Signé : Dr Joelle Laffont, Médecin Vasculaire, Toulouse
Proverbes Indiens
"Il y a des remèdes pour la maladie, il n'y en a point pour la destinée."
"Parler de ce qu'on ne connaît pas, c'est vouloir jouer aux échecs sans échiquier."
Cette infection fongique opportuniste angioinvasive rare mais grave et fulminante, causée par l'inhalation de spores qui obstruent les vaisseaux des tissus infectés entrainant des nécroses et sévit en Inde « comme une pandémie dans la pandémie », chez des patients atteints de formes sévères de Covid 19 à peine guéris, pourrait-elle se développer sur le sol français ?
Quelques cas de contaminations au variant indien ont fait leur apparition dans l’Hexagone, (rapport Santé Publique France 12 mai 2021), mais il n’y a pas lieu de craindre actuellement une flambée de cas de mucormycosis sur le territoire français. “Il existe actuellement peu de cas signalés de mucormycose liés au Covid en France, autour de dix ou quinze cas en une année de pandémie. Cela n’a rien à voir avec ce qui se passe en Inde” rassure la professeure Fanny Lanternier (médecin au service de maladies infectieuses et tropicales de l'hôpital Necker Enfants malades (AP-HP) et Centre national de référence mycoses invasives et antifongiques de l’Institut Pasteur) ; elle rapporte "une cinquantaine de cas par an en France".
Pourquoi ?
D’abord parce qu’on trouve ces champignons partout dans notre environnement, sur les plantes, les animaux, les insectes…, donc nous en respirons quotidiennement mais les humains sont pour la plupart résistants et ne laissent pas se développer d’infection. Il faut donc des conditions particulièrement favorisantes comme une infection virale respiratoire (la grippe ou le VIH par exemple favorisent l’aspergillose), une pathologie favorable sous-jacente (diabète – immunosuppression immunodépression- greffes - corticothérapie…), ou des conditions sanitaires délétères. Nous sommes dans une situation similaire avec la pandémie à SARS-CoV-2 qui fait le lit des infections opportunistes comme la mucormycose. La Covid 19 favorise l’implantation de la spore.
Ensuite parce qu’il n’y a pas (et il n’y en a pas eu lors des vagues précédentes) en France les problèmes d’approvisionnement en antifongiques que connait l’Inde.
Aussi parce qu’il n’y a qu’un faible % de cas déclarés en France où de plus, l’épidémie est annoncée en décrue ces dernières semaines ce qui réduit ce risque alors qu’en en Inde la virulence de la vague indienne actuelle est très favorable à la multiplication de ces infections opportunistes.
Quelques chiffres en Inde. Selon les autorités sanitaires indiennes, 9 Etats indiens se sont déclarés en alerte : l'État du Maharashtra plus de 2 000 cas d'infections, l’Etat du Gujarat environ 1 200. Essentiellement des patients ayant contracté le virus de la Covid-19. Le 20 mai 2021, l'Etat du Telangana a déclaré des centaines de cas. Plus de 200 malades de la mucormycose sont traités au sein de trois hôpitaux de New Delhi dans des services dédiés créés pour éviter la propagation du champignon noir et mettre à disposition des malades des traitements appropriés. Le nombre précis de cas et de décès n’est pas déterminé.
Par ailleurs en France, depuis le 5 mars 2020 les tests fongiques sur les prélèvements respiratoires effectués sur les patients atteints de formes sévères du coronavirus, sont préconisés par le Haut Conseil de la Santé Publique.
Enfin les conditions environnementales, sanitaires mais aussi de vie et d’hygiène ne sont pas comparables. Dans notre hexagone le « champignon noir » est nettement moins répandu à l’état naturel qu’en Inde ; la population est moins sujette au diabète que sur le continent indien. En parallèle, les mauvaises conditions d'hygiène dans certains hôpitaux du continent indien sont pointées du doigt ce qui bien sûr n’est pas le cas en France.
Reste le rôle possible des corticoïdes qui, s’ils sont utilisés en excès et de manière inadéquate pour le traitement de la Covid 19, favorisent la mucormycose. Ce qui a amené le Ministre de la Santé de l'État du Maharashtra Rajesh Tope à dire le 19 mai que "l'utilisation sans discrimination de stéroïdes pour soigner les patients de la COVID-19 devrait être évitée". Ce qui semble pétri de bon sens. Auquel notre Pr F.L répond que cette maladie "ne remet pas en question l'importance du traitement avec des stéroïdes" en cas d'infection par le SARS-CoV-2. Ce qui n’était pas vraiment le contenu ni l’intention des propos du ministre indien ! Il faut donc continuer à les utiliser à bon escient. Logique !
Donc pas de transposition entre les deux situations. Mais la vigilance reste la meilleure arme.
Peut-on et comment se protéger du « black fungus » ?
Il est difficile d'éviter de respirer des spores fongiques car les champignons responsables de la mucormycose sont partout dans l'environnement. Il n'y a pas de vaccin. Cependant des moyens de réduire les risques de développer une mucormycose procèdent de bons réflexes particulièrement recommandés chez les personnes avec un système immunitaire affaibli.
- Essayer d'éviter les zones avec beaucoup de poussière comme les chantiers de construction ou d'excavation. Si cela ne se peut, porter un masque facial N95.
- Éviter les activités qui impliquent un contact étroit avec le sol ou la poussière, comme les travaux de jardinage. et si c’est impossible porter des chaussures, des pantalons longs et une chemise à manches longues lorsque vous faites des activités de plein air telles que le jardinage dans des zones boisées.
- Porter des gants lors de la manipulation d'éléments tels que la terre, la mousse ou le fumier.
- Pour réduire les risques de développer une infection cutanée, désinfecter et nettoyer bien les éventuelles blessures cutanées avec du savon et de l'eau (çà ressemble assez à des gestes barrière de base), surtout si elles ont été exposées à la terre ou à la poussière.
Source : Fiche Mucormycose des Centres américains de Contrôle et de Prévention des Maladies
https://www.em-consulte.com/article/146474/mucormycoses-pulmonaires%C2%A0-difficultes-diagnostique
https://www.infectiologie.com/UserFiles/File/formation/epilly-trop/epillytrop2016.pdf
https://u-pec.userservices.exlibrisgroup.com/view/delivery/33BUCRET_INST/1273074910004611
https://u-pec.userservices.exlibrisgroup.com/view/delivery/33BUCRET_INST/1273074910004611