" Le monde est plein de choses claires que personne ne remarque jamais. "Le Chien des Baskerville (1902) de Arthur Conan Doyle
“En science, la phrase la plus excitante que l'on peut entendre, celle qui annonce des nouvelles découvertes, ce n'est pas "Eureka" mais c'est "drôle".” Isaac Asimov
Nouvelle rubrique avec Simon Soudet , Médecin Vasculaire, Department of Vascular Medicine, CHU Amiens Picardie et EA7516 CHIMERE, Universite Jules Vernes Picardie, Amiens, France à propos de cet article : JAK2 allele burden is correlated with a risk of venous but not arterial thrombosis,Simon Soudet , Gaelle Le Roy , Estelle Cadet , Audrey Michaud , Pierre Morel , Jean Pierre Marolleau , Marie Antoinette Sevestre ,Thrombosis Research 211 (2022) 1–5
https://www.sciencedirect.com/science/article/abs/pii/S0049384822000111
La charge allélique JAK2 est corrélée à un risque de thrombose veineuse mais pas artérielle
Cette rubrique "ENTRETIEN AVEC L'AUTEUR" a pour but d'interviewé l'auteur d'un article récent afin qu'il nous fasse partager ce qui a motivé cet article et d'aller plus loins que sa simple lecture.
Simon Soudet , Chef de Cliniquue Assistant, Service de Médecine Vasculaire au CHU Amiens Picardie
Merci à Simon Soudet "d'essuyer les plâtres" avec brio
Votre objectif était d'étudier le rôle de la charge allélique de la mutation JAK2V617F dans le risque d'événements cardiovasculaires (EVC) et/ou de thrombose veineuse (TEV) dans une cohorte de patients atteints de : Philadelphia chromosome, negative chronic myeloproliferative neoplasms (MPN) include polycythemia vera (PV), essential thrombosis(ET) and primary myelofibrosis (PM)confirmés ainsi que chez les patients sans MPN confirmé. Pourquoi cette démarche ?
L'idée peut paraître effectivement surprenante : pourquoi s'intéresser à une mutation responsable d'une maladie plutôt que de s'intéresser aux patients avec une pathologie donnée?
Deux raisons à cela :
- En tant que médecins vasculaires nous prescrivons parfois la recherche de la mutation JAK2V617F dans le cadre du bilan étiologique d'une thrombose (le plus souvent atypique ou splanchnique) alors que le patient n'a pas (encore) de diagnostic de syndrome myéloprolifératif. Parfois la mutation est positive avant de pouvoir réunir l'ensemble des critères pour classer le patient dans un cadre nosologique donné. Notamment si la numération formule sanguine est normale. Notre question était donc d'interroger l'évolution des ces patients.
- Il existe des arguments physiopathologiques pour penser que la mutation JAK2V617F en elle même a rôle dans le processus de la thrombose. Dans notre étude, nous montrons que plus la charge allélique est élevée, plus le risque est important, cependant, le risque persiste même en cas de mutation à faible taux, ce qui vient confirmer d'autres études précédentes. Cette démarche est à rapprocher de la recherche de Clonalité Hématoipoiétique de Signification Indéterminée (CHIP), qui est définie par la présence d'une mutation acquise à faible taux en l'absence d'anomalie de la numération formule sanguine. Des preuves s'accumulent pour penser que cette CHIP pourrait etre un facteur de risque thrombotique veineux et artériel. La mutation JAK2V617F fait partie des gènes définissant cette CHIP, et notre étude va dans le sens d'un impact propre de cette mutation en termes de thrombose, quel que soit le cadre nosologique.
Évidemment, la stratification du risque thrombotique d'un patient ne repose pas sur la seule présence d'une mutation génétique mais nécessite une approche globale du patient (expertise notamment du médecin vasculaire), nous montrons tout de même une différence de risque selon le diagnostic de syndrome myéloprolifératif.
Pour cette mutation JAK2V617F , pouvez-nous nous expliquer ce qu'est la charge allélique
La charge allélique est également appelée ratio allélique.
C'est le pourcentage ou le rapport des allèles mutées sur les allèles non mutées. L'intérêt est de comprendre que ce taux est dynamique dans le temps et que la charge allélique augmente au cours du temps, meme si son histoire naturelle n'est pas connue précisément. Aujourd'hui, le suivi dans le temps de cette charge allélique n'est pas recommandée ni même faite en routine. Notre étude ne permet pas de proposer un suivi régulier de ce taux, mais ces résultats interrogent sur l'intérêt de mesurer ce taux dans l'évolution d'un patient.
Si cette charge est < ou > 50% , quelles sont les conséquences pratiques en terme d'anticoagulation en cas de THROMBOSE VEINEUSE
En cas de syndrome myéloprolifératif, notre attitude est aidée par plusieurs publications montrant que la première cause de mortalité de ces patients est d'origine thrombotique. En cas de thrombose veineuse associée la prolongation du traitement semble justifiée et fait basculer le patient dans les groupes à haut risque. C'est dans ce groupe que la charge allélique est le plus souvent supérieure à 50%.
Si l'on considère les patients avec charge allélique faible (inférieure à 50% et notamment ceux à quelques %) et sans maladie hématologique, la durée d'anticoagulation doit probablement etre conditionnée par les facteurs de risque transitoires ou non, notamment le caractère provoqué ou non et bien sur la clinique intiale (TVP/EP/splanchnique). Nous avons besoin de plus de données et d'essais mais il semble raisonnable de considérer que la présence d'une mutation JAK2V617F est un facteur de risque additionnel persistant. Sa présence incite donc à prolonger le traitement mais au terme d'une évaluation rigoureuse de la situation de chaque patient, c'est toujours une prise en charge personnalisée.
Beaucoup de questions restent en suspens, notamment si l'on considère que JAK2V617F n'est qu'une mutation parmi d'autres. Les liens entre anomalie de l'hématopoièse et le risque de thrombose veineuse et artérielle sont un sujet en développement, notamment grâce au développement de techniques de séquençage de plus en plus sensibles. Les années à venir devraient permettre de mieux cerner l'attitude thérapeutique.
Pensez-vous que le recherche de la mutation JAK2V617F hors Sd myéloprolifératif soit utile dans le bilan de thrombophilie soit intéressante, voire utile ou inutile , à titre systématique ou à titre ponctuel
Tout d'abord, la prescription d'une analyse génétique, même acquise, n'est jamais anodine et les conséquences du résultat doivent pouvoir etre expliquées au patient. La découverte d'une mutation avec charge allélique faible peut etre anxiogène ("attendre" l'apparition d'une possible maladie hématologique) chez certains patients et le suivi / évolution de telles mutations n'est actuellement pas consensuel.
La fréquence de positivité de la recherche de JAK2V617F chez le patient avec thrombose "tout venant" est faible et ne se justifie pas. Par contre en cas d'atypie, de maladie récidivante ou en cas d'anomalie de la numération formule sanguine cette recherche a tout son sens. C'est un outil permettant parfois d'avoir une explications à des histoires thrombotiques complexes et/ ou récidivantes et nous montrons sont potentiel impact pronostic.
En tant que médecin vasculaire, nous sommes fréquemment confrontés à l'absence d'explication de la survenue d'une thrombose. La recherche de la mutation JAK2V617F est un outil de deuxième ligne après discussion de l'intéret de la recherche avec le patient
Merci Simon, je conseille à toutes et à tous de lire cet article très intéressant.
Une remarque la recherche de la mutation JAK2V617F fait l'objet d'un remboursement à l'hôpital mais pas en ville, où eel est très couteuse.