Covid-19. Retour sur la chronique d’une défaite française. La médecine a-t-elle désarmé ou a-t-elle été désarmée ?

Covid-19. Retour sur la chronique d’une défaite française. La médecine a-t-elle désarmé ou a-t-elle été désarmée ?

Signé: Docteur Joëlle Laffont, Médecine Vasculaire, Toulouse

Librement adapté d’un article de Dominique Andolfatto et Dominique Labbé. In Revue politique et parlementaire 22 juin 2020

« La victoire obtenue par la violence équivaut à une défaite, car elle est momentanée. » Gandhi

« Il n'y a qu'une réponse à la défaite, et c'est la victoire. » W. Churchill


« La victoire a cent pères mais la défaite est orpheline. » John F. Kennedy

La mission d’information lancée par l’Assemblée nationale avait rendu son rapport, publié le 3 juin 2020. S’y trouvait l’une des clés permettant de comprendre les mauvais résultats de la France face à l’épidémie de la COVID-19 (1ère vague) : le désarmement de la médecine !

Certes le bilan était plutôt favorable, si l’on peut dire, avec un classement de 9ème ou 13ème épisode important de surmortalité en France depuis l’après-guerre (tableau 1 ci-contre Bilan des principaux épisodes épidémiques en termes de mortalité (depuis 1945)
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Cependant ce même bilan en comparaison avec d’autres pays « évolués » était lourd très lourd pour notre pays (tableau 2 ci-dessous Bilan comparé de l’épidémie de covid-19 dans 21 pays). (Sources : John Hopkins University. Données au 20 juin 2020.) 
jl3La France se classait alors au 3ème ou au 6ème rang des principaux pays occidentaux en termes de mortalité ; seules la Belgique et le Royaume-Uni faisaient moins bien. Et çà c’était avant, pendant la 1ère vague ! Car si l’on ajoute la « nouvelle vague » en cours nous avons une chance de figurer au prochain tableau d’honneur.

Alors pourquoi ?
La lutte moderne contre les épidémies repose sur quelques principes simples « protéger les plus faibles – dépister les malades – les mettre à l’écart et les soigner ». Depuis deux siècles le « confinement général » des populations a été abandonné, sauf lorsque la présence de l’agent infectieux est encore circonscrite à la zone où il est apparu.

2015, une grippe saisonnière. Quand elle a pris un caractère inquiétant dans l’hémisphère nord car la souche n’était pas couverte par le vaccin, elle était au moins aussi contagieuse et virulente que le SARS-coV-2 de 2019-2020 et aucune médication connue n’avait fait ses preuves contre elle. Pourtant, aucun « état d’urgence sanitaire » n’a été proclamé et durant les 9 semaines de cette épidémie, il y a eu environ 3 millions de consultations médicales pour syndromes grippaux, 30 911 passages aux urgences débouchant sur 1 597 mises en réanimation. Les généralistes qui ont absorbé l’essentiel du « choc », ont utilisé le diagnostic habituel et traité 99 % des cas avec le cocktail habituel (de bon sens pratique ?) : « garder la chambre + antiviral + antibiotique ». Dans cette équation, le premier terme était le plus important : confiné chez lui jusqu’à ce qu’il ne soit plus contagieux, le malade ne contamine pas les autres, c’est là le plus sûr moyen de freiner l’épidémie. Quant à la posologie traditionnelle, elle aide le travail du système immunitaire, prévient les infections opportunistes et diminue la durée de la contagiosité. 

En 2015, personne n’a songé à déclarer : « virus inconnu : tous aux abris ». Les écoles, les entreprises, les salles de spectacles, les restaurants sont restés ouverts. Pourtant, la surmortalité finale a été équivalente à celle qui se profilait pendant la 1ère vague de la  Covid-19… En 2015 la diffusion du virus a été limitée grâce à des précautions de routine dans le secteur hospitalier et surtout grâce au « confinement » des malades chez eux. Ces malades ont accepté de rester « confinés » chez eux parce qu’ils avaient confiance dans leur médecin et qu’ils étaient convaincus qu’on les soignait correctement. Alors la vie culturelle, sociale et économique continuait, les libertés civiles et publiques étaient préservées. Dans cet équilibre difficile entre la lutte contre l’épidémie, le respect des libertés individuelles et les nécessités de la vie collective, le « médecin de famille » a joué le rôle principal, de manière assez efficace parce qu’il était investi de la confiance des malades sinon de celle des autorités sanitaires et des pouvoirs publics.

