Directeur de recherche, chef d'équipe, responsable de plateforme organismes modèles alternatifs (poisson zèbre) UMR_S 1307 Centre de Recherche en Cancérologie et Immunologie Intégrée Nantes Angers, Nantes Université


Crèmes antirides, traitements contre la calvitie, « régénération cellulaire »… À en croire certains, les exosomes auraient de nombreuses vertus. Au-delà des sirènes du marketing, ces minuscules vésicules produites par nos cellules génèrent de nombreux espoirs dans le secteur de la recherche pharmaceutique, qu'il s'agisse de lutter contre le cancer, la maladie d'Alzheimer, ou d'établir des diagnostics.
Vous avez sûrement déjà lu le mot «exosomes» sur des étiquettes de produits cosmétiques vantant les dernières innovations en matière d'amélioration de la qualité de la peau, voire de lutte contre la calvitie. Si ces allégations marketing peuvent faire lever un sourcil dubitatif, la recherche sur les exosomes, elle, n'a rien de fantaisiste.
Ces minuscules particules, qui appartiennent à la grande «famille» des vésicules extracellulaires, sont étudiées par des milliers de chercheurs partout dans le monde. Il faut dire qu'elles ont un énorme potentiel, puisqu'elles pourraient ouvrir la voie à des traitements innovants pour mieux prendre en charge des maladies aussi diverses que le cancer, les maladies neurodégénératives et les infections virales.
Il reste cependant de nombreux défis scientifiques et technologiques à surmonter avant d'en arriver là. Faisons le point sur l'avancée des connaissances sur ce sujet.
Les vésicules extracellulaires sont de minuscules particules qui contiennent des protéines, des acides nucléiques, des lipides et des sucres, et qui sont libérées par les cellules (humaines, animales ou végétales) dans leur environnement. Elles sont produites soit activement, par sécrétion ou déformation de la membrane des cellules, soit passivement, après la mort cellulaire. On en dénombre actuellement jusqu'à 25 sous-types.
De taille variable, elles peuvent mesurer de 50 nanomètres (la taille d'un virus) à quelques micromètres (μm). Pour mémoire, une cellule humaine mesure en moyenne 50 μm, tandis que le diamètre d'un cheveu est compris entre 50 et 100 µm.
Les exosomes ne sont qu'un type parmi d'autres de vésicules extracellulaires. On désigne par ce terme celles qui ont été produites initialement à l'intérieur de la cellule émettrice, puis ont été libérées par des mécanismes de sécrétion actifs.
Les vésicules extracellulaires sont produites par toutes les sortes de cellules, qu'elles soient animales, végétales ou bactériennes, en culture comme in vivo ce qui explique leur popularité auprès des scientifiques.
Les premières études menées sur les vésicules extracellulaires dans les années 1940 les ont cataloguées comme des «déchets» cellulaires. Si cette fonction reste d'actualité (et mériterait d'être davantage étudiée), c'est un autre de leur rôle qui a véritablement éveillé l'intérêt des scientifiques : celui de messager intercellulaire.
Pour communiquer entre elles, les cellules disposent de différents moyens. Les cellules adjacentes peuvent échanger des informations directement par contact, grâce à des molécules qui constituent des jonctions ou des synapses. Lorsqu'il s'agit de communiquer à distance, les cellules ont recours à des messagers chimiques (les hormones constituent l'un des exemples les plus connus d'un tel mode de communication).
Dans les années 1990, les scientifiques ont mis en évidence la capacité de certaines vésicules extracellulaires à participer elles aussi à la communication entre cellules. Ils ont en effet remarqué que de telles vésicules pouvaient être transférées d'une cellule émettrice à une cellule réceptrice, et que leur intériorisation par cette dernière s'accompagnait d'une modification de son apparence (son «phénotype», selon le terme scientifique), témoignant de capacités de signalisation, voire de transfert de matériel.
Si les premiers exemples de cette communication ont été démontrés dans des processus liés à la réponse immunitaire, en réalité l'ensemble des processus physiologiques se déroulant au sein d'un organisme sont concernés, y compris ceux associés à des maladies ou des troubles.
Avant tout, crevons l'abcès : à l'heure actuelle, si les vésicules extracellulaires font rêver les industriels de la beauté pour leurs supposées propriétés régénératrices exceptionnelles, leur efficacité potentielle reste à démontrer.
Leurs effets «anti-âge» ne sont pas scientifiquement prouvés, pas plus qu'un effet supérieur sur le teint ou la texture de la peau par rapport à des «principes actifs» classiquement utilisés dans les produits cosmétiques.
Certaines cliniques d'esthétique proposent l'utilisation de ce qui est présenté comme des exosomes d'origine humaine, bien que leur utilisation en médecine esthétique soit interdite dans l'Union européenne; ces exosomes peuvent parfois être appliqués par microperforation, une pratique autorisée en France, contrairement à l'injection qui est interdite. Ces pratiques posent question, car la nature, l'origine, la qualité et la traçabilité de ces produits restent opaques (concentration, degré de pureté, toxicité, innocuité du traitement, risque viral…).
Cela ne signifie pas pour autant que les vésicules extracellulaires n'ont aucun intérêt : leur potentiel en médecine est indéniable, et concerne de nombreux domaines, du diagnostic à la prise en charge thérapeutique.
Elles se retrouvent en effet dans tous les fluides biologiques humains (sang, urine, etc.), ce qui souligne leur importance et leur potentiel diagnostique.
