Le placement du fauteuil

« … Je ne m’inquiétais nullement de trouver mon médecin ennuyeux ; j’attendais de lui que, grâce à un art dont les lois m’échappaient, il rendît au sujet de ma santé un indiscutable oracle en consultant mes entrailles. Et je ne tenais pas à ce que, à l’aide d’une intelligence où j’aurais pu le suppléer, il cherchât à comprendre la mienne, que je ne me représentais que comme un moyen, indifférent en soi-même, de tâcher d’atteindre des vérités extérieures. »
Marcel Proust 
 
 
« La présence appréhende toujours d’abord comme monde ce qu’elle est elle-même originairement » Biswanger

« le tableau clinique n’est pas simplement offert par le malade, mais résulte d’une co-construction dans laquelle l’induction organisatrice du médecin est souvent décisive » Cosnier


Iyer R, Park D, Kim J, Newman C, Young A, Sumarsono A. Effect of chair placement on physicians' behavior and patients' satisfaction: randomized deception trial.
Effet du placement du fauteuil sur le comportement des médecins et la satisfaction des patients : essai randomisé en double aveugle
BMJ. 2023 Dec 15;383:e076309. doi: 10.1136/bmj-2023-076309. PMID: 38101923; PMCID: PMC10726223.
https://www.bmj.com/content/383/bmj-2023-076309.long

Objectif 

Évaluer l'effet du placement du fauteuilou de la chaise sur la durée pendant laquelle les médecins restent assis lors d'une consultation au chevet et sur la satisfaction des patients.

Conception

Essaien double aveugle contrôlé randomisé, monocentrique, en double aveugle.
 
Contexte Hôpital du comté du Texas, États-Unis.
 
Participants 

51 médecins hospitalistes fournissant des services de soins directs et 125 rencontres observées de patients capables de répondre correctement à quatre questions d'orientation avant l'entrée à l'étude, d'avril 2022 à février 2023.
 
Intervention

Chaque rencontre avec un patient a été randomisée selon l'emplacement de la chaise (≤ 3 pieds (0,9 m) du chevet du patient et face au lit) ou l'emplacement habituel de la chaise (témoin).
 
Principaux critères de jugement
 
 Le critère de jugement principal était la décision binaire du médecin de s'asseoir ou de ne pas s'asseoir à tout moment lors d'une rencontre avec un patient. Les critères de jugement secondaires comprenaient la satisfaction des patients, telle qu'évaluée à l'aide des enquêtes Tool to Assess Inpatient Satisfaction with Care from Hospitalists (TAISCH) et Hospital Consumer Assessment of Healthcare Providers and Systems (HCAHPS), le temps passé dans la chambre et la perception des médecins et des patients. du temps passé dans la pièce.
 
Résultats :
 
125 rencontres avec des patients ont été randomisées (60 pour le placement sur chaise et 65 pour le contrôle). 38 des 60 médecins du groupe de placement sur chaise étaient assis pendant la rencontre avec le patient, contre cinq des 65 médecins du groupe témoin (rapport de cotes 20,7, intervalle de confiance à 95 % 7,2 à 59,4 ; P < 0,001). La différence de risque absolu entre les groupes d'intervention et les groupes témoins était de 0,55 (intervalle de confiance à 95 % : 0,42 à 0,69). Au total, 1,8 chaises devaient être placées pour qu'un médecin puisse s'asseoir. L'intervention était associée à des scores TAISCH 3,9 % plus élevés (estimation de l'effet 3,9, intervalle de confiance à 95 % 0,9 à 7,0 ; P = 0,01) et à une probabilité 5,1 plus élevée d'obtenir des scores complets au HCAHPS (intervalle de confiance à 95 % 1,06 à 24,9, P = 0,04). Le placement de la chaise n'était pas associé au temps passé dans la chambre (10,6 minutes contre contrôle 10,6 minutes) ni à la perception du temps passé dans la chambre pour les médecins (9,4 minutes contre 9,8 minutes) ou les patients (13,1 minutes contre 13,5 minutes).

chaisepa
 
chaisss
Visualisation du coup de pouce de la chaise. Emplacement du fauteuil (en haut) et emplacement habituel du fauteuilen bas)
 
Conclusion

Le placement d'un fauteuil est une intervention simple, gratuite et de faible technologie qui augmente la probabilité qu'un médecin reste assis lors d'une consultation au chevet et aboutit à des scores plus élevés des patients en termes de satisfaction et de communication.
 
