Les essais cliniques

Les essais cliniques

Signé : F. Becker, MD, PhD, Médecine Vasculaire, Chamonix

« Toute subversion commence par celle du vocabulaire » Confucius (551-479 av. J.-C.)

« Deux dangers ne cessent de menacer le monde : l'ordre et le désordre ». Paul Valéry



chassagne

Une histoire de bonnes bouteilles pour commencer. Paul grand amateur de Bourgogne et Annie excellente cuisinière, invitent leurs amis Pierre et Martine à dîner. Paul promet un excellent Chassagne 1er cru. Pierre, lui aussi amateur de bons vins décide de relever le gant et d’apporter un grand Chassagne. Heureux hasard c’est le même cru et la cuisine d’Annie est propice à comparer les vins. Chacun goûte, analyse les vins et les avis sont bien partagés ... On discute …, oui mais … les vins sont d’années différentes, de propriétaires différents, Pierre a une bonne cave et ce n’est pas le cas de Paul. Martine propose alors de refaire la dégustation en aveugle, elle remmène les 2 bouteilles à la cuisine, les couvrent d’une jupe et fait ramener les bouteilles à table par Annie qui n’a rien vu de la manip de Martine  on goûte en aveugle, … Paul et Pierre se trompent sur l’identification des bouteilles … !

Tant qu’on y est, une petite confidence. Au début de mon activité, je participais à un essai randomisé sur un médicament veinotonique;  étant porteur d’une  insuffisance veineuse chronique et sceptique sur les veinotoniques, je quitte mes chaussettes de compression et me mets dans l’essai. Surprise, aucun symptôme durant le mois de l’étude, je me dis “tu as dit du mal des veinotoniques mais ce sont des produits efficaces”, je n’avais aucun doute quant au fait que je prenais le verum. A la fin de l’étude, dépouillement … oh ! surprise !, j’avais été mis sous placebo !!

Dans la vie de tous les jours on a de multiples exemples de la difficulté à juger, à comparer deux produits, deux façons de faire, deux attitudes ; dans le dictionnaire comparable signifie en premier lieu « qui peut faire l’objet d’une comparaison », un vieux proverbe ne dit-il pas « comparaison n’est pas raison » ? Alors pourquoi tant de bavardage stérile, de polémique, de n’importe quoi à propos des essais thérapeutiques dans les médias durant cette crise du Covid-19, comme si le but premier était avant tout « faire le buzz » ! (comme on a pu le voir avec certains journalistes ignorant tout de la Médecine, de la Thérapeutique et plus encore des Essais Thérapeutiques qui ont préféré clairement le jeu de la « confrontation » avec des égos surdimensionnés à une vraie discussion informative avec des professionnels pondérés). Ce n’est pourtant pas sorcier de comprendre que la gestion dans l’urgence n’est pas la gestion en chronique, surtout quand l’urgence relève d’une situation inédite.

Dans l’urgence lorsque la situation est connue, codifiée, on applique des procédures validées. Lorsque la situation est inédite cela ne suffit pas et il faut improviser sur fond d’expérience puis ajuster en fonction de l’évolution de la connaissance. Face aux défis à relever dans une situation d’urgence inédite, mettre sur pied et boucler une étude clinique répondant au mieux aux critères de valeur en 3 mois relève de l’exploit, chapeau à ceux qui l’ont fait!

En chronique,  la gestion est toute différente ; soit la situation est banale et se gère simplement sur l’écoute du patient, le bon sens et un traitement symptomatique si nécessaire, soit la situation est plus complexe et la stratégie diagnostique et le traitement doivent reposer autant que faire se peut sur des études prospectives contrôlées randomisées et l’EBM (Evidence Based Medicine, Médecine fondée sur les preuves ou Médecine factuelle).

