Marc Righini

  • Entretien Marc Righini : EP SOUS SEGMENTAIRES

    “L'impossible recule devant celui qui avance.” Proverbe Suisse

    "La vraie grandeur mystique du Karaté se trouve dans la profondeur, l'ampleur et l'immensité des philosophies orientales qui sont derrière lui".Masutatsu Oyama


    Les embolies pulmonaires sous segmentaires font la une depuis quelques années . Elles alimentent les discussions et même, la controverse. Il était donc utile de faire le point sur cette entité avec le Pr Marc Righini qui connaît parfaitement ce sujet et qui a accepté cet entretien avec https://medvasc.info/


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    Marc Righini effectue ses études de médecine à Genève. Il obtient son diplôme en 1994, complété par des spécialisations en médecine interne (FMH en 2000) et en angiologie-hémostase (FMH en 2001).
    Il effectue ensuite un stage aux CHU de Montpellier et Nîmes dans le but d’acquérir des compétences en échographie vasculaire. Responsable de l’unité d’angiologie des HUG depuis 2012, il prend la tête du Service d’angiologie et hémostase en 2015. 
    Ses recherches concernent essentiellement les maladies thromboemboliques veineuses, notamment le diagnostic et le traitement de l’embolie pulmonaire et de la thrombose veineuse profonde. Membre de plusieurs sociétés savantes nationales et internationales, il anime également de nombreuses collaborations scientifiques en Europe et au Canada. Privat-docent au Département de médecine interne des spécialités de la Faculté de médecine de l’UNIGE en 2006, il est promu à la fonction de professeur assistant en 2014, avant d’être nommé professeur ordinaire en novembre 2015.


    L’embolie pulmonaire est une entité clinique de mieux en mieux connue, par contre il existe une littérature de plus en plus abondante sur les EP sous segmentaires, ce tableau clinique a intégré notre pratique. Peux-tu Marc nous en donner une définition précise ?

    C’est une bonne question. Mais à part la définition radiologique, je devrais dire scannographique, qui fait maintenant l’objet d’un consensus (1 SSPE visible sur deux coupes de CT etc.), il n’y a pas de tableau clinique spécifique. La plupart des patients vont se présenter avec une douleur thoracique et/ou une dyspnée qui ne les différencient en rien d’une EP plus proximale. Par contre, certains critères de gravité tels que l’hypoxémie ou l’instabilité hémodynamique sont bien sûr moins fréquents. La présence concomitante d’une TVP proximale est aussi plus rare lors d’une EP sous-segmentaire que lors d’une TVP plus proximale.

     

    Quelle est la symptomatologie clinique d’une EP sous segmentaire ? Existe-t-elle ?

    Comme discuté ci-dessus, il n’y a pas forcément de symptomatologie spécifique. Mais si on considère le spectre de présentation de l’EP qui va de la douleur thoracique au décès, on est bien sûr plutôt du côté de la douleur thoracique, associée ou non à une dyspnée,que du côté de l’arrêt cardiaque.

    L’angio scanner est l’examen référence en matière d’EP sous segmentaires mais qu’en est-il des scores de probabilité, des scores de gravité, des D Dimères ?

    Le scanner multi-barrettes est en effet devenu le gold standard moderne pour le diagnostic d’embolie pulmonaire, remplaçant ainsi l’angiographie pulmonaire.

    Il est important de rappeler que les EP sous segmentaires n’étaient pas visualisées avec les CT mono-barrettes et la scintigraphie de V/P. Malgré cela, l’avènement du CT multi-barrettes n’a pas réduit le taux d’événement thromboembolique à trois mois, ce qui qui suggère que le fait de ne pas diagnostiquer ces « EP » ne portait à conséquence pour les patients. Par ailleurs, les données épidémiologiques aux Etats-Unis montrent que l’avènement du CT multi-barrette a augmenté l’incidence de l’EP (en particulier en augmentant la fréquence des EP sous segmentaires diagnostiquée, et donc traitées) alors que la mortalité de l’EP n’a pas changé. Ceci suggère que le fait de traiter ces EP sous segmentaires, ne change pas réellement le pronostic des patients.

    Un autre point important est que la valeur prédictive positive du scanner au niveau sous-segmentaire (comparé à l’angiographie pulmonaire) est mauvaise, environ de 25%. Ce qui veut dire que la plupart des images de défects intraluminaux rapportés au niveau sous segmentaire au CT ne seraient pas diagnostiquées comme étant des embolies pulmonaires sous-segmentaires si on faisait une angiographie pulmonaire. Ceci complique passablement la prise en charge et nécessite à chaque fois une relecture par un radiologue expérimenté avant de retenir le diagnostic. En ce qui concerne les scores de gravité, ils restent utiles pour identifier les patients qui peuvent rentrer à domicile (PESI, sPESI, Hestia).

