Covid 19. Le virtuel s’est imposé par nécessité, la « ZOOM fatigue » s’incruste par KO.
« La parole peut dissimuler la réalité, alors que l’expression la révèle » Jean Cosnier
"Le virtuel nous assaille de tout côté. Les générations futures risqueraient de ne plus vivre dans la réalité." Ahmed Khiat
“Le virtuel est ce qui nous aide à faire advenir ce que nous ne sommes pas encore.” Philippe Quéau
À combien de réunions, de conférences ou d’apéros virtuels avez-vous participé depuis le 17 mars 2020 ?
Cisco Webex, FaceTime, GoToMeeting, Google Meet, Hangouts, Houseparty Meet, Messenger Rooms, Skype, Teams, Zoom, etc…. « Conf calls », visioconférences, réunions de travail à distance, congrès virtuel, webinar, consultations en visio, visites et voyages virtuels, e-apéro etc … font maintenant partie du quotidien.
En mars 2020, les mois de confinement généralisé et la distanciation sociale décrétés pour limiter la propagation du SARS Cov2, ont obligé des centaines de millions de personnes à travailler, à suivre des cours ou des séminaires/congrès, à consulter leur médecin ou interagir avec leurs proches, à travers un écran : les réunions en visioconférence ont envahi notre quotidien, s’enchaînant les unes aux autres, les yeux rivés aux écrans. Avec le 3ème confinement généralisé, cette activité s’est vue renforcée que ce soit pour travailler et/ou socialiser nos vies rétrécies : c’est reparti pour un Skype en famille à 19 heures, un apéro-Zoom entre amis, une réunion de bureau ou un brainstorming en Webex.
Cependant ce qui au printemps 2020 pouvait être vécu comme pratique à défaut d’être satisfaisant, est devenu un ersatz pesant. L’apéro-Zoom 2021 est bien moins sexy qu’en 2020…
La répétition de ce mode de vie « par défaut » voit apparaitre une forme d’épuisement, la « ZOOM fatigue », terme utilisé par les Anglo-saxons pour parler de cette lassitude intense ressentie à force de participer à des réunions virtuelles.
Car ces formes d’échanges « pompent » beaucoup d’énergie.
Incroyable non !! puisque que les conditions sont pourtant « tout confort » : à des horaires décents, à la maison, canapé ou fauteuil, pantoufles, jogging ou short - tee-shirt, boisson réconfortante à portée de main, silence alentour ou musique d’ambiance, luminosité adaptée !
En dehors de la fatigue visuelle facile à comprendre, ces réunions virtuelles fatiguent notre cerveau bien différemment des réunions physiques. Si les réunions en ligne évitent le stress lié au déplacement, elles sont génératrices d’une sorte de fatigue chronique (épuisement physique mental émotionnel) et pas uniquement à cause du sentiment d’isolement.
Pourquoi une telle réaction de lassitude s'infiltre-t-elle progressivement dans les esprits, et in fine conduit à un dégoût de la visioconférence, poussant à rechigner devant la moindre visio-invitation ?
La raison est simple et trouve son origine dans la nature même de la communication chez l'humain, basée sur l’interprétation du langage corporel. Lors d'une réunion présentielle où nous interagissons avec des personnes, nous émettons en permanence tout un ensemble de signes sociaux définis dans la communication non verbale, qui viennent renforcer et crédibiliser la communication verbale s’ils sont adaptés, et à l'inverse peuvent la décrédibiliser.
Les expressions faciales, les regards, les intonations vocales (ton/hauteur de voix), les gestes, la posture et les comportements de relation spatiale (rapprochements, prise de distance), les mouvements du corps (hochement de tête, lever de sourcil, haussement d’épaules, mouvements des mains), l’apparence générale sont autant de signaux communicatifs qui arrivent en simultané au cerveau, lequel de façon inconsciente les repère et les interprète automatiquement pour déterminer quelle posture adopter ou quelle voix prendre pour interagir convenablement.
