COVID-19 : Témoignage d'un sage, mon Maître

COVID-19 : Témoignage d'un sage, mon Maître

Signé , Pr Charles Janbon, Médecin Interniste , Montpellier
 
"L’art est long , la vie est brève , l’occasion fugitive , l’expérience trompeuse , le jugement difficile" Hippocrate

Au moment de l’annonce de l’épidémie , j’ai été , comme beaucoup un peu dubitatif sur son importance

Ma deuxième réflexion , dans la panique initiale, fut d’envisager mon engagement dans la réserve sanitaire malgré les réticences de ma famille en raison de mon âge .
 
Il faut dire que pendant toute ma vie hospitalière , j’ai vécu avec un sentiment d’immunité vis à vis de la maladie , notamment infectieuse . Au cours de mes stages dans les services de tuberculeux et de tuberculeux actifs , je n’ai jamais senti l’éventualité d’une contamination possible . Certainement mon hérédité pasteurienne me conduisait-elle à une confiance absolue dans la vaccinothérapie mais je ne voyais pas dans les équipes médicales , une hantise particulière en dehors d’un lavage de mains régulier De fait je n’ai jamais contracté la moindre maladie durant mes 45 ans de vie hospitalière C’est donc le coeur léger que j’ai désiré m’engager avec le sentiment confus que je pouvais « être encore utile à quelque chose ». Ma déception fut grande. J’ai répondu à diverses alertes de la Réserve Sanitaire , je me suis inscrit sur le site du Conseil de l’Ordre pour aider mes confrères généralistes , j’ai proposé mes services au CHU , tout ceci en vain.
 
En même temps , je voyais et lisais dans les médias l’étendue de la catastrophe sanitaire dans mon pays. Le Président de la République appelait le pays à la mobilisation générale dans un contexte de guerre . J’étais submergé d’images de panique , d’hôpitaux envahis, d’infirmières débordées . Avec , en arrière plan , des alertes à la pénurie de matériel , de lits , de médicaments .

Bien sûr , accompagnant ces images comme la vérole accompagnait les armées napoléoniennes, je voyais se développer des recherches de responsabilité , des thèses complotistes , des médecins assurant avoir trouvé le remède miracle , des assurances de disposer d’un vaccin dans les prochaines semaines . Une mise en doute systématique de ce qu’avait dit le prédécesseur . J’ai assisté à un ballet médiatique où tout et son contraire a pu être dit sur cette épidémie . J’ai découvert un nombre d’infectiologues et de virologues inattendu donnant des explications contradictoires sans pouvoir reconnaitre que ,de fait, on ne savait pas grand chose . J’ai lu dans un quotidien national , émanant d’un épidémiologiste distingué auquel on demandait quel serait le temps de protection après une infection virale : "nous allons observer les personnes contaminées et s’il n’y a pas de rechute dans deux ans, on pourra estimer que le temps de protection est de deux ans"  Il fallait oser !! Ce jour dans un quotidien régional un billet du rédacteur en chef adjoint stigmatisant le Conseil de l’Ordre pour condamner des médecins d’avoir prescrit à leur patients des médicaments non validés . Les mêmes censeurs d’ailleurs , se joindront à la foule pour condamner de telles pratiques en cas d’accident et renverront le Conseil de l’Ordre à ses responsabilités.

Je ne sais pas comment qualifier l’état d’esprit de notre pays qui, d’une main montre un dévouement , une implication sans bornes ainsi d‘ailleurs qu’une adaptation inventive à cette situation et de l’autre manifeste parfois un individualisme forcené , un obstruction systématique sur le thème : "c’est bien , mais pas pour moi"  Il faut permettre aux travailleurs précaires de reprendre le travail , mais moi je n’enverrais pas mes enfants en classe . Je garde pour la fin l’appel d’une centrale syndicale à la grève pour améliorer la situation des « travailleurs » Il ne faudrait pas croire que je souhaite l’installation d’un régime autoritaire qui serait une véritable régression ; mais un peu de retenue dans les propos médiatiques , de la tolérance pour nos dirigeants qui font ce qu’ils peuvent et de la solidarité pour nous tous, améliorerait certainement la situation

Pour ce qui me concerne , j’ai compris que mes rêves d’éternel soignant devaient disparaitre , que le meilleur service que je pouvais rendre à mon pays était de rester chez moi . Un contact récent avec l’hôpital m’a fait toucher du doigt les changements dans le raisonnement médical . De mon temps (Ah Ah!!) on partait d’un symptôme pour rechercher un signe clinique et établir une hypothèse diagnostique qui servait de base à la demande d’examens justement appelés complémentaires à partir desquels on formulait un diagnostic et de là un traitement .

Les choses se sont peu à peu modifiées . On a commencé par sauter allégrement de la case symptômes à la case traitement : fièvre = antibiotiques Plus récemment le raisonnement a changé : l’hypothèse diagnostique étant affirmée , il est nécessaire d’éliminer toutes les autres hypothèses même les moins vraisemblables . C’est ainsi qu’un taux de D Diméres élevé en l’absence de signes cliniques fera réaliser un angioscanner thoracique par précaution. Cela revient en face d’une angine rouge banale à chercher à éliminer une diphtérie ou une typhoïde ( Merci Mr Duguet). Ce principe de précaution qui a envahi notre sphère de raisonnement me semble devoir être moins absolu.

Nous devrions regarder en arrière vers les épidémies précédentes notamment plus sévères pour prendre un peu de recul dans nos jugements trop hâtifs .

Je souhaite que cet épisode apporte un peu de calme et de raison dans l’analyse souvent difficile des événements

 
#1MASQUEPOURTOUS , c'est maintenant