AOD et risque hémorragique by Corinne Frère

 
 “L'esprit de la conversation consiste bien moins à en montrer beaucoup qu'à en faire trouver aux autres. Celui qui sort de votre entretien content de soi et de son esprit l'est de vous parfaitement. ” Jean de La Bruyère

"S'il n'y a pas eu de question, il ne peut y avoir connaissance scientifique. Rien ne va de soi. Rien n'est donné. Tout est construit." Gaston Bachelard



Les AOD suscitent encore beaucoup d'interrogations dans le phase périopératoire. Il était donc logique d'avoir les réponses du Pr Corinne Frère "es spécialiste"  de cette question.

Merci Corinne d'avoir accepté cet entretien ave
c https://medvasc.info/
 
 
 
CFERE
Pr Corinne FRERE PU-PH, Service d’Hématologie Biologique 
AP-HP.Sorbonne Université
Charles-Foix • Pitié-Salpêtrière
Rothschild • Saint-Antoine  • Tenon Trousseau/La Roche-Guyon
@CorinneFrereMD


La gestion périopératoire des AOD a fait l’objet de recommandations très claires. Cependant dans la vraie vie ce n’est pas aussi évident que cela, loin de là. Cette gestion doit tenir compte de l’indication des AOD, du type d’AOD, de l’état du patient et enfin et surtout de l’acte chirurgical.
Quels sont pour vous les grandes règles à respecter en pratique courante ?

La gestion périopératoire des AOD doit être extrêmement rigoureuse et protocolisée.

Les patients traités par AOD devant subir un acte invasif électif sont en effet exposés à la fois à un risque d’évènement thromboembolique lié à l’interruption du traitement anticoagulant et à un risque hémorragique lié à l’acte invasif.

Le Groupe d’Intérêt en Hémostase Périopératoire (GIHP) *  a émis des propositions pour la gestion des AOD en cas de chirurgie programmée qui ont été actualisées en 2015, ainsi que des propositions pour la prise en charge des hémorragies et des gestes invasifs urgents chez les patients traités par AOD qui ont été actualisées en 2016.

Une nouvelle version est en cours de rédaction. En novembre dernier, l’American College of Chest Physicians (ACCP)  ** a publié une mise à jour de ses recommandations pour la gestion périopératoire des traitements anticoagulants qui inclut un chapitre sur les AOD.


En pratique, en cas d’acte invasif programmé, il est nécessaire d’évaluer minutieusement le risque d’évènement thromboembolique lié à l’interruption du traitement anticoagulant et le risque hémorragique lié à l’acte invasif car ils déterminent les modalités d’interruption et de reprise du traitement anticoagulant.

Enfin, il est nécessaire de tenir compte de la demi-vie des AOD.

Si le risque hémorragique est faible, une interruption de 30 à 36 heures (soit 3 demi-vies) permet d’obtenir un effet anticoagulant résiduel acceptable sur le plan clinique au moment de la procédure, alors qu’en cas de risque hémorragique élevée, une interruption de 60 à 68 heures (soit 4 à 5 demi-vies) est requise pour obtenir un effet anticoagulant résiduel minime ou nul au moment de la procédure.

Dès lors que l’on décide de stopper un AOD avant la chirurgie, faut-il faire ou non un bridging ?
Si oui, quand ?

Les AOD ont des demi-vies courtes (9 à 14 heures) et des délais d’action rapides.

Selon les dernières recommandations du GIHP et de l’ACCP, il ne faut pas réaliser de bridging par HNF ou HBPM en cas d’interruption du traitement par AOD pour une procédure élective.


Plusieurs études ont en effet rapporté un risque hémorragique accru en cas de bridging chez les patients en fibrillation atriale, sans bénéfice sur le risque thromboembolique.

Dans de très rares cas, lorsque le risque thromboembolique est très élevé (valve mécanique, évènement thromboembolique datant de moins de 3 mois), ou lorsque l’AOD ne peut pas être repris en post-opératoire (par exemple en cas d’iléus après une chirurgie gastro-intestinale), un bridging par HNF ou HBPM peut être nécessaire. Ce type de prise en charge relève d’une équipe multidisciplinaire. Les AOD et les héparines ne doivent jamais être administrés simultanément.

Pour tous les actes peu hémorragiques : extraction dentaire, pose d’un stimulateur cardiaque, chirurgie de la cataracte ; faut-il ou ne faut-il pas stopper les AOD ?

En cas d’acte invasif à faible risque hémorragique, les experts du GIHP proposent de ne pas prendre l’AOD la veille au soir ni le matin de l’acte invasif, et ce quel que soit le schéma thérapeutique (une ou deux prises), puis de le reprendre au moins 6 heures après la procédure, aux posologies et aux horaires habituels.