Ces signes non verbaux puissants acteurs de communication, souvent inconscients, sont moins nombreux en visio où ce que nous voyons de l’autre est « tronqué ». Difficile de discerner les gestes d'une personne en visio si sa caméra est cadrée au niveau des épaules. Les signaux visuels s’effacent, sans que nous en soyons conscients, ce qui change le référentiel. Ne pas pouvoir analyser le langage corporel des interlocuteurs trouble notre sociabilité : « la relation à l’autre n’est plus la même ».
Il est plus compliqué de comprendre un message et il n'est pas aisé de faire passer un message. L’attention n'est pas automatique, il existe une dissonance.,.
En temps normal, la plupart des gens s’adressent la parole en se regardant dans les yeux, le contact visuel permet de stimuler le système attentionnel et de renforcer la mémorisation. Où que ce soit placée la webcam, la visioconférence ne le permet pas, chaque participant a plutôt tendance à maintenir le regard sur l'écran, n'observant pas directement les autres dans les yeux, mais uniquement leur rendu filmé. L’absence de contact visuel est interprétée par le cerveau comme « un évitement du regard », réaction inconsciente et automatique qui donne « l'impression que la personne est sur la défensive ou inattentive ».
Pendant les réunions « classiques », on peut « se dégourdir » les yeux (observer le décor le mobilier l’extérieur la présentation projetée, griffonner sur une feuille) et le cerveau fait une pause. En ligne, tout le monde regarde tout le monde - sans échappatoire sous l’œil de la caméra : c’est zoom sur les yeux et les visages ! Cette promiscuité visuelle n’est pas saine, elle peut générer du stress.
Pire encore, la technologie grâce à laquelle s’établit ce type de relations à distance possède ses propres défauts soit autant de barrières pour notre cerveau. La réduction et la mauvaise qualité des signaux obligent à être plus attentifs pour suivre et être prêts à des moments de confusion dans la conversation. Car même avec une connexion internet optimale, la technologie restitue toujours les informations avec un léger décalage. C’est la « désynchronie » définie comme « un décalage qui se calcule peut-être en millisecondes : un décalage de 1,2 seconde pourrait suffire à être perçu comme moins amical ou moins concentré. Les retards d’image et de son font que les images et les expressions du visage se figent, la synchronicité dans l'échange des regards disparait, la voix (le ton) de l’interlocuteur peut être altérée, ce qui dérange l’esprit en induisant des réponses décalées ou hachées : ceci introduit soit une superposition des conversations, soit un silence potentiellement générateur de malaise. Autres sources de distraction : les notifications, le tchat sur le côté, ou encore ces fonds d’écran Zoom qui forcent à composer avec autant d’environnements différents, ajoutant à la cacophonie. La concentration et le naturel de l’échange sont perturbés, avec à la clef une interprétation négative des interlocuteurs.
Il faut aussi ne pas trop bouger devant son écran, rester assis pendant une longue période dans la même position pas forcément confortable pour être dans le cadre, avec un champ de vision limité qui rétrécit l’imaginaire et la capacité à penser.
Il faut à toutes fins maîtriser l’environnement sonore : éviter les bruits parasites émis par les interlocuteurs ou par son propre environnement, ce qui conduit souvent à couper le micro quand on n'a pas la parole, afin de ne pas perturber la réunion et/ou nuire à son image : conséquence on détecte encore moins de signaux, stress supplémentaire.
« Trop de visages, pas assez d’indices. » La visioconférence perturbe la fluidité et le rythme de l'échange car il devient très difficile de trouver un rythme spontané, avec la même distribution de la parole réglementée de manière inconsciente par les signes non verbaux. Au cours d’une réunion physique, nous savons qui dirige la rencontre et qui sont les personnes un peu « influentes ». Dans une réunion virtuelle, la hiérarchie sociale disparait. La situation se complique pour le cerveau, quand la multiplication des interlocuteurs réduit leurs visages à la taille d’un « timbre-poste », comme si on devait jouer à « Où est Charlie ? ». Tous les carrés sont les mêmes sans position dominante. Sans cette distinction physique, notre cerveau doit travailler davantage pour se souvenir de qui serait le leader et aussi composer avec les interlocuteurs qui s’attachent à occuper bruyamment l’espace et ceux qui restent plus effacés pour ne pas paraitre incorrects et ce même s’ils ont à s’exprimer.