2020 : une rupture dans la lutte contre les épidémies.
Par rapport à ce schéma traditionnel éprouvé, donnant toute sa place aux soins primaires, tout a été changé en 2020.  Les autorités publiques se sont emparées du dossier et elles ont ouvertement déclaré que la Covid-19 était une chose trop sérieuse pour laisser les médecins de ville s’en occuper. Ces derniers ont été bombardés de directives inapplicables puis on les a carrément mis sur la touche en les menaçant des plus graves sanctions s’ils persistaient à vouloir soigner.
Et le fragile équilibre a été rompu. 

2020 une double cassure.
En 2015 (comme à chaque épidémie saisonnière avant 2020), les chiffres nous disent que la médecine de ville a pris en charge 99 % des infections pulmonaires et le système hospitalier les 1 % les plus graves en structures de soins intensifs. Et cette année-là comme d’habitude, environ un décès sur deux s’est produit à domicile, soit que le patient ou son entourage refusait le transfert vers un hôpital, soit que le médecin jugeait que l’âge et l’état général du patient ne justifiaient pas une ultime tentative de sauvetage. La fonction d’« accompagnement de la fin de vie » faisait partie des fonctions traditionnelles du « médecin de famille », fonction supprimée de facto en 2020. L’état a pris en main cet accompagnement, fonction où il excelle !! 

Pour cette épidémie 2020 1ère vague, il y aurait eu : - dix fois moins de consultations en médecine de ville (généralistes + SOS médecins) qu’auparavant pour ce genre d’épidémie (247 000 au lieu d’environ 3 millions) ; plus du 1/3 des malades ont abouti à l’hôpital (contre environ 1 % avant 2020) ; et à partir du 30 mars – alors que le pic de l’épidémie n’est pas encore atteint – une chute brutale du nombre de consultations chez les généralistes qui s’en sont alarmés. Mais le Premier ministre d’alors n’avait-il pas implicitement dissuadé « les patients d’aller consulter, en expliquant doctement qu’aller voir son médecin est plus dangereux qu’aller acheter une baguette de pain ou un paquet de cigarettes »! Normalement, les trois courbes (urgences / hospitalisations/ consultations généralistes) devraient présenter le même profil. 

Or dès la fin mars, alors que l’épidémie est encore en croissance, une double cassure s’est produite.
La première cassure s’applique aux urgences. Dès la semaine du 23 mars, la courbe des urgences se rapproche de celle des hospitalisations, pour se confondre avec elle à partir du 6 avril. Situation inédite dans l’histoire sanitaire récente. D’ordinaire, une partie des patients qui arrivent aux urgences des hôpitaux repartent, après examen et soins si nécessaire, sans être hospitalisés.  Puis les services d’urgence ont fait un tri sévère, n’ont pris en charge que les cas les plus graves : un tri réalisé au téléphone, puisque lorsque le SAMU se déplace, l’intervention est comptabilisée. Enfin suivant les consignes gouvernementales largement diffusées dans les médias, la plupart des malades ont probablement attendu d’être en grande difficulté pour appeler les services de secours. 
La deuxième cassure est spectaculaire. Dès la semaine du 6 avril, le nombre des consultations chez les généralistes s’effondre, tombe à 2 663 (35 fois moins que 2 semaines plus tôt), et passe au-dessous du nombre d’hospitalisations, alors que l’épidémie est au plus haut.

2020 : triste mois de Mars. Les soins primaires interdits ? ou comment démunir la médecine de ville.

Le 14 mars, pour la première fois dans notre histoire, on prescrit aux médecins… de ne pas prescrire. Le Haut conseil de la santé publique (HCSP) recommande aux médecins généralistes de n’utiliser que le paracétamol à l’exclusion de tout autre médicament. 

Le 23 mars, le même conseil scientifique fait les recommandations suivantes aux médecins généralistes : « La détection et la prise en charge des patients atteints de COVID-19 doit se faire autant que possible en évitant la venue de ces patients en cabinet de consultation (…) Quand une consultation au cabinet est jugée indispensable par le médecin généraliste, elle se fera à des horaires dédiés pour éviter le contact avec d’autres patients non infectés, sera réalisée avec les matériels de protection nécessaires, et sera suivie des mesures de désinfection appropriées. Le transport des patients vers le cabinet et leur retour à domicile devra se faire de façon sécurisée. Si le médecin se rend au domicile du patient, les mêmes recommandations s’appliquent. »  À l’époque, les matériels de protection (masques, gants, sur-blouses…) manquent totalement. Et rapprochées du prix de la consultation, ces recommandations paraissent bien difficilement praticables.

