il n'y ait aucune coupure dans le scénario. Mel Brooks demandera par ailleurs que son nom n'apparaisse pas sur le générique, afin que le film ne soit pas discrédité par la méprise du public qui attendrait une énième comédie à succès.

Le tournage peut donc commencer à Londres en octobre 1979, avec un casting britannique de choix : Anthony Hopkins encore peu connu au cinéma mais grand acteur de théâtre pour le rôle du Docteur Treves, l'incroyable Wendy Hiller pour le rôle de l'infirmière en chef, l'immense Sir John Gielgud pour le rôle du directeur de l'hôpital, l'inoubliable Freddie Jones pour le rôle de Bytes, cruel tortionnaire de John Merrick, mais aussi le gamin de Bytes tout en compassion, Dexter Fletcher (qui vient de réaliser près de 40 ans plus tard le film "Rocket Man" sur la vie d'Elton John). Le casting américain est représenté bien évidemment par la femme de Mel Brooks, Anne Bancroft, qui interprétera l'actrice Madge Kendal qui a introduit John Merrick dans la haute société victorienne. Le choix de l'acteur principal est délicat car Dustin Hoffman qui sort du succès du film "Kramer contre Kramer" se positionne pour le rôle, mais la production souhaite un acteur certes confirmé mais moins identifiable, pour que le spectateur ne pense qu'à John Merrick et non à la personne qui se cache derrière le maquillage. Le rôle sera donc confié à John Hurt, récemment nommé à l'Oscar du second rôle dans le film "Midnight express" et ce sera bien évidemment une totale réussite puisqu'il réussira à donner toute son humanité à John Merrick, par la seule force de sa voix et de son regard sous ce visage hideux, participant à la totale réussite de ce film de David Lynch qui deviendra une ode à la tolérance et à l'acceptation de la différence.

La décision est prise de tourner le film en noir et blanc, tant pour recréer l'univers de l'Angleterre victorienne que par souci d'économie pour masquer l'incroyable maquillage du héros. La technique remise au goût du jour un an auparavant en 1979 par le film "Manhattan" de Woody Allen (mais aussi cette même année 1980 par Martin Scorsese pour son film "Raging Bull" qui offrira l'Oscar du meilleur acteur à Robert De Niro) nécessite toutefois de trouver le directeur photo le plus à même de recréer cette ambiance et David Lynch choisit Freddie Francis déjà oscarisé en 1960, chouchou de la nouvelle vague anglaise, mais passé à la réalisation depuis 1962. David Lynch réussit à le convaincre de revenir à la photographie, ce qui sera une totale réussite pour la création de ce Londres embrumé en cours d'industrialisation et Freddie Francis travaillera à nouveau sur deux films de Lynch, le suivant "Dune" (qui sera un retentissant échec et qui enterrera la tentative d'acteur du chanteur Sting) et "Une histoire vraie" qui constitue le deuxième film intimiste de Lynch avec "Elephant Man".

David Lynch s'implique d'une façon incroyable et il décide de confectionner lui-même le maquillage de l'homme éléphant, mais le matériel qu'il utilise rend les prothèses trop rigides et inutilisables pour John Hurt qui doit les porter douze heures par jour. Le film est sur le point de commencer, mais le problème n'est pas solutionné. David Lynch sollicite donc un maquilleur britannique Christopher Tucker spécialisé dans les prothèses pour le cinéma d'horreur qui relève le défi incroyable d'élaborer la prothèse dans un délai aussi court, en partant du moulage post mortem de la tête de Merrick conservé à l'hôpital Royal de Londres (avec encore quelques cheveux !) et qui sera généreusement prêté par l'institution (et assuré 2 millions de livres par la production). Le visage de l'homme éléphant apparaît de façon volontairement tardive dans le film et la première scène où John Hurt doit parler avec la prothèse est celle où il récite un psaume de la Bible face au Docteur Treves et c'est seulement à ce moment que l'équipe comprend que le personnage pourra fonctionner, en regardant le visage rassuré d'Anthony Hopkins qui lui donne la réplique. La performance de Christopher Tucker sera tellement remarquable qu'elle aboutira à la création d'un Oscar du meilleur maquillage (qui ne sera malheureusement concrétisé que l'année qui suivra celle de la nomination du film "Elephant Man" aux Oscars), les responsables trouvant qu'il fallait dorénavant une récompense pour cette partie de la production en créant donc une nouvelle catégorie de nomination. John Hurt racontera par ailleurs avoir laissé la prothèse du visage de Merrick dans sa résidence secondaire et que lors d'une tentative de cambriolage dans cette maison, les voleurs feront tomber la prothèse du haut d'une armoire, ce qui aura pour conséquence de les faire rapidement quitter les lieux sans avoir volé la moindre chose…

