Journée Mondiale du Lymphœdème

Journée Mondiale du Lymphœdème

"L'élégie est aussi essentiellement lymphatique que le dithyrambe est bilieux." Honoré de Balzac

“L'innovation, c'est une situation qu'on choisit parce qu'on a une passion brûlante pour quelque chose.” Steve Jobs

Le 6 Mars 2023 : Journée Mondiale du Lymphœdème

Il était donc évident pour MedVasc.Info de s'entretenir avec une spécialiste de la question, le Dr Sandrine Mestre Godin.

Merci Sandrine d'avoir accepté cet entretien afin de nous éclairer sur cette affection encore top mal connue des médecins et du grand public.


sandrinemestreEntretien avec le Dr Sandrine Mestre-Godin
PH, Médecine Vasculaire dans l'Unité de Lymphologie
Service Médecine Vasculaire, CHU Montpellier
Centre référence du
 lymphœdème primaire (Pr Isabelle Quéré)
UA11 INSERM – UM Institut Desbrest d’Épidémiologie et de Santé Publique (IDESP). Campus Santé, IURC, 641 avenue du doyen Gaston Giraud,34 093 Montpellier Cedex 5


Qu’est-ce qu’un lymphœdème primaire ? Particularités cliniques ? Epidémiologie ?

Le lymphœdème primaire est dû à une anomalie de mise en place des voies lymphatiques in utero. C’est une maladie rare. Il entraine une accumulation de lymphe dans l’espace interstitiel (espace entre la peau et les tissus profonds) qui peut être variable en fonction de l’atteinte lymphatique. Tous les territoires peuvent être atteints ,mais le plus fréquent sont les membres inférieurs. Cela se traduit par un gonflement plus ou moins important de la zone atteinte. L’œdème des organes génitaux ne doit pas être négligé et peut être le symptôme d’entrée dans la pathologie lymphatique. Le lymphœdème est le plus fréquemment isolé mais il peut être associé à une anomalie chromosomique, à une forme syndromique vasculaire ou non, à une malformation vasculaire complexe. Son expression clinique est très variable pour une même anomalie de mise en place mais aussi en fonction des évènements de vie de chaque patient, d’où les âges d’apparition différents.

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Il existe des formes héréditaires (4 à 6% dans la littérature à l’heure actuelle).


La prévalence est probablement sous-estimée
, une étude anglaise qui reste la référence mais qui  a plusieurs années estime la prévalence à 1,5/100 000 pour les moins de 20 ans.

Il existe différent stade clinique selon la classification ISL (international society of lymphology) :

* Le stade 1 où l’œdème est fluctuant, résolutif avec la déclivité est le stade 1
* Le stade 2, l’œdème est permanent. Ce stade se divise en stade 1a (pas de remaniement tissulaire) et 2b (remaniement tissulaire de type épaississement cutané, hyperkératose…).
* Le stade 3 ou l’œdème est très marqué, invalidant, les plis cutanés sont marqués, les remaniements tissulaires sont très importants pouvant aller jusqu’à la papillomatose cutanée. La classification clinique s’applique à tous les types de lymphœdème.

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Lo stade 3 ISL avant traitement intensif, Image CHU MONTPELLIER


LYMPBLo stade 3 ISL après 5 jours de traitement intensif,Image CHU MONTPELLIER

 

LYMPCLo Stade 2 selon ISL,Image CHU MONTPELLIER

Qu’est-ce qu’un lymphœdème secondaire ? Particularités cliniques ? Epidémiologie ?

Le lymphœdème secondaire est le lymphœdème que nous rencontrons le plus dans le monde.

En Occident, il fait le plus souvent suite à un cancer. Il est une complication des prises en charge oncologique sur les différents territoires. Il apparait pour la majorité dans les 5 années après la fin du traitement, mais il peut apparaitre jusqu’à 25 ans après.


Malgré la technique du ganglion sentinelle, le risque reste de 7% dans le cancer du sein.


