COVID-19 : une pandémie écologique et politique ?

COVID-19 : une pandémie écologique et politique ?

ANTHROPOCENE (2) 

Signé Dr Joelle Laffont, Médecin Vasculaire, Toulouse, (Texte Inspiré d’Emmanuel E. et de Nathanaël Wallenhorst).

"En démontrant le télescopage du temps court de l’action humaine et du temps long de la Terre, les sciences du « système Terre » ont également ouvert un nouveau champ d’investigation absolument fondamental au croisement des sciences naturelles et de l’humanité." Christophe Bonneuil

L’Anthropocène s’est installé pour durer au moins quelques milliers d’années. Cette pandémie constituerait-elle un analyseur de cette nouvelle période géologique ? De fait elle nous permet de réaliser une expérience tangible de deux menaces, écologique et politique. Ce que nous vivons actuellement n’est en aucune manière une crise dont la traversée permettrait de retrouver après, l’état antérieur à l’identique.

La gestion de la pandémie nous laisse perplexe. Avons-nous affaire à un retour du politique vrai ? La réponse actuelle ne continuerait-elle pas d’être, au contraire, caractérisée par un déficit du politique ? Est-ce par la prise de décision de façon unilatérale, ou par la mise en circulation de la parole permettant l’émergence de l’action concertée que se définit le politique ? Durant quelques décennies nous avons éprouvé l’absence du politique au profit de l’hégémonie des logiques économiques face auxquelles il ne parvenait pas à animer d’action collective ; il semblerait que nous éprouvions désormais la deuxième composante d’une même absence du politique, avec la prise de décisions de façon autoritaire, le recours au mensonge comme moyen d’encadrement des populations.

La COVID-19 : une maladie écologique de l’Anthropocène ? Notre environnement nous l’avons profondément transformé. Notre climat se réchauffe sans que nous ne parvenions à espérer une stabilisation dont nous ne connaissons d’ailleurs pas le niveau. Nos écosystèmes s’effondrent à une vitesse inégalée en regard de tout ce qui nous est connu de l’histoire de la Terre. Cela fragilise directement notre civilisation qui repose sur notre soi-disant maîtrise de tout (écosystèmes santé éducation culture excédents surplus agricoles ou autres).

N’oublions pas de constater que le forçage anthropique des écosystèmes vient bousculer les équilibres entre les animaux, les végétaux et les agents infectieux. Dans l’Anthropocène, tout s’accélère. Les processus actuels d’emballement relatifs au climat et aux écosystèmes sont la source principale d’angoisse chez les scientifiques : leurs prévisions issues des études prospectives réalisées ces dernières décennies se sont ainsi avérées avoir été dépassées. La pandémie actuelle est à comprendre dans le contexte de l’Anthropocène. Les départs d’épisodes épidémiques s’accélèrent. La COVID-19 est apparue en Chine, au cœur du réacteur de la globalisation économique contemporaine, se disséminant ensuite en quelques semaines dans tous les pays du globe. Parce que l’Anthropocène est aussi un Capitalocène et un Globalocène, dans son origine même la pandémie au plan écologique, semble anthropocénique mais pas que. Faisons confiance aux biologistes virologues épidémiologistes pour nous raconter l’histoire du petit virus qui a mis le monde au tapis.

Plus précisément son histoire environnementale fortement liée pour ce qui nous préoccupe, à un problème de consommation de viande sauvage, de médecine traditionnelle et de défaut d’hygiène. Cette crise n’a rien d’inédit. Ce qui est inédit, c’est qu’on a désormais les moyens techniques de sauver des vies humaines (tests, appareils respiratoires, possibilité de se confiner…) et qu’émerge en conséquence l’impératif de protéger les populations. La COVID-19 est plus grave que la grippe, mais certaines épidémies, y compris récentes, ont quand même fait des ravages : exemple durant l’hiver 1969-70, une grippe venue de Hong-Kong fait 33 000 morts en France, essentiellement des personnes âgées, dans une indifférence totale, comme un phénomène presque naturel. Ce qui est ici inédit et potentiellement « historique », créant ainsi un précédent, c’est que la plupart des gouvernements ont choisi d’arrêter l’économie pour sauver des vies. Excellente nouvelle. Si on a pu arrêter l’économie pour sauver 200 000 personnes en France, pourquoi ne ferait-on pas demain le nécessaire pour prévenir les cancers et les 40 000 morts prématurés par an dues à la pollution ?

La COVID-19 : une maladie politique de l’Anthropocène.

La seconde menace de l’Anthropocène, tapie dans l’ombre des altérations écologiques, est proprement politique. Nous commençons tout juste à en faire l’expérience. Lorsque les « crises » environnementales deviendront trop aiguës (vague de chaleur insupportable, famine menaçant la survie alimentaire, vagues de migrants sans commune mesure avec ce qui a été rencontré jusqu’à présent, ou encore du manque d’eau pour notre survie) la tentation d’un protectionnisme à outrance, d’une fermeture de l’espace public se fera ressentir au profit de décisions politiques autoritaires d’une part, d’autre part la logique principale présidant à la conduite gestionnaire de la crise (et non à une conduite politique) risque d’être la généralisation du mensonge. Cela ne ressemble-t-il pas un peu à ce que nous constatons dans la gestion actuelle de la crise sanitaire. Est-ce qu’on nous a menti ? est ce qu’on nous ment ?

