Irresponsabilité pénale

Irresponsabilité pénale

Signé : Dr Joëlle Laffont, Médecin Vasculaire, Toulouse et JPL (medvascinfo) 





« Plaider l’irresponsabilité en cour d’assises, c’est tenter de convaincre un jury de ne pas envoyer un criminel à la guillotine parce qu’il n’a pas toute sa tête » Noctuel.

« Une responsabilité morcelée devient vite de l’irresponsabilité. » Gustave Le Bon 1913

" Responsable mais pas coupable " Georgina Dufoix

Il y a environ dix jours, la Justice en cours de Cassation, se fondant sur les conclusions d’un collège d’experts psychiatres, a décidé qu’un tueur reconnu coupable, ne serait pas renvoyé aux Assises parce que déclaré « irresponsable pénalement pour trouble mental ». Celui-ci a donc été exonéré d'un procès légitimement attendu/ désiré par les proches de la victime afin de faire leur deuil et de lui rendre justice. En quoi "l'irresponsabilité pénale » (non-imputabilité de l’infraction à celui qui l’a commise) s'imposait-elle techniquement ?

Peu de notions telle « l’irresponsabilité pénale du malade mental » connaissent autant d’approches que d’interprétations, dans des champs aussi variés que l’anthropologie, la sociologie, la philosophie, la médecine, le droit, la politique, la religion, la littérature…

irresp               L'irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental 1985-2014 Sources : Protais, 2011

La bouffée délirante aiguë, un « coup de tonnerre dans un ciel serein » !

Comme c’est souvent la règle en cas de forfait criminel, des psychiatres ont été sollicités pour effectuer l’expertise psychiatrique du prévenu.

La bouffée délirante aigüe marquée par l’apparition soudaine d’un délire de persécution et de possession de nature satanique, d’idées délirantes et/ou d’hallucinations et/ou d’un discours incohérent et/ou d’un comportement grossièrement désorganisé pendant plus d’un jour et, par définition, moins d’un mois, inquiétant l’entourage, a été reconnue par tous.

Avant son acte le prévenu avait fumé du cannabis – en quantité semble-t-il - dans le cadre d’une consommation régulière, délibérée et volontaire.

Une première expertise avait reconnu la bouffée délirante aiguë mais avait déclaré le sujet pénalement responsable de son acte criminel, considérant que le prévenu avait contribué à l’apparition de son trouble mental et ne pouvait donc être exonéré de sa responsabilité au moins partiellement, retenant une altération - et non une abolition - du discernement et du contrôle de ses actes.

D’autres médecins experts ont été consultés en collégialité. La conclusion du collège a été unanime : au moment de la commission de son crime, le criminel, exempt de tout antécédent psychiatrique, était en proie à une bouffée délirante aigüe.Pourtant cette seconde expertise a considéré que le sujet ne pouvait pas prévoir que la consommation de cannabis entraînerait une bouffée délirante (le risque de schizophrénie est multiplié par deux avec le cannabis), et l’a donc déclaré non responsable de ses actes. Arguant que l’épisode délirant qui peut rester unique, assez rare en pratique clinique, constitue dans l’immense majorité des cas, une forme de début d’un trouble mental sévère (trouble schizophrénique ou bipolarité).

Les causes d’irresponsabilité pénale.

Parce que la responsabilité pénale vient sanctionner par une peine l’auteur d’une infraction, elle ne peut se concevoir que pour les individus capables de comprendre et de vouloir leurs actes. L’article 122-1 du Code pénal dispose dans son premier alinéa que « N’est pas pénalement responsable la personne qui était atteinte, au moment des faits, d’un trouble psychique ou neuropsychique ayant aboli son discernement ou le contrôle de ses actes. ». Le discernement s’entend de la capacité à apprécier avec justesse et clairvoyance une situation. L’abolition de ce discernement suppose sa suppression totale de sorte que la personne ne peut comprendre ses actes puisqu’elle a perdu la raison.

Parmi les causes d’irresponsabilité pénale, certaines sont objectives et d’autres subjectives. Parmi ces dernières il y a la contrainte qui s’apparente à la force majeure et est prévue par l’article 122-2 du Code pénal qui dispose que « N’est pas pénalement responsable la personne qui a agi sous l’empire d’une force ou d’une contrainte à laquelle elle n’a pu résister », où l’on parle de l’emprise d’une force irrésistible.

Le trouble schizophrénique qui coche toutes les cases, représente l’un des cas les plus consensuels d’irresponsabilité pénale.

Le rôle possiblement déclencheur du cannabis ?

Il est impossible de déterminer avec certitude la cause d’une bouffée délirante. L’existence de délires induits par le cannabis est parfaitement établie.