Pendant une visioconférence notre cerveau ne peut être attentif , à un niveau constant et prolongé, à toutes les expressions des visages plus difficilement identifiables entre deux tressautements d’écran, ni à toutes les interventions des interlocuteurs : alors il jongle avec une multitude de tâches, sans se concentrer pleinement sur l'une d'elles, il se met en « attention partielle continue ».
Enfin et ce n’est pas anodin, l’écran devient un miroir gênant. « Être en visioconférence, c’est savoir que tout le monde nous regarde….comme être sur scène, ce qui provoque une pression sociale, crée l'impression de devoir jouer un rôle ». Si la visioconférence bouleverse la perception des autres, elle modifie également le regard porté sur soi-même. En temps normal, nous ne voyons pas notre propre visage et nos expressions quand nous parlons à quelqu'un.
En visioconférence, se voir à l'écran est un facteur perturbant qui joue sur l'anxiété et la fatigue mentale. Se voir à l’écran pendant la discussion avec les autres, contraint son esprit à se demander quelle posture adopter ou à se focaliser sur ses propres expressions du visage. Si celles-ci sont négatives (comme la colère et le dégoût) cela peut entraîner des émotions plus intenses. Cet « effet miroir », en plus de ne pas avoir son équivalent dans la vie réelle, est nocif.
Sans ignorer qu’il est extrêmement intrusif de voir les moments de vie professionnelle et personnelle, d’ordinaire séparés, réunis dans un même outil.
Croire qu’une visioconférence en groupe est un tout-en-un efficace pour avancer facilement dans son travail est un leurre. Au contraire, c’est un multi-tâche dont le cerveau ressort le plus souvent épuisé.
Les réunions en visio quelle que soit leur nature, génèrent un inconfort global quand l’expérience se multiplie trop souvent sans motif percutant laissant alors un sentiment de perte de temps, surtout lorsqu’elle s’inscrit comme actuellement dans un contexte persistant pandémique particulièrement éprouvant psychologiquement et même physiquement.
Notre cerveau comme un muscle, peut apprendre et se développer avec ces nouveaux usages, cependant en attendant que cesse ce recours massif au non convivial qui fait le confort des handicapés du contact et le désespoir des bienheureux dans la sociabilité, comment éviter de succomber à ce dégoût des écrans ?
- Ne pas reproduire les erreurs des réunions physiques.
- Evaluer la pertinence des réunions en visio et bannir la « visionite » aigue, donc
- Alterner avec d’autres moyens d’interaction : e- mails, conférence téléphonique, messagerie instantanée, travail sur documents partagés….
- Organiser efficacement la réunion (durée ordre du jour document de suivis…)
- Raccourcir la durée pour se concentrer sur ce qui est essentiel, rendre la réunion productive et non pas ennuyeuse.
- Etablir des règles d’échanges.
- Planifier des réunions espacées.
- Limiter les réunions tardives en soirée surtout si elles n’ont aucun caractère d’urgence.
- Enlever le retour de sa propre vidéo pendant la visioconférence et interagir par la voix seule.
- Bouger pour penser mieux (cf. Aristote), faire des pauses visuelles et fermer les yeux, webcam désactivée évidemment !
- Equiper par défaut nos écrans d’un filtre qui limite les effets nocifs de la lumière bleue.
Source :
Pourquoi la visioconférence met-elle notre cerveau K.-O. (et comment riposter) ? (francetvinfo.fr)
Pourquoi les écrans et les visioconférences nous fatiguent autant ? (journaldugeek.com)