Commentaire

Golden BP, Gilmore-Bykovskyi A. "Nudging" clinicians to communicate more effectively with patients in hospital. BMJ. 2023 Dec 15;383:2678. doi: 10.1136/bmj.p2678. PMID: 38101921.
https://www.bmj.com/content/383/bmj.p2678.long


Cette étude fournit de nouvelles preuves selon lesquelles les coups de coude (ou effet nudge)  peuvent être efficaces pour encourager les cliniciens à s'asseoir lors des rencontres avec les patients.
 
Les interventions Nudge sont des tentatives visant à façonner les comportements par le biais d'attitudes ou de routines subconscientes qui influencent la prise de décision.  Les interventions Nudge se sont révélées utiles dans divers processus décisionnels, notamment la prescription d’antibiotiques et l’hygiène des mains.  D'importantes considérations méthodologiques sous-tendent l'application de stratégies de nudge au comportement assis des médecins, notamment la question de savoir si la conception de l'étude et le nudge peuvent prendre en compte d'autres dynamiques saillantes qui façonnent les perceptions des patients en matière de communication. Il convient de noter que l’une des critiques formulées à l’égard des interventions de nudge est qu’elles ne tiennent pas pleinement compte de la complexité des systèmes de santé du monde réel. De plus, l'intervention apparemment simple consistant à déplacer une chaise avant chaque rencontre peut ne pas être durable dans le contexte hospitalier réel.

"La communication entre médecins et patients est intrinsèquement bidirectionnelle, dynamique et multiforme. Comprendre comment des comportements spécifiques se croisent dans des dimensions plus dynamiques de la communication reste une priorité importante pour les recherches futures."

Est-ce une farce ? NON, ces articles du BMJ qui paraissent dans la période de Noël sont une spécialité du BMJ

Plus sérieusement ces articles interpéllent sur un sujet majeur, ici la relation médecin/patient, relation si importante pour tout se dire et tout entendre. Placer  un médecin dans un fauteuil près du lit du patient est très utile. C'est une pause-réfléxion dans le dialogue avec le patient. Le fait que le médecin soit assi est le garant d'une écoute optimale pour le patient.
 
Les  visites classique hospitalières où un "train" de blouses blanches arrivent dans une chambre ne peuvent conduire à aucun dialogue et en plus elles sont stressantes pour le patient . En revanche une "blouse blanche assise", prés d' un patient dans son lit, invite à un dialogue constructif avec des échanges fructueux. Il en est de même dans les cabinets médicaux où le colloque singulier s'installe. La postion du patient et du médecin est importante, très importante

Les régles de base du dialogue médecin /patients 
 ils ne peuvent  (les patients) attendre de leur médecin qu’il devienne un surhomme, mais :
qu’il les traite comme une personne, et pas comme un objet à soigner,
qu’il se montre engagé auprès d’eux, intéressé, un tant soit peu chaleureux,
qu’il porte une réelle attention à leurs symptômes et les prenne au sérieux,
qu’il les respecte tels qu’ils sont,
qu’il prenne aussi en considération leurs problèmes personnels et leur histoire.

L’interaction dans la relation médecin-malade est régie par une double définition de la relation :
 
  • * d’une part, elle est une relation inégalitaire, fondée sur la dominance et le pouvoir de l’expert qui doit prendre les décisions qui s’imposent et ne peut se permettre de tenir compte de l’inquiétude du malade ;

  • * d’autre part, elle est une relation de coopération entre deux partenaires, dans laquelle peuvent coexister des savoirs hétérogènes, des réalités multiples, et dans laquelle la gestion des émotions et la pratique de l’empathie occupent une place centrale.

  • Les études de médecine ne préparent guère à aborder les émotions. Or, l’échec de cette tâche complexe semble être la principale source de frustrations et d’insatisfaction chez le médecin et chez le patient
https://www.cairn.info/revue-cahiers-critiques-de-therapie-familiale-2002-2-page-213.htm

Bien entendu si le médecin appartient à la corporation des prestataires de service cela ne le concerne pas , idem, pour les "qu'est ce que je vous marque".
 
Le fauteuil prend une grande importance dans une chambre de clinique ou d'hôpital, en cabinet de facto elles est présente. Un médecin qui s'assoit prés d'un patient alité, c'est le signe important d'un dialogue constructif à venir. Combien de fois on entend  une réflexion récurrente des patients, le médecin ne m'a rien dit car trop occupé, point négatif fréquent. Ou alors de la part d'un spécialiste (imagerie) voici le compte rendu des examens, votre médecin vous expliquera, une délégation de tâche irrespectueuse et en plus stressante pour le patient..........

La consultation est une acte théâtrale ou chacun joue sa participation. Cette partition c'est le dialogue médecin/patient , le colloque "si singulier"