Un peu d’histoire.
James Lind
James Lind by Chalmers
Le premier essai contrôlé recensé a été réalisé par James Lind naval surgeon à bord du HMS Salisbury en 1747. La marine de guerre était alors confrontée au scorbut qui affaiblissait et tuait de nombreux marins au cours des longs voyages (la marine marchande allant de port en port était moins affectée). Lind regroupa 12 de ses patients à des stades semblables de la maladie, il les plaça dans la même partie du navire et fit en sorte qu’ils reçoivent la même alimentation de base (conditions d’étude similaires). Lind désigna ensuite au hasard 6 paires de marins qui recevraient chacune l’un des six traitements alors utilisés contre le scorbut : du cidre, de l’acide sulfurique, du vinaigre, de l’eau de mer, de la noix de muscade ou deux oranges et un citron (randomisation). Les fruits gagnèrent haut la main. L’Amirauté britannique ordonna par la suite que du jus de citron soit fourni sur tous les bateaux, ce qui conduisit à la disparition de la maladie au sein de la Royal Navy avant la fin du 18ème siècle. La petite histoire dit que c'est une des raisons de la défaite des franco-espagnols à Trafalgar malgré leur supériorité numérique et technique, les franco-espagnols restés eux carencés affectés par le scorbut étaient moins vaillants.


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Le deuxième essai magistral est encore anglais,
1er essai contrôlé randomisé en aveugle, il a été publié en 1948 dans le British Medical Journal : il démontrait sur 107 patients l’efficacité de la Streptomycine dans la tuberculose pulmonaire évoluée. La justification de l’essai et le détail de la procédure sont remarquablement décrits, tout était dit ou presque : problématique bien exposée (affection grave, produit testé efficace in vitro et sur l’animal, quelques essais chez l’homme non-conclusifs), probabilité de régression spontanée faible, nécessité d’un groupe contrôle et éthique du contrôle discutées (ici streptomycine + repos au lit 6 mois vs repos au lit), tirage au sort de façon que les deux groupes ne soient différents que par le médicament testé, patient ignorant qu’il participait à un essai thérapeutique (le consentement éclairé est maintenant exigé), la plus grande discrétion autour de l’essai, seul le médecin traitant direct qui recevait l’enveloppe connaissait le traitement.

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Encore un quart de siècle
et Archie Cochrane (1909-1988, Cardiff UK), Thomas C. Chalmers (1917-1996, Mount Sinai School of Medicine, National Institutes of Health, USA), David L. Sackett (1934-2015, MacMaster University Canada, Oxford Center for EBM UK), Gordon H. Guyatt (1953- …, MacMaster University Canada) allaient faire passer la Médecine de l’empirisme, des dictats, de l’appris par cœur sans discussion, à une pratique basée sur des données solides validées qui deviendra la Médecine fondée sur les preuves, l’Evidence Based Medicine ou EBM.

Il n’est pas dans mon propos de faire un topo sur les essais cliniques*,
mais il me semble que le simple bon sens amène -à penser que les critères d’inclusion, de non-inclusion et d’évaluation doivent être bien pensés et stricts, -à distinguer les études rétrospectives et les études prospectives, les études observationnelles et les études comparatives, -à voir le débat comme utile pour peu qu’il soit constructif …

* Les essais cliniques ne concernent pas que le médicament, tout type de traitement (médicamenteux, physique, chirurgical, …) peut/devrait/doit faire l’objet d’essais cliniques, il en est de même des examens diagnostiques et des stratégies de prise en charge.

Avant de discuter ou d’admettre les conclusions d’une étude, il importe de savoir de quel type d’étude il s’agit, comment elle a été construite, sur quelles bases elle repose. Le chapitre « Matériel et Méthode » d’un abstract ou d’un article est capital, sa lecture en est trop souvent négligée.

Les études rétrospectives, y compris les études de registre, ont l’avantage que les data sont d’emblée disponibles, il n’y a pas à les acquérir. Elles sont intéressantes en première intention pour tester une hypothèse, évaluer une situation. Mais même en « faisant le ménage », même en essayant d’apparier,  il est bien évident que l’on ne fait qu’avec ce qui est disponible ! quid des données manquantes, des dossiers perdus ou non-faits, des aléas d’acquisition ?

Les études prospectives ont l’avantage que l’on peut contrôler l’acquisition et la saisie des données suivant des règles bien précises, elles ont l’inconvénient d’être de réalisation plus longue et plus complexe … elles ne sont toutefois pas exemptes de biais, de biais de sélection en particulier !

