La COVID-19 : maladie de la « grande accélération » ou pas ?

La COVID-19 : maladie de la « grande accélération » ou pas ?

ANTHROPOCENE (1)

Signé Dr Joelle Laffont, Médecin Vasculaire, Toulouse, (Texte Inspiré d’Emmanuel E. et de Nathanaël Wallenhorst).

« L’anthropocène nous oblige à regarder plus loin que nos frontières et plus loin dans le temps. » (François Gemenne)

La COVID-19 dont la propagation est liée à la façon dont les êtres humains habitent et utilisent la Terre, serait-elle une maladie de l'anthropocène ?

Et d’abord l’Anthropocène c’est quoi !

L'Anthropocène est une ère géologique de l'histoire de la Terre qui est proposée pour caractériser l'ensemble des évènements géologiques visibles, témoins de l'influence globale significative des activités humaines sur l'écosystème terrestre (environnement, climat, biosphère).
L'Anthropocène est un néologisme construit à partir du grec ancien ἄνθρωπος (anthropos, « être humain ») et καινς (kainos, « nouveau », suffixe relatif à une époque géologique), en référence à une nouvelle période durant laquelle l'influence et l’activité de l'être humain sur la biosphère ont atteint un tel niveau qu'elles sont devenues une « force géologique » majeure, dominante devant toutes les autres forces géologiques et naturelles qui avaient prévalu jusque-là.
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Le terme Anthropocène, qui signifie « l'Ère de l'humain », a été popularisé à la fin du XXe siècle par le météorologue et chimiste de l'atmosphère Paul Josef CRUTZEN, prix Nobel de chimie en 1995 et par Eugene STOERMER, biologiste, pour désigner une nouvelle époque géologique, qui aurait débuté selon eux à la fin du XVIIIe siècle avec la révolution industrielle, succédant ainsi à l'Holocène.

L'Anthropocène est un concept développé par les sciences de la Terre puis repris par les sciences humaines et sociales. De plus en plus utilisé dans les médias et la littérature scientifique, il ne fait cependant pas consensus au sein du débat scientifique et de la communauté scientifique géologique – spécifiquement au sein de la commission internationale de stratigraphie de l'Union internationale des sciences géologiques (UISG) – qui détermine les subdivisions de l'échelle des temps géologiques. L’idée générale est que la Terre est actuellement entrée dans une phase d’évolution irrémédiablement déterminée par les activités humaines qui y laissent leurs empreintes dans l’histoire géologique et climatique. La date de son entrée est débattue par les chercheurs : depuis la révolution industrielle ? depuis les premiers essais nucléaires ? depuis que la logique de maximisation des intérêts individuels est un rouleau compresseur qui écrase tout sur son passage ?
Anthro4L'anthropocène est également nommé en géologie, la période de la « grande accélération », car tout s’y accélère, de nombreux indicateurs y présentent des courbes de type exponentiel : la population humaine augmente, doublée d’une accélération de la consommation (Steffen et al., 2015). Depuis 2005, le Group on Earth Observations (GEO), groupe international d'experts scientifiques, a été mis en place pour observer la Terre et mesurer notamment les conséquences des activités humaines. « it’s a pity we’re still officially living in an age called the Holocene. The Anthropocene – human dominance of biological, chemical and geological processes on Earth – is already an undeniable reality” (Paul J. Crutzen).

Pour ce qui nous préoccupe ces derniers mois, il semble que l’usage du concept d’anthropocène veuille interroger la manière dont les êtres humains aménagent et organisent leurs espaces habités ainsi que les conséquences de leurs activités sur Terre. Au regard des pandémies plus anciennes et de celle à Coronavirus 2019, plusieurs éléments doivent être posés, particulièrement en ce qui concerne les conditions de leurs apparitions et diffusions.

La dynamique générale de la mortalité des populations au niveau mondial n’est pas linéaire dans le temps et selon les lieux mais caractérisée par des phases de rattrapage et de rupture à des rythmes variables. Si l’on note pour la majorité de la population mondiale, une tendance forte à l’augmentation de l’espérance de vie depuis la fin du XIXème siècle, plus encore après la Seconde Guerre Mondiale, on remarquera des ruptures avec l’apparition de nouvelles maladies ou de formes résistantes de maladies déjà connues. La deuxième moitié du XXème siècle a été marquée par une diminution (à des rythmes différents selon les régions du monde) des maladies infectieuses, parasitaires et carentielles. Elle a été marquée par l’apparition et l’identification 1) de nouveaux agents pathogènes (VIH / SIDA, virus à fièvre hémorragique virale comme Ebola…) ; 2) d’anciens agents que l’on croyait avoir fortement limités, voire éradiqués, et qui ont muté (choléra 0139, tuberculose multi-résistante…) et/ou dont l’aire d’expansion s’est fortement modifiée (maladies à virus transmis par des insectes : dengue, fièvre jaune, par exemple).

