Francis Couturaud

  • Entretien avec Francis Couturaud : MTEV , durée du traitement
    “Quand les mouettes ont pied, il est temps de virer.” Proverbe Breton

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    Thème  : MTEV et durée du traitement anticoagulant
    La durée du traitement après un épisode de MTEV (EP/TVP)  est un problème quotidien en médecine vasculaire. Nous devons l'envisager en évaluant la balance bénéfice-risque, le risque de récidive et le risque hémorragique. Mais aussi on doit tenir compte des souhaits du patient. Il fallait donc avoir l'avis d'un expert sur cette question. Un grand merci à Francis Couturaud d'avoir accepté cet entretien afin de "baliser" cette décision.

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    Pr Francis Couturaud

    Département de Médecine Interne et Pneumologie, Centre Hospitalo-Universitaire de Brest, Brest, France
    EA 3878, INSERM CIC 1412, Université de Bretagne Occidentale, Brest, France
    FCRIN INNOVTE, France




    Question 1

    La durée du traitement anticoagulant en cas de MTEV (TVP et ou EP), est toujours une question difficile. De plus les patients sont soit pressés de stopper ou au contraire de poursuivre l’anticoagulation. Quels sont les circonstances où le traitement peut être stoppé rapidement de 6 semaines à 3/ 6 mois.

    Il s’agit des circonstances dans lesquelles le facteur déclenchant est majeur et transitoire : transitoire veut dire réversible, et majeur signifie que la « disparition » du facteur de risque dans le temps est associée à un risque de récidive si faible qu’il justifie un arrêt du traitement anticoagulant (maximum 6 mois). Ces facteurs sont : la chirurgie (avec anesthésie générale > 30 minutes), les traumatismes avec fracture ou plâtre, les alitements de plus de 3 jours pour affection médicale aiguë, le tout dans les 3 mois précédent la MTEV. En outre, en France, dans nos recommandations, nous avons aussi classé les facteurs hormonaux (pilule oestro-progestative, grossesse et post-partum, et traitement hormonal de la ménopause, dans les 3 mois précédent la MTEV) comme facteurs majeurs transitoires : en effet, si le risque d’un premier épisode de MTEV est modéré, en revanche, en termes de récidives, les conséquences sont MAJEURES. Les études sont abondantes sur le très faible risque de récidive dans ces contextes une fois l’exposition hormonale stoppée. Nos recommandations diffèrent ainsi du consensus européen (ESC/ERS).

    Question 2
    En cas de TVP proximale avec facteur déclenchant, en dehors des circonstances cliniques qui expliquent la TVP, dispose-t'on d’autres d’arguments pour prolonger la durée des anticoagulants : obstruction résiduelle, grosse jambe, D Dimères, thrombophilie, pathologie inflammatoire ?

    Ces facteurs ne sont pas associés à un risque indépendant accru de récidive et ils ne sauraient supplanter l’information déterminante apportée par la présence d’un facteur majeur transitoire ; ils ne peuvent donc pas conduire à prolonger le traitement au-delà de 3 ou 6 mois dans le contexte d’une TVP proximale provoquée par un facteur majeur transitoire. Pour mémoire, la recherche d’une thrombophilie n’est pas indiquée dans le cadre d’une TVP provoquée.

    Question 3
    En cas d’EP proximale avec facteur déclenchant, en dehors des circonstances cliniques qui expliquent l’EP, dispose-t-on d’autres d’arguments pour prolonger la durée des anticoagulants obstruction résiduelle, D Dimères, thrombophilie, pathologie inflammatoire, HTAP ou autres ?

    Excepté l’hypertension pulmonaire thrombo-embolique chronique, qui justifie formellement un traitement anticoagulant par AVK pour une durée non limitée (en plus de la prise en charge médicale ou chirurgicale spécifique), les autres facteurs (obstruction résiduelle, D-dimères, pathologie inflammatoire) ne sont pas associés à un risque suffisamment élevé pour justifier de prolonger le traitement dans le cadre d’une EP provoquée par un facteur majeur transitoire. Pour mémoire, la recherche d’une thrombophilie n’est pas indiquée dans le cadre d’une EP provoquée.