Pour affirmer que tel traitement ou telle procédure est efficace ou meilleur(e) que tel(le) autre, il faut bien pouvoir le ou la comparer objectivement soit à rien soit à un traitement/une procédure de référence. La définition de rien ou de la référence n’est pas aisée ; pour rien il faut faire avec l’effet placebo ou l’effet nocebo et être suffisamment convaincu pour faire comprendre au patient qu’on ne sait pas s’il est nécessaire de traiter telle affection à tel stade ; pour la référence il faut là aussi veiller aux différents biais possibles y compris aux manipulations plus ou moins sournoises. Quant à l’objectivité, elle ne comprend pas seulement la rigueur dans la saisie des dossiers, mais aussi le fait que ni le patient ni le médecin ne sache quel traitement ou quelle procédure a été mis(e) en place, si ça n’est pas possible l’évaluation doit être faite par un tiers indépendant. Nombre de biais sont possibles, contrôlables ou incontrôlables, admis et explicités ou sournois, non seulement à l’inclusion des patients mais aussi dans les critères d’évaluation. Globalement, la réalisation d’une étude de qualité est difficile, l’étude parfaite est rare ; d’où l’intérêt des revues systématiques et des méta-analyses.

L’essai comparatif contrôlé randomisé en double aveugle prospectif multicentrique est actuellement le top des essais cliniques pour évaluer un traitement ou une procédure. Il est construit de telle manière que les deux bras (groupe testant le traitement ou la procédure et groupe contrôle) ne soient différents que par le traitement ou la procédure testé(e).

Il existe deux types d’essai contrôlé randomisé, l’essai explicatif et l’essai pragmatique. Le 1er est réalisé dans des centres experts et la question est « l’intervention est-elle efficace ? », le 2nd est réalisé dans tout centre traitant des patients répondants à la problématique en cause et la question est « l’intervention est-elle efficace en pratique courante ? ». Dans le 1er il y a une forte présélection avec de nombreux critères d’exclusion ayant pour but de garder un groupe où l’effet recherché sera maximal et les effets indésirables minimaux. Dans le 2nd la présélection est faible dès lors que l’indication pour l’intervention est bien respectée. Dans le 1er le suivi est strict et souvent assez lourd, l’analyse peut être faite selon différents modes, les résultats ne sont pas toujours aisément extrapolables en pratique quotidienne. Dans le 2nd le comparateur est souvent la prise en charge habituelle, le suivi est proche du suivi usuel ; la limite est que la réalisation en aveugle (surtout en double aveugle) et la détection des biais et facteurs de confusion y est difficile. L’idéal est de commencer par un essai explicatif et s’il est positif de continuer par un essai pragmatique plus large (Sackett).

On peut discuter les règles de ces essais, mais négliger les règles n’aboutit qu’à des « oui mais, si … », des « difficiles de conclure du fait de tel ou tel biais … » et des discussions sans fin. Par ailleurs la multiplication d’essais critiquables n’aboutit qu’à la diversification des moyens (et des patients), à des études de puissance insuffisante et in fine à de la perte de temps. Là encore écoutons le bon sens,; quand on construit un pont c’est pour qu’il réponde au trafic envisagé avec une marge de sécurité.

Mais comme dans nombre d'activités humaines, entre l'idéal, la théorie et la pratique, la réalité du terrain il y a des impératifs, des dérapages, des manipulations, etc... Il n'est qu'à constater le faible pourcentage d'études retenues dans les méta-analyses pour s'en convaincre.
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Le numéro de fin d’année du British Medical Journal a illustré avec humour ce risque de dérive dans les essais. En 2003, une revue systématique de la littérature montrait qu’on n’a pas d’étude contrôlée randomisée sérieuse démontrant l’efficacité du parachute dont l’intérêt ne repose de fait que sur des études observationnelles (ça se comprend …). En 2018, coup de tonnerre, un essai contrôlé randomisé montre que le port du parachute ne réduit pas le risque de décès ou de traumatisme grave en sautant d’un avion !! Quid ? en fait en regardant de plus près on s’aperçoit que l’avion n’a pas décollé et que l’étude a été réalisée au sol ….

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