Fin mars tout s’emballe. Le 25 mars, un décret du ministère de la Santé réserve la prescription des dérivés de la quinine aux établissements hospitaliers. Les médecins libéraux ne sont plus autorisés à la prescrire. Le 26 mars, l’ANSM (Agence nationale de sécurité du médicament) interdit aux pharmaciens de délivrer ces médicaments sauf VIH, lupus, polyarthrite rhumatoïde. Et cerise sur le gâteau, le 27 mars, le conseil scientifique du Collège national des généralistes enseignants (CENG) recommande aux médecins généralistes de ne pas prescrire de dérivés de la quinine pour la prise en charge du covid-19 « cette prescription serait contraire à l’éthique médicale ».

En pratique tout médecin qui enfreint l’éthique de sa profession peut être suspendu immédiatement par le conseil de l’Ordre. Le même jour, le conseil national de l’Ordre des médecins reprend à son compte ces injonctions leur donnant en quelque sorte force de loi. Moins d’une semaine après ces injonctions, nombre de médecins généralistes obtempéraient en fermant leur porte aux patients présentant les symptômes de la Covid-19, en refusant les visites à domicile, ne conseillant que la prise de paracétamol (en vente libre et ne justifiant donc pas de consultation) et le recours aux urgences en cas d’aggravation.  Dès lors, les patients avaient deux ultimes recours : SOS-médecins et les urgences. Cependant dès la semaine du 30 mars et alors que la maladie est toujours en expansion, les consultations SOS-médecins reculent également : elles auraient dû exploser des généralistes ayant fermé leur porte. 

Quelques médecins ont persisté à vouloir soigner et à traiter leurs patients, au moyen de la pharmacopée disponible, et non pas du seul paracétamol qui, de surcroît, n’est pas sans présenter d’effets secondaires. Et le 23 avril, face à une épidémie en progression forte et rapide, le conseil de l’Ordre s’est fait plus menaçant rappelant l’interdiction de toute tentative de traitement s’apparentant de fait à une expérimentation et ce même pour les antibiotiques « courants ». Dès lors, tout soin devait obéir à une procédure lourde et complexe (déclaration à l’ANSM) et, en fait, vouée à l’échec s’agissant de médecins libéraux. Nouveau coup bas !

Dans le même temps, début juin, les ordres départementaux de médecins annonçaient qu’ils allaient convoquer sans délai, pour explication, les rares médecins qui n’avaient pas respecté ou ne respecteraient toujours pas ces « recommandations ». Kafka écrivain de l’absurde s’il te plait, revient nous éclairer !!

2020 : Des conséquences dramatiques individuelles sociales sanitaires.

Alors que la France consacre 12 % de son revenu national à la santé, pour la première fois de l’histoire contemporaine, un nombre considérable de personnes, assurées sociales, se sont vues refuser une rencontre avec un médecin, l’écoute et les soins auxquels ils pouvaient prétendre. Contrairement aux recommandations et à la pratique médicale face aux épidémies, le malade est resté « en circulation » : il contaminé tous ceux qu’il a approché, répandu le virus partout où il est passé alors que « réquisitionné » il devait travailler. Et le personnel de santé : après avoir longuement refusé de tester systématiquement les personnels soignants, il a bien fallu reconnaître que beaucoup avaient contracté la maladie : au 14 mai, un recensement partiel indiquait que plus de 65 800 professionnels de la santé et du secteur « médico-social » ont eu une forme symptomatique de la maladie qui a conduit à les tester positifs dont 75 % travaillaient en EHPAD. Les représentants du « care » devenant ainsi vecteur, navrant.

Et « l’ami » coronavirus en a surement profité créant des « situations de superpropagation ». « On sait depuis Robert Koch [découvreur de la bactérie responsable de la tuberculose] que la séquence surveiller-tester-tracer-isoler est la base de la maîtrise des épidémies de maladie transmissible » (William Dab ancien directeur général de la santé). « Avec le manque de matériel de protection et de tests, les principales causes de l’hécatombe française résident dans la démobilisation des généralistes et dans le refus de les laisser libres d’exercer leur métier de médecin. »

Qu’en conclure ?