L'autre élément déterminant dans la qualité du film reste le travail en post-production sur le son et David Lynch s'appuie, comme pour "Eraserhead", sur le collaborateur Alan Splet, "sound designer" aveugle qui crée les nombreux effets sonores omniprésents dans le film et qui viennent habiller les scènes en noir et blanc du brouillard de la nuit londonienne, participant à cet univers onirique plus particulièrement marqué dans la scène où John rêve de sa mère lorsqu'elle se fait renverser par des éléphants qui défilent comme à l'infini dans une sorte de ballet résolument surréaliste, ébauche du style qui deviendra la signature du réalisateur (on parlera rapidement d'univers Lynchien) dont on célébrera plus tard le goût du bizarre (et qui renoncera à mettre en scène "La Métamorphose", trouvant peut-être en John Merrick et son physique difforme et monstrueux l'alter ego parfait du célèbre personnage de Kafka). On retiendra que la Paramount demandera au réalisateur de couper les scènes où l'homme éléphant rêve de sa mère, mais Mel Brooks interviendra lui-même pour les imposer en rappelant les termes du contrat initial et le succès du film le confortera a posteriori dans ce choix judicieux de le garder dans son intégralité.

Le tournage commence alors et on imagine aisément les nombreux doutes et interrogations de tous ces acteurs confirmés face à la jeunesse de ce réalisateur qui se trouve à la tête d'un budget de plus de 5 millions de dollars, lui qui n'a à son actif qu'un seul film expérimental et qui arrive à Londres directement de son Montana natal en n'ayant même pas de quoi affronter la rigueur du climat londonien (ce qui fait que Mel Brooks lui-même ira acheter un manteau à David Lynch). Mais rapidement le réalisateur s'impose par son enthousiasme et ses compétences, concrétisant une des œuvres les plus profondes du cinéma des années 80 et le premier film de la société de production Brooksfilms sera nommé 8 fois aux Oscars, malheureusement sans remporter une seule statuette, mais il remportera le Grand prix du festival international du film fantastique d'Avoriaz en 1981 et le César du meilleur film étranger en 1982, ainsi que le British Academy Film Award du meilleur film, du meilleur acteur pour John Hurt et des meilleurs décors. Rien que sur le sol américain, le film rapportera 5 fois sa mise et il fera 2,5 millions d'entrées en France.

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Mel Brooks (qui finalement aura adapté 3 monstres mythiques sur grand écran : "Frankenstein Junior" en tant que réalisateur puis "Elephant Man" mais aussi "La Mouche", 6 ans plus tard en tant que producteur) sera bien évidemment déçu de l'échec aux Oscars et ironisera en parlant du film de Robert Redford "Des Gens Comme Les Autres" qui remporte la statuette cette année-là en pariant que personne ne le regarderait plus dans dix ans ce qui ne serait pas le cas du film de David Lynch, ce que la suite confirmera avec un film passé à la postérité par cette réalisation toute en sensibilité, comme un tableau qui s'enrichit de chaque scène imaginée par ce réalisateur admirateur du peintre Francis BACON. "Elephant Man" marque donc le tournant d'une carrière grandiose qui passera par des succès ("Mulholland Drive" évidemment, "Sailor et Lula" palme d'or à Cannes en 1990, la mythique série "Twin Peaks") mais aussi plusieurs échecs, avant que le réalisateur ne continue une activité artistique prolixe, par la peinture, la sculpture et la photographie, en passant par la sortie d'un album de musique rock, des court-métrages et des bulletins météo fantasques publiés dernièrement sur Internet à la faveur de la pandémie COVID.

Dans l'ambiance feutrée de ce Londres victorien magnifié par le contraste intense et la profondeur du noir et blanc de son directeur photo, David Lynch nous donne une formidable leçon de fraternité en décrivant le destin douloureux de John Merrick qui aura à assumer sa différence physique monstrueuse devenue un fardeau trop lourd à porter au décès de sa maman et le réalisateur nous donne, à travers la voix et le regard de bonté de l'homme éléphant, la lumière qui nous permet d'accepter toutes les différences et de chercher et d'identifier chez les autres, aussi éloignés qu'ils puissent être de nous-mêmes, toute la sensibilité que peut donner la vie à chacun d'entre nous (et quoi de plus universel que l'amour d'une mère et la souffrance d'exister) .

C'est le plus bel hommage qui aura été rendu à cet homme prisonnier d'un corps hideux et qui a dû combattre tout au long de sa jeune vie tourmentée l'hostilité implacable de ses congénères, hostilité propre au genre humain que seul le regard d'un artiste peut combattre efficacement, afin de mieux transcender nos peurs primaires et nous apprendre définitivement à vivre ensemble.

Merci à David Lynch, merci aux acteurs, merci au vrai "Elephant Man" et enfin merci au vrai Docteur Treves pour cette belle leçon d'humanité qu'il aura donnée, en entourant d'une véritable affection l'homme au corps bosselé, ce que Lynch immortalise dans les larmes de l'acteur Anthony Hopkins lorsqu'il découvre pour la première fois l'homme éléphant, alors même que la caméra ne nous le montrera que de longues minutes après cette première rencontre; ces larmes en noir et blanc devant une vision de cauchemar mais traduisant déjà le chemin vers la compassion et la tolérance, le chemin que nous devrions tous suivre.

Article publié dans le Lettre du Médecin Vasculauire, N°53, Décembre 2020
Autorisation de publier cet article de la LMV
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