Si le curage ganglionnaire est nécessaire, le risque augmente de 23 à 28% selon les études.

La radiothérapie, la prise de poids pendant le traitement ou le poids excessif avant le début du traitement sont des facteurs de risque connus.

Il peut également se présenter suite aux autres cancers gynécologiques, aux cancers de la sphère urogénitale, ORL, mélanome, sarcome ,mais également suite au Lymphome non Hodgkinien, aussi bien chez l’homme que la femme. Le lymphœdème peut aussi être secondaire à une insuffisance veineuse chronique, à une obésité, à une autre cause  œdème chronique (insuffisance cardiaque, rénale…). La cause la plus fréquente dans le monde, dans les pays en zone d’endémie, est la cause parasitaire (filariose). Il peut présenter les mêmes stades cliniques que les lymphœdèmes primaires. Lorsqu’un lymphœdème est bien suivi, le traitement adapté en fonction de l’évolution, l’évolution ne se fait pas inéluctablement vers le stade 3. Chaque lymphœdème associé au parcours de vie du patient est différent, la grande majorité des patients resteront en stade 2.

À partir du moment où le diagnostic clinique établit qu’il s’agit d’un lymphœdème, quels sont les examens paracliniques utile et ceux non indispensables ? 

Quand le diagnostic est posé, il n’y a pas d’examens paracliniques à réaliser, celui-ci est clinique.

Néanmoins, la recherche de la cause est primordiale, il faut éliminer, chez les adultes, en premier lieu un cancer. Si le patient a des antécédents oncologiques, il faudra faire le point avec l’équipe d’oncologie qui le suit pour éliminer une récidive.

Si le patient (adulte) n’a pas d’antécédent néoplasique, il doit être réalisé : Bilan sang (NFS, CRP, EPP, TSH, iono, créat, PSA pour les hommes), Scanner Thoraco Abdomino Pelvien, Consultation Gynécologique pour les femmes (réalisation d’un frottis cervico vaginal, mammographie). Si séjour prolongé en zone d’endémie (carte OMS), une sérologie filaire doit être réalisée.

Si un doute diagnostic persiste, une lymphoscintigraphie des membres inférieurs/supérieurs peut être réalisée pour évaluer la capacité de drainage lymphatique.

Dans le cadre du lymphœdème primaire, la lymphoscintigraphie peut être réalisée pour caractériser le type d’anomalie de drainage, en fonction de la clinique associée un bilan complémentaire peut être réalisé : bilan sanguin (albuline, fonction rénale, génétique) , échographie abdominale, écho-Doppler veineux, télémétrie des membres inférieurs, 

Une analyse génétique avec recherche des mutations génétiques connues dans le lymphœdème peut être réalisée auprès des centres de référence et de compétence reconnus dans la prise en charge du lymphœdème.Si ,celle-ci est négative, l’analyse peut être complétée par un séquençage d’exome. Il existe, depuis l’année dernière, une RCP nationale pour discuter les dossiers difficiles ainsi que valider pour les histoires familiales sans diagnostic génétique trouvé une analyse complète du génome.

Il n’y a pas lieu de réaliser systématiquement un écho-Doppler veineux lors des visites de suivi.

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Document AVML

Traitement du lymphœdème. : peux-tu nous donner la chronologie des traitements à mettre en place ; leur prise en charge sur le plan CPAM ? 

Selon les recommandations de l’HAS, pour certains patients il devra être réalisé un traitement intensif pour débuter la prise en charge.

Ce traitement peut être réalisé par un kinésithérapeute formé en ambulatoire ou dans un centre spécialisé (entre 5 et 21 jours selon les centres). Ces traitements intensifs reposent sur des soins de peaux méticuleux, des drainages lymphatiques, des bandages multicouches inélastiques ou peu élastiques, des exercices sous bandages, une rééducation de l’épaule ou du rachis en fonction des besoins.
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DLM cuisse Image CHU MONTPELLIER

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Image CHU MONTPELLIER, mis en place MOBIDERM

Ensuite, le traitement dit d’entretien, celui réalisé au quotidien, doit comporter le port de compression de jour adaptée. Le port complémentaire de vêtement de nuit, non remboursé oar la Sécurité Sociale peut être associé pour certains patients.