Il a été émis dans cette affaire, un postulat selon lequel le trouble délirant a été induit par la consommation de cannabis. Cette dernière, sur un terrain fragile, peut se révéler « précipitante ». Pour l’individu en cause, consommateur régulier de cannabis depuis l’âge de 15 ans (plus de 70 % des adolescents, de tous milieux sociaux, disent avoir expérimenté la consommation de cannabis - 40 % sont des consommateurs réguliers -10 % des consommateurs chroniques), sans avoir jamais présenté de troubles délirants, ce ne serait qu’un facteur favorisant parmi d’autres. Cependant, pour affirmer qu’elle en a été l’unique cause, il faudrait être certain que l’individu s’il ne consommait plus jamais de cannabis, ne délirerait plus jamais. Ce que nul ne sait, hormis peut-être les psychiatres traitants.

Biologiquement, les taux sanguins de THC retrouvés étaient faibles à modérés, peu compatibles semble-t-il avec une consommation massive récente. Les idées délirantes ont persisté longtemps après l’arrêt de l’intoxication, en hospitalisation et sous traitements antipsychotiques majeurs, signal d’un trouble organisé ? Donc il ne peut être exclu que le prévenu souffre d’un réel trouble psychiatrique chronique, inauguré par la bouffée délirante aiguë.

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En estimant que le prévenu croyant trouver l’apaisement dans le fait de fumer, comme il le faisait régulièrement, a sans doute précipité l’évolution d’un trouble dont le cannabis n’aurait été qu’un cofacteur et non la cause. Le collège d’experts a conclu que l’irresponsabilité pénale, s’imposait « techniquement » !

Malgré tout le sujet a fait preuve devant l’autorité, d’un degré de « lucidité » troublante réelle ou fortuite, dans sa relation des faits, ce qui va à l’encontre de la bouffée délirante et pose question.

Toutes les intoxications volontaires causes de troubles mentaux ne sont pas jugées pareillement.

  • Ici la prise de cannabis, après expertise, exonère le coupable. Le fumeur de cannabis, délinquant toxicomane ou pas, ignore généralement les effets redoutables de cette drogue « douce » toxique. Cependant une infime minorité de fumeurs de cannabis développera une bouffée délirante.
  • Là, la prise d’alcool (facteur accidentogène au-delà de 2 g d’alcoolémie) est considérée comme une circonstance aggravante « acceptée » lorsqu’un conducteur ivre provoque un accident de voiture mortel ou lors d’un passage à l’acte criminel et sa responsabilité ne fait pas doute.
  • Et la cocaïne. Substance censée donner du génie aux artistes peintres écrivains et musiciens maudits ou pas, qui la sniffent pour trouver l’étincelle du chef-d’œuvre. Sniffée aussi chez les braqueurs et autres meurtriers avant un passage à l’acte pour se donner « du cœur à la bel ouvrage ». Le cocaïnomane est-il un irresponsable pénal possible ?

Et ce ne sont là que trois substances parmi toutes celles absorbables ou injectables, censées apaiser, stimuler, désinhiber etc, et faciliter le passage à l’acte, quel que soit l’acte. Faire un parallèle entre toutes semble artificiel (comme les paradis). Chaque substance n’est pas investie de la même manière par les croyances populaires.

L’irresponsabilité pénale et la question de troubles résultant d’une intoxication volontaire.

Un champ de possibles s’ouvre-t-il aux criminels de tout poil, froids calculateurs ou pas, dotés de discernement ou pas ?

Suffit-il de commettre un forfait sous l’emprise de toxiques pouvant générer des troubles mentaux, pour être reconnu pénalement irresponsable ?

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Suffit-il de décider de prendre des stupéfiants avant de commettre toutes sortes d’actions préjudiciables à autrui jusqu’à s’arroger le droit de torturer et de donner la mort, en sachant qu’il sera possible de devenir alors « comme fou » et donc, supprimer la responsabilité pénale ?  

Quand on a une personne atteinte d’une pathologie psychiatrique qui commet un acte criminel après avoir pris des stupéfiants, on ne peut pas savoir si le passage à l’acte est lié à ces stupéfiants ou à la maladie de l’intéressé.

L’article 122-1 du Code pénal dispose dans son second alinéa que « La personne qui était atteinte, au moment des faits, d’un trouble psychique ou neuropsychique ayant altéré son discernement ou entravé le contrôle de ses actes demeure punissable ; toutefois, la juridiction tient compte de cette circonstance lorsqu’elle détermine la peine et en fixe le régime. »

Est-il facile de reconnaitre une ivresse sous stupéfiants qui a un effet précipitant de premier plan, du rôle favorisant d’un stupéfiant dans le déterminisme multifactoriel d’un trouble psychotique ?

Est-il difficile de faire une différence entre l’irresponsabilité de la folie et celle générée par la prise de stupéfiants ?

Si la loi actuelle ne le permet pas, faut-il en changer ?

Après un crime lié à une consommation volontaire de stupéfiants, le procès devrait être automatique, même si on estime que le discernement de l’auteur des faits a été aboli. On parle là d’automaticité du procès, pas de la peine à infliger au contrevenant. Le procès doit décider de la peine au terme d’une audience où chacun (accusé comme parties civiles) aura eu droit à la parole.

