LE CONFINEMENT OBLIGATOIRE EST-IL CONTRAIRE AUX DROITS DE L’HOMME ET DU CITOYEN ?

INVITE : Cyrille Mélon , Etudiant en Droit, Belgique

« Le temps a changé. Ce qui était inconcevable la veille est devenu possible le lendemain » Stéphane Audoin-Rouzeau.

Le 11 avril 2020, Frank-Walter Steinmeir ,Président fédéral d’Allemagne ,déclare à la télévision allemande : « Non, cette pandémie n'est pas une guerre. Les nations ne sont pas contre les nations, les soldats ne sont pas contre les soldats. C'est un test de notre humanité. Il fait ressortir le meilleur et le pire des gens. Montrons aux autres ce qu'il y a de meilleur en nous. Et s'il vous plaît, montrez-le-nous aussi en Europe (...). La pandémie nous le montre : oui, nous sommes vulnérables. Peut-être avons-nous cru trop longtemps que nous sommes invulnérables, que cela ne fait qu'aller plus vite, plus haut, plus loin. C'était une erreur. » . Cette allocution n’est pas passée inaperçue outre-Rhin et ce pour de multiples raisons.

- D’une part, le président allemand se livre rarement à l’exercice des discours télévisuels devant la nation. - D’autre part, le discours présidentiel honore le travail des infirmiers, médecins et personnels médicaux qui sont sur le pont. Il rend également un hommage appuyé aux « piliers invisibles » de l’Etat – soit les boulangers, caissiers, chauffeurs de bus, éboueurs, routiers, paysans. Par ailleurs, le président prend aussi le contre-pied de son homologue français et réfute le fameux « Nous sommes en guerre » d’Emmanuel Macron prononcé lors du discours du 17 mars 2020.

Enfin, Frank-Walter Steinmeir reconnaît que le monde a changé. Aujourd’hui, notre univers a basculé dans une autre ère. De fait, tous les repères d’hier sont chamboulés et l’homme vit à un temps qui n’est plus celui d’hier et qui ne sera probablement pas celui de demain. « Le temps a changé. Ce qui était inconcevable la veille est devenu possible le lendemain » observe l’historien Stéphane Audoin-Rouzeau. L’animal politique et social qu’est l’homme s’efforce présentement de garder contact avec ses proches par le truchement des technologies numériques, il cherche des solutions médicales pour venir à bout du SARS-CoV-2 et compose avec un quotidien resserré autour du travail, d’un climat anxiogène ainsi que de moments de répit.

L’univers politique subit également des métamorphoses : l’Europe d’hier, qui paraissait soudée, se présente désormais sur la scène publique avec des voix dissonantes, les Etats nations refont surface alors que le recul de la souveraineté étatique était une règle efficace pour cimenter les actions de l’Union Européenne, les gouvernements chantres de l’ouverture au monde se replient sur eux-mêmes et les pays sont entrés dans l’heure des chefs – le peuple écoute ses dirigeants et est suspendu à leurs lèvres.

Suivant Stéphane Audoin-Rouzeau et Olivier Faure, la société actuelle subit un choc anthropologique. De même, elle a également changé de paradigme pour entrer dans l’âge de la « biolégitimité » définie par Didier Fassin – anthropologue et médecin français, auteur de l’article « Biopouvoir ou biolégitimité ? Splendeurs et misères de la santé publique » . L’homo sapiens était invincible, mais il est vulnérable depuis quelques semaines, assailli par des maladies mystérieuses contre lesquelles les armes de lutte appartiennent à un autre temps : l’absence de vaccin, le confinement, la fermeture des frontières, l’isolement, les mesures d’hygiènes simples, etc.

« Est-ce très différent de ce qui se passait à Marseille pendant la peste de 1720 ? » fait part Stéphane Audoin-Rouzeau. La vulgate officielle moderne est à l’heure actuelle : « Sauver sa vie biologique à tout prix ». A cet égard, l’homme fait l’économie des autres attributions ou formes de la vie. Il tourne le dos à la liberté, à son ancien modus vivendi, à la sociabilité pour lui substituer des artéfacts chimériques – les apéros par Skype, les échanges numériques, la distanciation sociale qui déshumanise et nous éloigne trop souvent de la vie de l’autre.