Les experts de l’ACCP proposent ne pas prendre l’AOD la veille ni le matin de l’acte invasif, puis de le reprendre au moins 24 heures après la procédure ; pour les patients traités par dabigatran ayant une clairance de la créatinine < 50 ml/min, compte-tenu de l’élimination principale rénale du dabigatran, il est recommandé une interruption de 2 jours de traitement, avec reprise du traitement anticoagulant au moins 24 heures après la procédure.

Il n'y a aucune indication à la mesure de la concentration de l’AOD avant la procédure en cas d’acte invasif programmé, et il est recommandé de ne pas réaliser de bridging par HNF ou HBPM.


AOD et antidote, vaste problème en cas d’hémorragie. Le dabigatran possède un antidote, les xabans non. Quel est aujourd’hui l’état de la question en France sur ce sujet ? Disposons-nous des antidotes type Andexanet, Ciraparantag ? Si non, quand ? Leur coût ? Initialisent-ils un risque thrombotique ?

Aucun antidote des anti-Xa n’est à ce jour disponible en France.

L’andexanet alpha est homologué aux Etats-Unis depuis 2018 et a obtenu une autorisation de mise sur le marché (AMM) européenne conditionnelle en 2019. Son prix est très élevé (entre 25000 et 50000 $). Dans l’essai ANNEXA-4 qui a évalué l’efficacité et la sécurité de l’andexanet alpha chez des patients traités par anti-Xa direct en cas d’hémorragie majeure aiguë, 10% des patients ont présenté un évènement thrombotique au cours du suivi de 30 jours.

Le ciraparantag est encore en développement avec un essai de Phase 3 en cours de planification. Nous sommes donc encore loin de sa commercialisation.

 
AOD et hémorragie, quel est aujourd’hui la meilleure conduite à tenir ?

La conduite à tenir en cas d’hémorragie sous AOD est relativement bien codifiée. Elle dépend de l’AOD et de la sévérité de l’hémorragie.

Chez un patient traité par dabigatran, en cas d’hémorragie grave menaçant le pronostic vital ou fonctionnel et ne pouvant être contrôlée rapidement par des mesures standard d’hémostase, les experts du GIHP recommandent d’administrer 5 g d’idarucizumab sans attendre le résultat de la mesure de la concentration plasmatique initiale de dabigatran. Une nouvelle mesure de la concentration plasmatique de dabigatran doit être effectuée 12 à 18 h après administration d’idarucizumab en cas de reprise du saignement. Une deuxième administration d’idarucizumab peut être indiquée en fonction de l’évolution clinique ou en cas d’augmentation secondaire de la concentration de dabigatran au-delà de 30 ng/mL. En cas d’indisponibilité de l’idarucizumab, il est proposé d’administrer des CCP activés (Feiba® 30 à 50 U/kg) ou non activés (CCP 50 U/kg) pour tenter de neutraliser l’effet anticoagulant du dabigatran. En cas d’hémorragie grave mais ne menaçant pas le pronostic vital, il est proposé de privilégier un geste hémostatique ; lorsqu’un geste hémostatique n’est pas indiqué ou lorsque le saignement persiste, il est nécessaire de discuter l’antagonisation par idarucizumab ou CCP. En cas d’hémorragie non grave, les experts du GIHP recommandent un traitement symptomatique. Il n’y a pas lieu, dans dernier ce cas, d’antagoniser le dabigatran, quelle que soit sa concentration. Un saut de prise, une réduction de dose ou une substitution doivent être discutées.

Chez un patient traité par anti-Xa direct (apixaban ou rivaroxaban), en cas d’hémorragie grave, les experts du GIHP suggèrent d'évaluer en urgence la concentration plasmatique de l’anti-Xa direct afin d’évaluer le risque hémorragique.

Si la concentration en anti-Xa direct est supérieure à 30-50 ng/ml, il faut administrer des CCP non activés (50U/kg). En cas d’hémorragie non grave, il faut privilégier un geste hémostatique lorsque celui-ci est réalisable.
 
Carte blanche sur ces questions…pour demain ……

De plus en plus de patients sont traités par AOD. Ces patients peuvent être confrontés à des situations cliniques nécessitant l’interruption temporaire du traitement ou la neutralisation de son effet anticoagulant.

De nouveaux antidotes des AOD sont en cours de développement ; leur efficacité et leur tolérance devront être clairement établies. La gestion périopératoire des AOD continuera donc d’évoluer au regard de nos connaissances et des résultats de la littérature.

Une grand merci Corinne d'avoir clarifié ces questions à propos des AOD en périopératoire, une situation à risque désormais maîtrisée à la condtion de suivre les recommandations

Compléments d'infos

 * GIHP 2015https://sfar.org/download/gestion-perioperatoire-des-patients-sous-aod-pour-un-acte-programme/

** ACCP 2022 https://journal.chestnet.org/article/S0012-3692(22)01359-9/fulltext#