Pour certain patient, la réalisation d’auto bandages régulier est essentielle. Le protocole est mis en place avec le centre qui le suit. Les patients bénéficient de séance d’éducation thérapeutique. Ils sont indispensables pour le bon maintien de l’œdème.

Votre médecin vasculaire peut vous suivre en collaboration avec le centre spécialisé le plus proche.

Pour les enfants,
le suivi doit être réalisé en centre spécialisé avec relais auprès d’un médecin vasculaire pour les visites intermédiaires si nécessaire.

Le reste à charge pour les patients porteurs de lymphœdème est conséquent.

Il a été évalué à 100 euros par mois selon l’étude LYMPHORAC
, suite à cette étude et aux difficultés de valorisation de la prise en charge du lymphœdème, les CHU de Montpellier et Toulouse ont porté le projet LYMPHORAC 51 avec l’ARS OCCITANIE. Cette expérimentation, qui est en cours en Occitanie, va durer 2 ans et va permettre aux patients d’intégrer un parcours de soin permettant une rémunération plus juste des soignants de proximité (kiné ou IDE) et une prise en charge des orthèses nécessaire spour les patients. Elle se terminera en juin 2024, 200 patients seront inclus (100 dans chaque CHU).

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Place de la chirurgie dans le lymphœdème ? 

La chirurgie dans le lymphœdème est complémentaire d’un traitement médical bien mené.

Elle peut être réalisée que par une équipe travaillant avec un centre spécialisé.

Elle ne sera pas curative, aucune étude ne montre de significativité de celle-ci tant du point de vue greffe ganglionnaire, anastomose veino-lymphatique. Elle est par contre symptomatique et va permettre pour certains patients qui le nécessitent d’optimiser leur traitement. Cela peut être  une chirurgie d’exérèse cutanée suite à une perte de volume importante avec un excès de peau gênant le patient notamment pour porter ses compressions ou, une exérèse de papillomatose ou d’un volume scrotal invalidant, mais aussi une micro lipoaspiration de zone avec un excès graisseux qui peut être secondaire dans le contexte d’insuffisance de drainage lymphatique, 
mais aussi une micro lipoaspiration de zone avec un excès graisseux qui peut être secondaire au terrain d’insuffisance de drainage lymphatique, ou une exérèse de papillomatose ou d’un volume scrotal invalidant.

La chirurgie préventive est prometteuse avec la technique dite LYMPHA qui a montré par différentes études réalisées par plusieurs équipes que des anastomoses veinolymphatiques préventives réalisées dans le même temps opératoire, après la chirurgie oncologique permettent de diminuer de presque la moitié le risque de lymphœdème par rapport à la technique du ganglion sentinelle.

Une prise en charge chirurgicale ne doit jamais être réalisée de façon isolée, elle doit entrer dans un projet thérapeutique avec un suivi multidisciplinaire.

Un aparté : le lymphœdème ne contreindique pas toute chirurgie. Si suite à un accident une chirurgie en urgence doit être réalisé ,c’est essentiel, le pronostic fonctionnel est en jeu. L’œdème sera géré par un protocole ajustée. Une chirurgie programmée peut être réalisée, le lymphœdème doit être bien maintenu et un protocole de bandages pour le postopératoire qui peut être long doit être réalisé.

Pourcentagedes causes génétiques du lymphœdème, quelle est leur utilité et leur cout. Est-ce la découverte de mutations peut orienter vers des traitements spécifiques ? 

Actuellement ,nous connaissons environ 32 mutations expliquant le lymphœdème primaire.

Ces mutations expliquent seulement 30% des lymphœdèmes.


D’autres mutations sont en cours d’étude dans les différentes équipes travaillant sur le sujet.