Les causes de l’émergence ou de la ré-émergence d’agents pathogènes sont multiples (résistances aux antiinfectieux, abandon de programmes sanitaires, diminution de la vaccination, habitudes alimentaires particulières et spécifiques dont la consommation de viande crue, d’animaux du bœuf au serpent ou au chien et pour 2019 le pauvre pangolin …). Celles liés aux transformations et aux aménagements des environnements par l’action humaine sont déterminantes (urbanisation, nouveaux modes d’occupation des sols, déforestation à outrance, actions sur les écosystèmes terrestres et le climat …). Ces changements impliquent d’une part, que les agents pathogènes, leurs hôtes et vecteurs s’adaptent remarquablement à ces nouveaux environnements transformés ou bâtis et d’autre part que les probabilités d’interactions entre les espèces animales sauvages et domestiques, mais aussi avec les humains, puissent être renforcées.

Le rôle de ces transformations dans le passage de la « barrière de l’espèce » par un agent pathogène (de l’animal à l’homme) est central. Mais comment ces agents varient-ils dans le temps ? pourquoi circulent-ils et se diffusent-ils géographiquement ? Par exemple, l’épidémie à fièvre hémorragique Ebola s’est manifestée à partir de 1976 année de son identification, dans une partie de l’Afrique de l’Ouest, de manière brutale, de façon sporadique et irrégulière. Près de 30 années après, soit en décembre 2013, elle se diffuse de manière plus vaste et plus régulièrement dans certaines régions d’Afrique, y compris dans les villes.

Globalement la diffusion des agents pathogènes dépend des possibilités de déplacement des vecteurs et réservoirs qu’ils soient animaux ou humains, ainsi que de leurs interactions. Les moustiques profitent des transports aériens ou maritimes pour s’installer hors de leurs régions d’origine, dans des zones du globe, où en raison du réchauffement climatique, ils peuvent même bénéficier de conditions environnementales favorables à leur installation et leur prolifération.

Pour les maladies dont l’homme est le vecteur (la grippe ou le coronavirus), il est déterminant déterminants d’un point de vue géographique. 1) de comprendre les axes de circulation et ceux qui les utilisent parce que tous deux jouent un rôle pour mettre en relation les lieux. 2) de caractériser la répartition des populations (dispersées ? concentrées ?) 3) d’identifier leurs modes d’organisation (vivent-elles dans de grandes métropoles mondiales ou dans des territoires enclavés ?). Ces facteurs impliquent des différences en termes de densité et de façon de se déplacer (très / peu mobiles ? parcourant de grandes / de petites distances ?), ce qui a des conséquences sur les probabilités d’interaction entre les lieux.

L’un des exemples les plus cités dans la littérature scientifique porte sur l’apparition et la diffusion de la Peste « Noire » en Europe entre 1348 et 1352 car elle illustre les circulations sur les grands axes continentaux du Moyen-Age entre l’Asie et l’Europe (Routes de la Soie), les voies maritimes régionales (Mer Noire et Méditerranée), ainsi que les lignes de forces et pôles de commandement des puissances politiques et économiques de l’époque tels que l’Empire mongol et son rôle dans l’aménagement et la mise en relation de l’Europe avec l’Asie orientale. La seconde pandémie de choléra (1829-1837) partie d’Asie du Sud (région du Bengale) met en valeur l’intensification des interconnexions entre les lieux celles-ci opérées par l’expansion maritime, le développement des réseaux ferroviaires au sein des grands empires coloniaux et les conflits entre ces puissances rivales (Empire Russe, Ottoman, Britannique…) au XIXème siècle ; elle a été introduite via les ports coloniaux, s’est diffusée dans les arrière-pays et a bénéficié de l’accélération de son expansion grâce aux conflits.

Où vient se situer cette pandémie à Coronavirus 2 ? Le virus responsable est nettement identifié et ne parait pas vouloir muter à ce jour mais nous ne savons rien en fait, de ses intentions réelles. En raison des inconnues sur la maladie, il est précipité de vouloir donner une explication définitive dès maintenant : ce serait inutile injuste erroné réducteur. On peut cependant formuler une hypothèse sur les conditions d’introduction du virus. Les potentiels de circulation et de diffusion semblent être plus élevés dans des lieux cumulant haute accessibilité (représente l’offre de mobilité (de transports) qui donnent les possibilités pour se déplacer d’un lieu à l’autre.) et forte connexité (Dans un réseau de transport, les lieux sont bien reliés les uns avec les autres).