Dans ce nouveau paradigme, les alternatives à la doxa dominante, les défiances et les remises en question sont souvent considérées comme des blasphèmes. C’est bel et bien dans le momentum de la biolégitimité que nous vivons aujourd’hui. Assurément, au nom de cette antienne « C’est pour sauver la vie [vie biologique] », le citoyen est contraint de se déplacer muni d’un « sésame français » – la fameuse « attestation de déplacement dérogatoire » – et vit dans un état d’urgence sanitaire.

En France, l’Etat de droit subit les assauts de l’état d’urgence depuis les attentats terroristes du XXIe siècle. A priori, ces mesures adoptées sont nécessaires puisqu’elles consolident le bouclier de protection contre le terrorisme – et aujourd’hui contre la maladie – en donnant au gouvernement les moyens intra legem pour agir efficacement. Cependant, le danger est double : les dispositions temporaires peuvent devenir pérennes et l’exception peut advenir une règle générale de droit commun. « Le pire serait pourtant que la vertu actuelle des citoyens se transforme en vice, celui de s’accoutumer à un Etat d’urgence permanent et à une obéissance aveugle à un gouvernement implacablement bienveillant qui nous délivrerait de nos préoccupations politiques et nous permettraient de nous livrer en toute tranquillité à nos affaires privées. » souligne Olivier Faure.

Le citoyen, le juriste et le médecin ne font qu’un. Ils ont certes des points de vue divergents sur la période troublée actuelle, mais ils apportent leurs connaissances pour protéger le vivre ensemble et sauver. A première vue, les médecins estiment que les critiques des juristes sont des casse-tête juridiques. Cependant, cette pensée est fallacieuse. En effet, les dérives autoritaires attendent le citoyen là où il n’y prête pas attention.

« Un régime dans lequel le pouvoir législatif est suspendu, dans lequel le pouvoir exécutif peut faire ce qu’il veut – changer les lois, les abroger, sans contrôle législatif – et dans lequel le pouvoir judiciaire est neutralisé, où il ne reste plus aucun contre-pouvoir, qu’est-ce ? L’exécutif est libre de toute contrainte. Si ça, ce n’est pas un e dictature, je ne sais pas ce que c’est. » scande Laurent Pech, professeur de droit européen à l’Université du Middlesex sise à Londres.

Cecici étant dit, là s’arrête la tâche du juriste qui tente de faire respecter le cadre légal en vigueur et de rappeler que les règles de l’éEtat d’urgence sont temporaires et doivent le rester. C’est ensuite aux citoyens et aux responsables politiques de s’emparer de l’actualité et de ruer dans les brancards si nécessité fait loi. Et Olivier Faure de conclure que : « Plus la parenthèse dure, plus elle laissera des traces, pas forcément positives » .

Références : 
Verbatim du discours officiel du président allemand Frank-Walter Steinmeir, discours disponible sur : http://www.bundespraesident.de
CONFAVREUX J., « Stéphane Audoin-Rouzeau: « Nous ne reverrons jamais le monde que nous avons quitté il y a un mois » », In : Médiapart,  article numérique, publié le 12 avril 2020, disponible sur : https://www.mediapart.fr
FAURE O., « « Non, la France ne traverse pas la plus crise sanitaire de son histoire » », In : Le Figaro, article numérique, publié le 8 avril 2020, disponible sur : https://www.lefigaro.fr
En ce sens voy. FASSIN Didier, « 4 - Biopouvoir ou biolégitimité ? Splendeurs et misères de la santé publique », In : GRANJON M.-C. (éd.), Penser avec Michel Foucault. Théorie critique et pratiques politiques, Paris, Editions Karthala, 2005, p. 161-182, disponible sur : https://www.cairn.info/.

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