L’autoritarisme gestionnaire comme gangrène du politique ? L’espace public a été fermé jusqu’à nouvel ordre. Il a été fortement conseillé à chacun de rester chez lui « pour sauver des vies » : nous n’avions pas le choix, notre devoir citoyen étant de sauver des vies sans action ni critique. À quoi a ressemblé le quotidien de « sauveur » pendant ces quelques semaines ? L’école a été faite à la maison. Nous avons consulté les sites d’information dix fois par jour ou plus, passé d’innombrables coups de fil pour assurer la « continuité pédagogique » la « continuité des soins » ou la « continuité productive », préparé les repas, visionné films reportages, écouté les dernières informations sur les radios, regardé jusqu’à saturation pour certains malaise et anxiété pour d’autres les chaines d’infos en continu où le tout scientifique est venu parler parler et parler encore. Nous avons aussi nettoyé nos intérieurs au vinaigre blanc (efficace sur le virus ?) ou autre désinfectant « fait maison », trié jeté l’inutile l’encombrant : cela tombait bien, nous étions en plein période de nettoyage de printemps. Nous avons moins consommé parce que pas envie de dépenser puisque rien ne rentrait plus sur les comptes : parfait nous avons économisé, les soldes même différées arriveront un jour.

Certaines lectures ont pu nous sortir de notre torpeur et nous alerter sur les dangers de la réponse gestionnaire actuelle à cette crise sanitaire [L’État d’exception de Giorgio Agamben, Rhinocéros d’Eugène Ionesco, Du mensonge à la violence de Hannah Arendt.]. En effet rien de plus efficace que l’urgence pour nous anesthésier le cerveau, contrôler (réduire) notre capacité à penser.

Des décisions autoritaires, qu’aucune voix politique n’est en mesure de déjouer, sont imposées car personne n’identifie d’alternative. Un tour de force : c’est avec notre plein consentement que nous avons déserté l’espace public. Transgresser cet impératif de confinement relevait de la toute-puissance infantile ne supportant par la frustration ou de la provocation adolescente. Il serait irresponsable de participer à la propagation du virus et aux courbes exponentielles du nombre de morts aux premiers rangs desquels le personnel soignant.

La réponse actuelle, bien que juste d’un point de vue sanitaire n’est peut-être pas politiquement satisfaisante et potentiellement dangereuse. La COVID-19 sera maîtrisée d’ici quelques mois ou années, cela relève de l’espoir commun et de la découverte de traitements efficaces (moultes études sont en cours) et encore mieux du vaccin : les chercheurs s’affairent, les enjeux sont immenses scientifiques financiers et peut-être aussi un peu sanitaires.

Une des menaces de l’Anthropocène est précisément l’appel des citoyens à des pouvoirs forts prenant en charge l’ampleur des risques extérieurs. Dans son expérience politique, la pandémie de COVID-19 est anthropocénique. Aïe !! c’est dit.
ANTY11
Lundi 16 mars Jupiter faisait usage d’une rhétorique scientifique et guerrière pour légitimer des décisions politiques. C’est particulièrement ambivalent. Depuis quelques décennies, les scientifiques n’ont cessé d’interpeller un pouvoir politique sourd en alertant sur les drames du réchauffement climatique, les effondrements des écosystèmes ou le creusement des inégalités de répartition des richesses : résultat, aucun impact sur l’orientation des décisions publiques. Après avoir crié dans le désert, certains de ces scientifiques sont tout à coup, entendus et leurs propos relayés dans un discours politique de premier plan pour légitimer des décisions publiques. La caution scientifique fait son entrée en politique afin de légitimer dans l’urgence, des mesures autoritaires, surement pas pour affermir la vitalité démocratique. Pourtant les études scientifiques ont d’abord vocation à préparer l’avenir et à accompagner la gouvernance politique du long terme (Bourg et Whiteside, 2017), qui n’a rien à voir avec une gestion autoritariste de l’urgence.
 