 

Le premier gène (FLT4) a été découvert en 2000.

L’intérêt de réaliser cette analyse est de mieux caractériser le lymphœdème pour donner toutes les informations à nos patients notamment sur les évolutions possibles. Mais aussi réaliser ce dépistage pour une éventuelle pathologie associée, par exemple l’insuffisance veineuse pour les patients porteurs d’un syndrome associant lymphœdème et insuffisance veineuse. Pour les patients porteurs de lymphœdème entrant dans des tableaux de malformation vasculaire complexe, ils peuvent bénéficier de thérapie ciblée selon la mutation retrouvée et la symptomatologie invalidante présentée. Mais actuellement ces thérapeutiques ne ciblent pas l’œdème, elles permettent une amélioration sur d,’autre tableau : par exemple augmentation du taux d’albumine sérique pour les patients porteurs d’atteinte digestive, diminution des douleurs pour les patients porteurs d’une malformation appelé Klippel Trenaunay …). L’œdème doit même être surveillé de près pour certaine molécule et la balance bénéfice risque est toujours évalué.

Le bilan génétique doit être réalisé dans un centre hospitalier, il est pris en charge par la sécurité sociale. De même, si votre centre vous propose une analyse plus poussée telle que : séquençage d’exome ou analyse du génome, mais ces bilans sont toujours réalisés en centre hospitalier. Ils ne peuvent être réalisés en ville.

Carte blanche : le lymphœdème demain et après-demain ? 

La prise en charge et les connaissances en Lymphologie sont en pleine mutation, nous sommes dans une période charnière et nos connaissances avancent chaque jour. Cette dynamique est hyper stimulante à tous les niveaux.

  • Les explorations deviennent dynamiques avec la fluoroscopie au vert d’Indocyanine ou d’Infracyanine, nous permettant d’évaluer en temps réel les capacités de recrutement lymphatique et les voises de drainage pour ajuster nos traitements.
  • Nous avons plus de matériaux et de modèles à proposer aux patients ce qui nous permet de nous adapter aux situations cliniques et aux événements de vie. La dynamique est là aussi pour les fabricants qui ont mis en place des gammes plus larges et plus adaptées à la pathologie. Les années à venir nous amèneront encore des nouveautés qui permettront un traitement optimal et personnalisé.
  • Les avancées génétiques qui ne vont que se poursuivre et nous permettre de mieux comprendre encore.
  • Les thérapies ciblées qui sont déjà là en malformation vasculaire dont le lymphatique mais pour lesquelles nous avons encore beaucoup à apprendre.
  • La chirurgie a une place dans la Lymphologie, mais elle doit être réalisé par une équipe formée au sein d’une équipe multidisciplinaire dans un projet de soin bien organisé.
  • Les patients connaissent de mieux en mieux leur pathologie grâce aux associations et aux patients experts qui sont dynamiques en Lymphologie.
  • L’éducation thérapeutique est un outil essentiel déjà bien utilisé dans le domaine mais qui doit se développer encore.
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La Lymphologie fait partie intégrale de la médecine vasculaire ,mais son évolution exponentielle récente la fait passer en lumière, à sa juste place, et non plus relégué après les autres domaines de notre spécialité.

MERCI SANDRINE pour la clarté et la pertinence de tes réponses, bravo ! 

Sites LYMPHOEDEMES  et un peu de lecture

LYMPHOEDEME CHU MONTPELLIER

https://lymphorare.fr/centres-reference

https://avml.fr/

https://medvasc.info/1791-cancer-du-sein-et-lymphoed%C3%A8me

https://medvasc.info/1296-chirurgie-du-lymphoed%C3%A8me-r%C3%AAve-ou-r%C3%A9alit%C3%A9

https://medvasc.info/1249-lymphoed%C3%A8me-actualit%C3%A9

https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/34675250/Malforamations Lymphatiques

Malformations Lymphatiques (Miikka Vikkula)