"Comme chacune avait compris depuis longtemps qu’elle n’était ni blanche ni mâle, que toute liberté et tout triomphe leur était interdits, elles avaient entrepris de créer autre chose qu’elles puissent devenir." Toni Morrison
"Dans ce pays, américain signifie blanc. Tout le monde doit faire un trait d'union." Toni Morrison
Chloe Ardelia Wofford Morrison connue sous le nom de Toni Morrison, née le 18 février 1931 à Lorain dans l'Ohio et morte à New York le 5 août 2019, est une romancière, essayiste, critique littéraire, dramaturge, librettiste, professeure de littérature et éditrice américaine. Elle est lauréate du prix Pulitzer en 1988 et du prix Nobel de littérature en 1993.
1870 : Sethe, esclave dans la plantation du Bon-Abri, s'est enfuie pour rejoindre la mère de son mari, Baby Suggs, la seule dont la liberté a pu être rachetée par son fils. Avant sa propre fuite, Sethe a envoyé chez sa belle-mère ses trois enfants : deux garçons et une petite fille qui commence à peine à marcher. Au cours de sa fuite, Sethe, enceinte, accouche d'une autre fille qu'elle prénomme Denver. Elle se croit, elle et ses enfants, tirée d'affaire, mais les Blancs du Bon-Abri qui recherchent les fuyards, finissent par les retrouver. Sethe, cachée dans une grange, tue sa fille. Denver, elle, sera sauvée in extremis. Sethe est emprisonnée, puis libérée et retourne vivre chez Baby Suggs. Mais le fantôme du bébé hante la maison... Un beau jour, elle se réincarne même en jeune fille et se fait appeler "Beloved", terme gravé par Sethe sur la pierre tombale de sa petite fille morte.
Cependant elle savait une chose : la plus grande peur de Sethe était la même que celle qui l'agitait, elle, Denver, au début : que Beloved parte. Qu'avant que Sethe puisse lui faire comprendre ce que cela avait signifié -le courage qu'il lui avait fallu pour tirer les dents de cette scie sous le petit menton ; pour sentir le sang de bébé jaillir comme de l'huile entre ses doigts ; pour tenir son visage de sorte que sa tête reste attachée ; pour la serrer afin d'absorber, encore, les spasmes de mort qui fulguraient à travers ce corps adoré, tout rondelet et velouté de vie- Beloved risquait de partir. De partir avant que Sethe puisse lui faire comprendre que pire -bien pire que cela- était ce dont Baby Suggs était morte, ce qu'Ella savait, ce que Payé-Acquitté avait vu et ce qui faisait trembler Paul D. Que tout Blanc avait le droit de se saisir de toute votre personne pour un oui ou pour un non. Pas seulement pour vous faire travailler, vous tuer ou vous mutiler, mais pour vous salir. Vous salir si gravement qu'il vous serait à jamais impossible de vous aimer. Vous salir si profondément que vous en oubliiez qui vous étiez et ne pouviez même plus vous en souvenir. Et qu'alors même qu'elle, Sethe, et d'autres étaient passés par là et y avaient survécu, jamais elle n'aurait pu permettre que cela arrive aux siens. Le meilleur d'elle, c'étaient ses enfants. Les Blancs pouvaient bien la salir, elle, mais pas ce qu'elle avait de meilleur, ce qu'elle avait de beau, de magique -la partie d'elle qui était propre. Pas question de rêves impossibles à rêver, à se demander si le torse sans tête, sans pieds, pendu à un arbre avec un signe dessus était son mari ou Paul D. ; si, parmi les filles qui rôtissaient dans l'incendie de l'école pour gens de couleur allumé par les patriotes, il y avait sa fille ; si une bande de Blancs avaient pénétré les parties intimes du corps de sa fille, souillé les cuisses de sa fille, puis jeté sa fille à bas du chariot. Elle pouvait être obligée de travailler dans la cour de l'abattoir, mais pas sa fille.
Et personne, personne sur cette terre, ne dresserait la liste des caractéristiques de sa fille dans la partie de la feuille de papier réservée aux animaux. Non. Oh ! non. C'était peut-être bon pour Baby Suggs de se tracasser à ce propos, de vivre avec cette probabilité. Sethe l'avait refusée et la refusait toujours.
Ces choses-là, et beaucoup d'autres, Denver entendit Sethe les dire depuis sa chaise dans le coin, essayant de persuader Beloved, la seule et unique personne qu’elle estimât devoir convaincre, que ce qu'elle avait fait était bien, parce que cela lui avait été inspiré par un véritable amour.
Grâce à ce récit, c'est une prise de conscience de la négation de l'humanité que représente l'esclavage.