« Ceux qui disaient que… »

« Ceux qui disaient que… »

 

Signé : Dr Joelle Laffont, Médecine Vasculaire, Toulouse

 "Il n'y a pas six ou sept merveilles dans le monde, il n'y en a qu'une : c'est l'amour." Jacques Prévert

Un très beau texte de Jacques Prévert revisité par François Morel.

Poésie et Humour un heureux mélange.

Le 03 avril 2020 François Morel sur les ondes de France Inter, revisitait une poésie de Jacques Prévert (« Tentative de description d’un dîner de têtes à Paris-France ») et l’adaptait avec humour à la situation inédite d’alors. Celle du 1er confinement … et pas le dernier ! Celle de ceux qui doctement parlaient et parlent encore. Celle des penseurs, des diseurs du « faire correct » selon leur expertise, des faiseurs mais surtout par les autres selon un proverbe de bon sens paysan « grand diseur petit faiseur ».

Ce texte « ancien » remis au gout du jour rimait bien avec l’ambiance de 2020, et comme par moment nous avons l’impression collective d’en être au même point ou pas plus loin, même si la perspective du « tombé de masques » nous est agitée en récompense de « l’abnégation des bons petits soldats » que nous sommes et avons été (et seront peut-être encore), voyons voir s’il sonne toujours avec un air de vrai à l’orée de l’été 2021.

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Voici le résultat de cette performance littéraire soutenue par une fine observation. Tout cela est positif tout comme notre ressenti actuel en ce déconfinement 3 

Ceux qui pieusement, ceux qui copieusement,

Ceux qui disaient « C’est rien qu’une grippe ! », « C’est un virus de plus »,

Ceux qui disaient « faudrait pas qu’ils en profitent pour annuler les élections ».

Ceux qui disaient « ce serait un déni de démocratie ».

Ceux qui disaient « ce serait un coup d’État ».

Ceux qui disaient ni plus ni moins.

Ceux qui disaient « il n’y a pas de risque dans les bureaux de vote ».

Ceux qui disaient « ils en font un peu trop quand même »,

Ceux qui disaient « le masque ne sert à rien ».

Ceux qui disaient « et puis de toute façon, c’est pas facile à mettre »,

Ceux qui parlaient fort.

Ceux qui péroraient.

Ceux qui disaient « c’est le moment de faire des bonnes affaires en Bourse aujourd’hui ». Ceux qui disaient qu’il fallait faire des économies.

Ceux qui ne savaient pas mais qui parlaient quand même. Ceux qui parlaient quand même sans savoir, mais qui en plus à la télévision, étaient payés. Ceux qui jamais ne disent « je ne sais pas ». Ceux qui n’arrivent jamais à se taire. Ceux qui continuent de l’ouvrir en ne sachant pas plus,

Ceux qui, après s’être rapidement excusés, avoir fait leur mea culpa sommaire parlent à nouveau, parlent toujours, parleront encore pour faire marcher le grand commerce de la machine à bavardage qui ne coûte pas cher et rapporte gros,

Ceux qui pieusement, ceux qui copieusement, ceux qui benoitement reléguaient les directives d’un libéralisme assumé,

Ceux qui disaient que l’hôpital était une entreprise comme une autre, ceux qui enjoignaient l’ensemble des établissements hospitaliers à résorber le déficit, ceux qui d’un revers de main balayaient l’argumentation du personnel quand il alertait les responsables en disant « nous sommes déjà en sous effectifs », ceux qui disaient aux infirmières en colère « si la situation vous insupporte vous n’avez qu’à rendre vos tabliers », ceux qui devaient pleurer de honte dans les tabliers des infirmières, ceux qui étaient sourds face à la détresse du personnel hospitalier, ceux qui osaient dire que le suicide d’un cadre hospitalier sur son lieu de travail n’avait rien à voir avec la gestion d’un hôpital, ceux qui demain seront peut-être les mêmes pour diriger les hôpitaux et la politique de santé,

Ceux qui ont du travail, ceux qui n’en n’ont pas, ceux qui en cherchent qui n’en cherchent pas,

Ceux qui l’hiver se chauffent dans les églises, ceux qui regardent leur chien mourir, ceux qui croupissent, ceux qui voudraient manger pour vivre, ceux qui n’ont jamais vu la mer, 

Ceux qui profitent du confinement pour lire Prévert. » texte de F. Morel

"Ceux qui disaient que"... François Morel relit Jacques Prévert pendant le confinement (franceinter.fr)


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Bonus parce que le plaisir des mots ne se boude pas. Merci Monsieur Prévert.