    Les D-dimères gardent un rôle fondamental dans ce contexte. En effet, le fait d’avoir un D-dimère négatif, même en présence d’une EP sous segmentaire isolée, identifie des patients qui ont un taux d’événement thromboembolique à trois mois inférieur à 0.2% sans anticoagulation (pour rappel : risque de récidive après un CT négatif : 1%). C’est une bonne façon d’identifier des patients avec une EP sous segmentaire isolé chez qui un traitement anticoagulant n’est probablement pas indispensable.

    Au-delà du raisonnement concernant les D-dimères, une étude de cohorte récente a montré que le risque de récidive en cas d’embolie pulmonaire sous segmentaire non traitéeétait de l’ordre de 2%. Ceci correspond au risque de récidive thrombo-embolique pour des EP plus proximales traitéesdans les études EINSTEIN ou HOKUSAI, par exemple. La dangerosité des EP sous segmentaires isolées est donc bien moindre que celle des EP plus proximales. Par contre, la même étude suggère un risque plus élevé de récidive pour les EP sous segmentaires multiples non traitées. Celles-ci nécessitent probablement un traitement anticoagulant.


    Une question importante, quelle est la différence pronostique entre les EP sous segmentaires de découverte fortuite asymptomatique et celles qui sont symptomatiques dans le cancer et hors cancer. Quel est taux de récidive et sous quelle forme ?

    Malheureusement, les données de la littérature sont très limitées. Il y a déjà un doute quant à une différence de pronostic entre les EP sous segmentaires par rapport aux EP plus proximales. Certaines études rapportent un pronostic tout à fait semblable, d’autre un meilleur pronostic pour les EP sous-segmentaires.

    En ce qui concerne les EP sous segmentaires de découverte fortuite dans un contexte oncologique, leur taux varie de 1-5% selon les études et la plupart des recommandations suggèrent de traiter les EP symptomatiques ou de découverte fortuite de la même manière. On n’a pas de données très solides sur leur pronostic.

    Faut il traiter TOUTES les EP sous segmentaires et comment et pendant combien de temps ?

    Je pense qu’il faut proposer une démarche radiologique et clinique avant de se poser la question de l’anticoagulation. Voici quelques étapes :

    1. Vérifier avec un radiologue expérimenté qu’il s’agit bien d’une EP sous-segmentaire isolée.

    2. Réaliser un écho-Doppler des MI à la recherche d’une TVP proximale. Si une TVP est retrouvée, il faudra traiter le patient.

    3. Effectuer un dosage des D-dimères pour les patients ambulatoires, car un test D-dimères négatif garantit un taux d’événement thromboembolique quasi nul à trois en l’absence d’anticoagulation.

    4. Intégrer la clinique car une EP sous-segmentaire du lobe inférieur droit alors que le patient présente une douleur thoracique haute à gauche rend la probabilité d’un faux positif du CT plus élevée.

    5. Evaluer le risque hémorragique car s’il est élevé le rapport bénéfice-risque de l’anticoagulation pour une EP sous segmentaire n’est pas favorable.

    6. Prendre en compte le contexte du patient. Un contexte néoplasique va nous pousser vers un traitement anticoagulant, sauf si le risque hémorragique est élevé.

    7. Discuter avec le patient des doutes quant à la nécessité de traitement et de ses préférences éventuelles.

    8. Si possible, l’inclure dans l’étude randomisée SAFE-SSPE qui apportera, je l’espère, des données plus robustes quant à la prise en charge de ces patients.

    Donc en résumé : Il y a certainement une proportion non négligeable d’EP sous segmentaires isolées qui ne nécessitent pas de traitement, en particulier chez des patients qui ont une bonne réserve cardio-pulmonaire. Si on les traite par anticoagulant, il faut viser 3 mois, mais il n’y a aucune donnée de comparaison de durée de traitement en cas d’EP sous-segmentaire isolée.

    EP sous segmentaires et HTP-TEC, ça existe ?

    Je pense que personne ne le sait. On peut imaginer que des récidives d’embolies sous-segmentaires répétées et asymptomatiques puissent favoriser une CTEPH mais je pense que le rôle de la thrombose in situ est sous-estimé dans cette pathologie.

    Merci Marc pour ces réponses claires et argumentées, directement applicables à la "vie réelle" qui fait notre quotidien.