    Question 4

    La tentation de l’extension de l’anticoagulation par un AOD en cas de MTEV « idiopathique » ou « plus ou moins idiopathique » est une réalité. Bientôt les « LOW DOSE » vont supplanter les « FULL DOSE ». Peux tu préciser à la fois les indications possibles et les contre-indications de cette « LOW attitude thérapeutique »

    L’essai « RENOVE » (randomisation low- versus full-dose d’AOD), dont le recrutement est presque achevé (2500 patients inclus) adresse directement cette question majeure d’une LOW-DOSE chez des patients à haut risque de récidive. Dans l’attente de ces résultats, il faut bien se rappeler des critères d’inclusion dans les études EINSTEIN-CHOICE et AMPLIFY-extension : patients pour lesquels l’indication à prolonger le traitement au-delà de 6 mois est incertaine (en gros, 50/50 en faveur ou défaveur). Il ne s’agit donc pas de patients à très haut risque de récidive dans ces essais. En pratique, les patients éligibles à un traitement LOW-DOSE pour une durée non limitée sont ceux ayant un premier épisode de MTEV non provoquée par un facteur majeur transitoire, en l’absence de cancer, et sans critères de sévérité (EP à risque faible ou intermédiaire faible, TVP proximale jusqu’en fémorale) sont éligibles. Par contre, ne sont pas éligibles, car non inclus dans ces essais industriels, les patients avec EP à haut risque de décès, les MTEV non provoquées récidivantes ni les MTEV avec thrombophilie majeure (antithrombine, et encore moins les antiphospholipides où le recours aux AVK est à discuter notamment pour les triples positifs); de même, les patients avec EP à risque intermédiaire élevé ou thromboses ilio-caves sont sous représentés dans ces essais, dans ma pratique (hors essai thérapeutique), je ne leur propose pas la demi-dose.

    Question 5
    Quelles est la durée de l’anticoagulation en cas de CANCER et MTEV ?
    Sur la base des recommandations françaises, on poursuit le traitement tant que le cancer est actif (non en rémission ou cancer évolutif) et/ou tant qu’un traitement anticancéreux est nécessaire.

    Question 6

    En cas d’EP asymptomatique découverte sur un scanner au décours d’un cancer doit-on traiter ? Quel est le risque ? En cas de TVP de site inhabituelle (splanchnique, VS, VC…) découverte sur un scanner au décours d’un cancer adopte-t-on les mêmes recommandations pour l’anticoagulation. Enfin quelle anticoagulation pour les mêmes découvertes de MTEV asymptomatique mais en dehors du cancer

    Les EP fortuites (= EP non suspectées, qu’elles soient asymptomatiques ou non) dans le cancer sont traités de la même manière qu’une EP suspectée symptomatique dans le contexte du cancer ou hors cancer. Pour les thromboses veineuses profondes de localisation atypique, on traite selon les mêmes modalités qu’une thrombose de localisation « classique » (TVP membres inférieurs ou EP). Ceci dit, nous ne disposons d’aucune bonne étude sur le sujet. Dans ces situations, il est plus que jamais crucial de peser le risque thrombotique au regard du risque hémorragique (ex : thrombose ovarienne : il faut se concerter). Maître mot : décider à plusieurs !

    Enfin une MTEV asymptomatique hors cancer est traitée de la même façon qu’une MTEV symptomatique hors cancer.

    Question 7
    La durée de l’anticoagulation en termes de bénéfice risque tient compte du risque hémorragique et du risque de récidive. Ces deux risques sont différents selon les localisations de la MTEV, selon l’existence d’un cancer ou non. Selon toi peux-tu résumer les caractéristiques des patients à risque hémorragique majeur et ceux à risque de récidives majeurs ?

    Point crucial et difficile car certains facteurs sont à la fois des facteurs de récidive de MTEV et aussi des facteurs hémorragiques (ex : cancer, sujet âgé)

    Les patients à risque majeur de récidivesont les patients avec MTEV non provoquée récidivante, les EP non provoquées à haut risque de décès (on craint surtout le risque de décès par récidive ici), les MTEV non provoquées avec thrombophilie majeure (antiphospholipides et déficit en antithrombine) et les MTEV dans le contexte d’un cancer actif ou sous traitement anticancéreux.

    Les patients à très haut risque hémorragique sont les patients avec anémie (facteur majeur), les insuffisants rénaux, le cancer, les antécédents d’hémorragie sous traitement anticoagulant, l’âge (>75 ans notamment). D’autres paramètres sont à risque hémorragique grave comme l’hypertension artérielle non contrôlée. Dans le cancer, qui est aussi une circonstance à très haut risque de récidive de MTEV, certaines localisations saignent plus, quel que soit le type d’anticoagulant d’ailleurs (HBPM ou AOD) : cancer digestif haut (oeso-gastrique) et urologique (vessie), métastases cérébrales. Enfin certaines associations médicamenteuses augmentent le risque hémorragique : les antiagrégants, certaines chimiothérapies (anti-angiogéniques, anti-tyrosine kinase notamment).

    Merci Francis de tes réponses, toujours fondées sur les preuves. Merci aussi article après article, congrès après congrès d'accompagner la Médecine Vasculaire et de toujours répondre présent.