L’épidémie de la Covid19 n’a rien d’exceptionnel contrairement à ce que les autorités et les médias n’ont cessé de répéter. Depuis près de deux siècles, nos sociétés y ont été souvent confrontées aux « nouveaux » virus, elles ont surmonté ces épidémies sans enfermer leurs citoyens, malmener les libertés publiques ni ruiner le pays.

Si l’on considère la 1ère vague, proportionnellement à la population, il y a eu 4 à 5 fois plus de morts en France qu’en Allemagne alors que la population allemande est plus âgée, donc plus à risque et que, par tête d’habitant, les budgets de santé sont comparables. Au Portugal, le rapport est de 1 à trois ou quatre, avec une population âgée et un budget santé bien moindre. Le Japon, nettement plus âgé, touché par l’épidémie avant la France, a pourtant eu cent fois moins de morts sans pratiquer le confinement obligatoire. OK il y a eu proportionnellement à la population, plus de morts en Belgique ou au Royaume-Uni et autant en Italie et en Espagne ; ces quatre pays ont des points communs avec la France : du fait de leur impréparation et de la crise des urgences, les autorités ont choisi un confinement dur et le pilotage administratif du système de soins ! Manifestement cette voie n’est pas la bonne et l’autosatisfaction malvenue qui prévaut aujourd’hui chez les dirigeants français ne doit pas cacher des résultats très problématiques.

Au soir du 17 mars nous étions en guerre. OK seulement pour vaincre il faut une vraie première ligne de défense bien préparée et solidement armée, tous les avants au rugby vous l’expliqueront. Par imprécision et/ou amateurisme, en désarmant cette première ligne de défense, les décideurs qui pensaient faire le bien (laissons leur le bénéfice du doute) ont laissé l’ennemi se répandre librement dans la population et s’emparer des endroits stratégiques où il n’aurait jamais dû pénétrer. Si on ajoute une organisation sanitaire très centralisée, le mépris des autorités publiques pour la médecine de ville, le manque de confiance de l’Etat dans la société civile : le nœud de l’intrigue est posé. Messieurs mesdames peut-être vous faudrait-il relire « l’Etrange Défaite », écrit à chaud en 1940 par Marc Bloch officier et historien, pour tenter d’expliquer la défaite subie par l’armée française face à l’Allemagne Nazie : introspection au scalpel de la société française, ses forces et surtout ses faiblesses.
Face au covid-19, la France aurait-elle ressemblé à Balnibarbes ? Lors de son troisième voyage, Gulliver découvre Balnibarbes, pays dirigé selon les préceptes d’une académie pléthorique et richement dotée. Pourtant, sous ce gouvernement « éclairé », le pays est pauvre et misérable car les recommandations de l’académie sont toujours absurdes, à l’opposé de la logique et de l’expérience. Du coup, les champs sont stériles, les maisons délabrées, l’était sanitaire déplorable, rien ne fonctionne

D’aucun ont dit avant l’été, que l’épidémie de Covid19 tendait à disparaître en France. Cependant l’été de tous les dangers s’est installé et les cas positifs disséminés sur le territoire sont apparus comme un bon terreau pour une reprise du feu qui couve. La chaleur n’a pas tué le virus c’est une évidence contrairement au fol espoir de certains !!
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Et maintenant que le retour de notre copain « couronné » est une évidence, l'expérience peut-elle servir à ne pas renouveler les mêmes erreurs ? Avons-nous appris et mieux encore retenu, pour faire face à la nouvelle vague ?

Nos décideurs ne peuvent pas - ne pourront pas - dire ou écrire qu’ils ne savaient pas. 

Allons-nous encore accepter d’être infantilisés, contraints, punis de vouloir bien faire ? Gageons que le confinement très dur et indifférencié de toute une population ne sera ni accepté ni défendable. 

 « Victoire... Défaite... Ces mots n'ont point de sens. La vie est au-dessous de ces images, et déjà prépare de nouvelles images. Une victoire affaiblit un peuple, une défaite en réveille un autre. » Antoine de Saint Exupéry

« Face aux combats de l’impossible, quand la défaite est prévisible, vaincre le réel devient possible ! Serge Zelle

Source :
https://www.revuepolitique.fr/covid-19-une-d%C3%A9faite-%20fran%C3%A7aise/
https://www.revuepolitique.fr/destin-du-covid-19/
https://www.revuepolitique.fr/covid-19-premier-bilan-de-lepidemie/

#1MASQUEPOURTOUS, une recommandation trop tardive