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Pour aller dans le sens de cette hypothèse, plusieurs arguments. Le premier est lié aux caractéristiques de la province du Hubei région pilote pour l’économie (programme « Go West » du gouvernement chinois), avec un grand nombre d’entreprises étrangères (automobile, hautes et bio technologies, sidérurgie, chimie…), et sa capitale Wuhan qui est un grand pôle industriel chinois e situé en position intérieure et centrale au sein du triangle Pékin, Shanghai, Canton / Hong-Kong ( plus de 400 millions d’habitants) constitue une plate-forme logistique à l’une des extrémités du grand projet terrestre et maritime des « nouvelles routes de la Soie » porté par des partenariats entre la Chine et plusieurs Etats du continent asiatique. C’est dans un des lieux de ce pôle économique et industriel de dimension internationale, avec un très fort potentiel d’expansion en termes d’aménagements et donc de transformations environnementales que la COVID-19 a été identifiée pour la première fois.

Le second argument est le rôle des liaisons aériennes. Wuhan est une plateforme aéroportuaire importante, directement reliée à plusieurs grandes capitales d’Asie orientale, du Moyen-Orient, d’Europe de l’Ouest et d’Amérique du Nord : leurs régions ont pu constituer les premières portes et leurs aéroports des carrefours pour la circulation du virus.

Le troisième argument est le brassage international professionnel. Parmi les premiers cas dépistés positifs (le « sommet de l’iceberg »), un grand nombre de personnes résident, ont eu des contacts , ou travaillent dans les centres et périphéries de très grandes villes, plus particulièrement dans celles accueillant des lieux et relais d’activités de production globalisée (périphéries de Milan en Italie, de Seattle aux Etats-Unis, de Munich en Allemagne, de Inchon en Corée du Sud, de Mumbai en Inde, de Sidney en Australie, de Durban en Afrique du Sud….), régions qui possèdent un très fort potentiel de développement économique lié aux investissements internationaux. Parmi les premiers cas identifiés, beaucoup d’entre eux étaient très mobiles au niveau international et avaient pu circuler dans des espaces initialement touchés (Hubei en Chine, Lombardie en Italie, Province de Qom en Iran…). Ces individus étaient en outre insérés dans des réseaux de personnes généralement nombreux mais éloignés les uns des autres. S’ils étaient contaminés, ils ont pu contribuer à renforcer une dissémination dans le monde et, dans le même temps faire circuler le virus en multipliant les transmissions au niveau local.

C’est un fait que nous pouvons comprendre, l’interconnexion des espaces au niveau mondial a pu faciliter une circulation du virus, puis une diffusion accélérée au sein de territoires particulièrement bien inter-reliés au niveau régional. Cette diffusion générale a pu être par ailleurs amplifiée par différents évènements [rassemblements religieux (France, Inde, Corée du Sud…) folkloriques (carnaval en Allemagne), politiques (Espagne) ou touristiques (Autriche)] qui ont contribué à accélérer localement la transmission et à disperser le virus dans des lieux éloignés.

La pandémie à COVID-19 met en lumière les interactions complexes des agents pathogènes avec la faune, les changements d’usage des terres, les ressources, activités et mobilités humaines. Pourtant ces transformations ne sont pas spécifiques aux 150 ou 50 dernières années. Pestes, choléra, grippes… ont accompagné et accompagnent l’histoire humaine des échanges même si les transformations environnementales et les vitesses de diffusion des épidémies sont aujourd’hui accélérées.

Faut-il en raison des modifications accélérées du climat, de nos environnements, de nos ressources, en déduire que la fréquence des épidémies va croitre et embellir de manière inévitable ? Il est tentant, raisonnable peut-être, de penser ainsi.

Se demander si la COVID-19 est une maladie de l’anthropocène, ne reviendrait-il pas finalement à interroger les réponses politiques qui seront faites par les gouvernements à la suite de la gestion de la crise sanitaire ? Les mesures liées au développement durable s’effaceront-elles au profit d’une aide économique massive incluant une relance de l’industrie fossile et donc une pression accrue sur les ressources terrestres ? Ces décisions aggraveront-elles les inégalités sociales et géographiques que l’épidémie met et mettra en lumière ? Tout se dessine-t-il déjà dans ce sens ?

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SOURCE : 
#1MASQUEPOURTOUS
                                                                                        A suivre ANTHROPOCENE (2).....