ANTH8Rhétorique guerrière c’est nul ! Nous ne sommes pas en guerre contre les virus, nous vivons une « guerre » permanente avec eux : ils nous accompagnent toujours tout le temps et nous adoptons un « modus vivendi » vigilant. Les virus sont ce qu’ils sont : il suffit de ne pas baisser la garde. Les virus ne viennent pas seuls pour nous tomber sur la tête mais reconnaissons qu’ils utilisent avec un grand sens de l’efficacité, un remarquable opportunisme les travers de nos sociétés dites avancées ou évoluées : la spéculation, la surconsommation, la course au toujours plus loin et mieux que le voisin.
ant17
Le mensonge gestionnaire comme gangrène du politique. À en croire les discours du gouvernement actuel, l’État nous prend en charge, si nous ne pouvons pas télé-travailler et sommes au chômage technique. Est-ce là un signe du retour de l’État-providence ? Avons-nous affaire à l’acte II, social, du quinquennat actuel ? Pendant 55 jours nous sommes restés coincés, pris dans une nasse. La décision sanitaire s’est imposée à très juste titre. Mais notre liberté d’action, irrigation de nos démocraties fragiles, s’est trouvée rognée davantage jour après jour. Ce qui altère cette liberté fondamentale, en plus de l’obligation de rester chez nous, est le mensonge politique. Et là les questions ne manquent pas. Après que le régime chinois ait fait croire à travers sa propagande qu’il avait réussi à stopper la propagation du coronavirus sur son territoire (83001 cas confirmés ? - 4634 morts officiels là où des experts évoquent la possibilité de 100 000 morts) grâce à l’adoption très rapide de mesures autoritaires, il se positionne comme le modèle politique efficace par excellence : « Si vous voulez traverser les sombres temps qui s’ouvrent à vous, faites comme nous : renoncez à la liberté démocratique au profit de l’encadrement oligarchique des populations ».

Parce que le confinement est certainement la meilleure solution sanitaire, nous emboîtons le pas. Jusqu’où irons-nous dans cette expérience hors du commun de contrôle de nos corps ? « Pas d’inquiétude, nous ne sommes pas en Chine » entendons-nous dire, dénégation désormais devenue à la mode chez nos responsables politiques, alors que les restrictions se sont durcies au fur et à mesure., mettant en évidence combien il était nécessaire de rendre visible le confinement des Français et la force du contrôle des corps. La situation actuelle a fait émerger le retour des corbeaux (pas les volatiles), avec des délations et dénonciations en très forte hausse à Paris, comme en province (Kauffmann, 2020) (comme un arrière-gout amer et honteux d’un passé pas forcément oublié).

Les réseaux sociaux ont abondé de messages en tout genre, mettant en évidence combien la visibilité du confinement semblait importer davantage encore que le respect de la distanciation sociale entravant la propagation virale.

Pourquoi n’avons-nous pas eu d’emblée de masques ni de tests ? Parce que la France, dans son offre de soins, a fait des choix stratégiques dont celui de ne produire ni masques, ni réactifs nécessaires aux tests. Après s’être enfermé des semaines dans un incroyable mensonge, allant jusqu’à minimiser l’importance de ces deux outils de bases dans une lutte contre une pandémie virale, le gouvernement a fait un virage à 180 degrés – çà peut faire mal.

Pourquoi devions-nous rester chez nous pour « sauver des vies » ? Parce que nos hôpitaux étaient déjà à l’agonie avant l’arrivée de ce coronavirus, depuis qu’une folie gestionnaire s’est emparée de la politique de santé relayée au sein de chaque Agence Régionale de Santé. Voici quelques années qu’un virus s’est emparé de nos responsables politiques : celui de la simplification du réel au sein de tableurs Excel donnant l’illusion d’une maîtrise. Aujourd’hui, on anime une démocratie comme on gère une entreprise : en faisant de l’optimisation financière.

Nos hôpitaux ont manqué de lits pour accueillir des patients à l’occasion d’une crise sanitaire comme celle du COVID-19, et comme cela le sera à l’occasion des multiples crises socio-politiques générées par le durcissement des conditions d’habitabilité humaine de la Terre en société. Nous ne sommes qu’au début de notre entrée dans l’Anthropocène : des situations de ce type, inédites et tragiques à l’échelle de la planète, vont devenir notre lot quotidien. Parce que nous entrons de plain-pied dans des décennies qui seront caractérisées par les crises, nous ne pouvons pas renoncer à notre liberté d’action politique dès l’apparition de problématiques sanitaires et humaines globales.

Alors que pouvons-nous faire ? Faudra-t-il sortir dans les rues et crier en nous serrant dans les bras ? Ce n’est pas parce que nous n’avons pas eu d’alternative au confinement et que nous n’en aurons pas si une autre vague de même puissance nous revient, que nous devons renoncer à notre capacité de critique des décisions publiques. Nous renonçons de notre plein gré à notre liberté d’action politique – parce que « ce sera temporaire » nous est-il seriné à longueur de jours –est-ce grave ? Il n’est pas souhaitable/ productif de baisser la garde devant les logiques autoritaires dont l’histoire nous a montré qu’elles peuvent se muer en totalitarisme. Nous pouvons préparer d’autres réponses politiques, préserver la circulation de la parole et de l’action au sein d’institutions justes et non le contrôle collectif des corps nous permettrait de protéger les vies que l’Anthropocène menace.
anth10Vivre une crise inouïe, en sortir grandis ou du moins plus éclairés par l’expérience même douloureuse, et construire un avenir plus cohérent plus respectueux moins destructeur. Nous sommes maintenant déconfinés et presque libres de tout.

Sur quoi se lèvera le rideau du jour d’après ?

Demain est là.

SOURCE : 

#1MASQUEPOURTOUS