Si la loi ne change pas, que pourrait-il se passer dans l’absolu ? La création d’une jurisprudence de fait dans laquelle vont s’engouffrer tous les avocats qui défendent tueurs, violeurs ou autres auteurs de voies de faits, d’attentats qui sont passés à l’acte après avoir pris de la drogue.

Changer la loi reviendrait à exclure du champ de l'irresponsabilité pénale les individus ayant consommé du cannabis ou autres drogues connues pour générer des troubles mentaux ? Ce serait risquer de juger des personnes atteintes de maladies psychiques qui n’étaient pas en mesure de comprendre ce qu’elles faisaient au moment de l’acte. Ce serait remettre en cause une tradition judiciaire qui remonte à l’Antiquité, et au Droit romain, selon lequel les malades mentaux ne peuvent être condamnés. On ne juge pas les fous. « Jamais, dans notre civilisation, on n’entendit les fous, même pour les crimes les plus atroces (...) Faire comparaître un dément, c’est renier le fondement même de notre civilisation ». (Yves Lemoine, magistrat, historien.)

On risquerait par ailleurs de renvoyer en détention des personnes malades.

Mais cela n’oblige pas pour autant à modifier la loi sous prétexte que la décision d’irresponsabilité pénale prive la famille d’un procès et de la possibilité que l’affaire soit débattue publiquement dans une enceinte judiciaire. Ce qui signifie ignorer le changement mis en place par la loi de 2008. Avant, quand les experts se prononçaient sur l’irresponsabilité, c’est le juge d’instruction, seul dans son cabinet, qui prononçait un non-lieu, parfois/souvent très mal vécu par la famille. Depuis cette loi de 2008, le dossier est renvoyé devant la chambre de l’instruction qui tient une audience où toutes les parties peuvent s’exprimer. Et à l’issue de cette audience publique, au terme d’un débat contradictoire, la justice peut estimer que la personne doit être reconnue pénalement irresponsable, mais qu’il a bien commis les faits qui lui sont reprochés donc coupable.

Il pourrait être prévu que l’irresponsabilité pénale puisse ne pas s’appliquer pour une personne non malade qui prend volontairement des stupéfiants ayant entraîné de manière certaine le passage à l’acte. Cela existe déjà avec la consommation d’alcool, considérée comme circonstance aggravante dans certains faits.

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Si toute fois la loi devait être changée ou amendée, il serait rassurant de savoir que les individus appelés à réfléchir et statuer, le fassent sans contrainte émotionnelle et/ou électoraliste, sans influences de querelles culturelles identitaires cultuelles. Mais de le faire avec sagesse, sens de la nuance et technicité.

Qu’ils doutent aussi : le doute cet « état d’esprit intermédiaire entre l’ignorance et la certitude… » est une qualité professionnelle.

Méfiance devant les experts dogmatiques ou péremptoires.

Carolie Protais "L'analyse qualitative de près de 300 expertises sur un demi-siècle confirme une restriction continue du champ de l'irresponsabilité pour cause de trouble mental. Cette évolution témoigne d'un changement de représentation de la maladie mentale, qui n'est plus conçue comme aliénante, même dans le cas des troubles les plus graves. Elle témoigne également d'une transformation des représentations éthiques de quelques-uns qui considèrent plus humain de considérer le malade mental ayant commis une infraction comme responsable de ses actes. Cette nouvelle éthique de l'expertise vient pourtant retourner la question déontologique aux experts qui masquent certains symptômes pourtant présents à l'examen pour asseoir leurs conceptions philosophiques et thérapeutiques."

Edito de FOG @fogiesbert dans le Point, Avril 2021

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Réactions du Prrocureur général près la Cour de cassation au journal La Croix, François Molins : « Rien ne permet d’affirmer que la justice serait laxiste »  "Il est néanmoins essentiel aujourd’hui d’essayer de faire comprendre pourquoi la décision rendue l’a été conformément à la règle de droit. L’Etat de droit a pour objet d’éviter l’arbitraire"

Question on ne peut plus difficile, surtout à l'heure de la dépénalisation du cannabis.

Le Projet de loi pour la confiance dans l’institution judiciaire sera-t-il un début de réponse à l 'irresponsabilité pénale ?  Pourquoi avoir noté confiance dans ce projet, cela veut-il dire qu'avant il n'y avait pas de confiance ?....inquiétant.....

Dernière nouvelle  : communiqué de presse du Ministère de la Justice du 25/04/2021

Ez0MKEsXMAA4SDCDécidemment en France le "RESPONSABLE MAIS PAS COUPABLE" a la vie longue.....

Affaire à suivre.......


Source : 

Faut-il modifier la loi sur l’irresponsabilité pénale ? (la-croix.com)

Les causes d’irresponsabilité et d’atténuation de la responsabilité pénale. Par Juliette Daudé, Avocat. (village-justice.com)