Le texte original de « Tentative de description d’un dîner de têtes à paris-france ».

Ceux qui pieusement ….

Ceux qui copieusement …

Ceux qui tricolorent

Ceux qui inaugurent

Ceux qui croient

Ceux qui croient croire

Ceux qui croa-croa

Ceux qui ont des plumes

Ceux qui grignotent

Ceux qui andromaquent

Ceux qui majusculent

Ceux qui chantent en mesure

Ceux qui brossent à reluire

Ceux qui ont du ventre

Ceux qui baissent les yeux

Ceux qui savent découper le poulet

Ceux qui sont chauves à l’intérieur de la tête

Ceux qui font les honneurs du pied

Ceux qui debout les morts

Ceux qui baïonnette… on

Ceux qui donnent des canons aux enfants

Ceux qui donnent des enfants aux canons

Ceux qui flottent et ne sombrent pas

Ceux qui ne prennent pas le
Pirée pour un homme

Ceux que leurs ailes de géants empêchent de voler

Ceux qui plantent en rêve des tessons de bouteille sur la grande muraille de Chine

Ceux qui mettent un loup sur leur visage quand ils mangent du mouton

Ceux qui volent des œufs et qui n’osent pas les faire cuire

Ceux qui ont quatre mille huit cent dix mètres de Mont-Blanc, trois cents de Tour Eiffel, vingt-cinq centimètres de tour de poitrine et qui en sont fiers

Ceux qui mamellent de la France

Ceux qui courent, volent et nous vengent, tous ceux-là, et beaucoup d’autres entraient fiévreusement à l’Elysée en faisant craquer les graviers, tous ceux-là se bousculaient, se dépêchaient, car il y avait un grand dîner de têtes et chacun s’était fait celle qu’il voulait

Ceux qui travaillent dans la mine

Ceux qui écaillent le poisson

Ceux qui mangent la mauvaise viande

Ceux qui fabriquent les épingles à cheveux

Ceux qui soufflent vides les bouteilles que d’autres boiront pleines

Ceux qui coupent leur pain avec leur couteau

Ceux qui passent leurs vacances dans les usines

Ceux qui ne savent pas ce qu’il faut dire

Ceux qui traient les vaches et ne boivent pas le lait

Ceux qu’on n’endort pas chez le dentiste

Ceux qui crachent leurs poumons dans le métro

Ceux qui fabriquent dans les caves les stylos avec lesquels d’autres écriront en plein air que tout va pour le mieux

Ceux qui ont trop à dire pour pouvoir le dire

Ceux qui ont du travail ceux qui n’en ont pas ceux qui en cherchent ceux qui n’en cherchent pas

Ceux qui donnent à boire aux chevaux ceux qui regardent leur chien mourir

Ceux qui ont le pain quotidien relativement hebdomadaire

Ceux qui l’hiver se chauffent dans les églises ceux que le suisse envoie se chauffer dehors

Ceux qui croupissent ceux qui voudraient manger pour vivre

Ceux qui voyagent sous les roues

Ceux qui regardent la Seine couler

Ceux qu’on engage, qu’on remercie, qu’on augmente, qu’on diminue, qu’on manipule, qu’on fouille, qu’on assomme

Ceux dont on prend les empreintes

Ceux qu’on fait sortir des rangs au hasard et qu’on fusille ceux qu’on fait défiler devant l’arc

Ceux qui ne savent pas se tenir dans le monde entier

Ceux qui n’ont jamais vu la mer

Ceux qui sentent le lin parce qu’ils travaillent le lin

Ceux qui n’ont pas l’eau courante

Ceux qui sont voués au bleu horizon

Ceux qui jettent le sel sur la neige moyennant un salaire absolument dérisoire

Ceux qui vieillissent plus vite que les autres

Ceux qui ne se sont pas baissés pour ramasser l’épingle

Ceux qui crèvent d’ennui le dimanche après-midi parce qu’ils voient venir le lundi et le mardi, et

le mercredi, et le jeudi, et le vendredi et le samedi et le dimanche après-midi.