Utilisées comme biomarqueurs, les vésicules extracellulaires pourraient par exemple permettre d'évaluer les capacités de résilience des tissus, de détecter précocement les maladies, ou encore de mieux personnaliser les traitements et de surveiller en continu la santé des patients.
En matière de santé environnementale et de santé publique, elles pourraient constituer de nouveaux indicateurs permettant notamment d'évaluer les altérations de notre santé par la pollution (notamment en lien avec les maladies respiratoires, ou de mesurer l'accumulation de polluants dans notre organisme.
Certaines vésicules extracellulaires pourraient être utilisées comme biomarqueurs circulants. Cette approche repose sur le fait que ces vésicules sont libérées dans les fluides biologiques – ce qui peut faciliter leur récupération – et que leurs nombres (ainsi que leur composition) peuvent refléter l'état de la cellule qui les produit.
Les vésicules extracellulaires sont le miroir des facultés d'adaptation ou des changements pathologiques dans l'organisme.
Un exemple concret d'utilisation des vésicules extracellulaires en tant que biomarqueurs est la mise sur le marché des tests diagnostiques destinés à détecter précocement le cancer de la prostate, en utilisant les vésicules extracellulaires urinaires. Cette approche offre une alternative moins invasive et potentiellement plus précise que les tests traditionnels.
Divers essais cliniques sont en cours, concernant surtout la détection de tumeurs ou de maladies neurodégénératives, même si l'utilité des vésicules extracellulaires dans les contextes d'autres pathologies, comme les maladies métaboliques et inflammatoires, est aussi explorée.
S'il s'agit en immense majorité d'essais préliminaires, de petite taille, les espoirs soulevés sont à la mesure des enjeux : fournir des outils capables de détecter précocement des maladies dont les symptômes peuvent mettre des décennies à se manifester.
Il faut néanmoins garder à l'esprit qu'un tiers des essais cliniques ont pour but de valider l'utilisation des vésicules extracellulaires en tant que biomarqueurs utilisables en complément à différents tests diagnostiques déjà existants.
Les chercheurs explorent également l'utilisation de telles vésicules comme marqueurs de l'efficacité de certains traitements. L'espoir est qu'il soit possible de suivre la réponse aux traitements des patients en suivant les variations du contenu de leurs vésicules extracellulaires, et ainsi d'adapter la prise en charge en temps réel.
Au-delà du diagnostic et du suivi de la réponse aux traitements, ces particules pourraient aussi avoir un rôle à jouer en tant que vecteurs de thérapies.
Le potentiel des véhicules extracellulaires en tant qu'agents thérapeutiques est également activement évalué. Modifiées, elles pourraient par exemple constituer des nanovecteurs, autrement dit des véhicules nanoscopiques capables de transporter des médicaments à des endroits très précis de l'organisme.
Par ailleurs, leur composition étant partiellement commune à celle des cellules qui les produisent, elles en partagent aussi certaines fonctions.
Ainsi, les vésicules extracellulaires provenant de cellules dendritiques (des cellules du système immunitaire qui patrouillent dans l'organisme et alertent les autres cellules participant à sa défense en cas de problème) sont capables d'induire une réponse du système immunitaire. Cela se produit lorsqu'elles rencontrent des lymphocytes T appropriés.
Cette fonctionnalité a notamment été évaluée dans l'un des premiers essais cliniques sur les vésicules extracellulaires de phase 2 (où l'efficacité par rapport aux traitements classiques peut être évaluée). Mené en France, cet essai utilisait des vésicules extracellulaires de cellules dendritiques mises en présence avec un antigène tumoral (un fragment de tumeur capable de déclencher une réponse immunitaire lorsqu'il est présenté par les cellules dendritiques aux autres cellules immunitaires).
L'objectif était d'éduquer le système immunitaire des patients atteints de cancer contre leur propre tumeur. Cet essai a cependant été interrompu après traitement de 22 patients, car les réponses des patients ne se sont pas avérées à la hauteur des espoirs, et les cliniciens souhaitaient plutôt essayer d'autres traitements expérimentaux d'immunothérapie non basée sur les exosomes.
Autre type de vésicules extracellulaires intéressantes : celles provenant de cellules souches. En effet, elles partagent également les propriétés régénératives de ces cellules indifférenciées, capables de donner de nombreuses sortes de cellules spécialisées. Des travaux explorent la possibilité d'utiliser ces vésicules pour favoriser la survie cellulaire ou la régénération des tissus endommagés, par exemple après une radiothérapie. Elles pourraient aussi être employées pour traiter des pathologies inflammatoires chroniques (comme les maladies ostéo-articulaires), ou d'autres pathologies liées à un état inflammatoire exacerbé, voire les maladies cardiovasculaires.
Les vésicules auraient alors des avantages significatifs par rapport aux cellules souches, en particulier d'être non-réplicatives, évitant une «infection» de l'organisme, congelables, et de provoquer peu de réactions du système immunitaire.
Les neurosciences s'intéressent de près aux vésicules des systèmes nerveux. Les vésicules extracellulaires régénératrices suscitent par exemple des espoirs immenses en matière de réparation ou de protection des cellules cérébrales, notamment dans des affections comme la maladie d'Alzheimer ou de Parkinson.
D'autres propriétés des vésicules extracellulaires en font des candidats idéaux pour le ciblage thérapeutique. Elles peuvent en effet être utilisées pour transporter des molécules bioactives (protéines, ARN, etc.), protégeant ainsi ces molécules d'une dégradation naturelle qui diminuerait leur efficacité. À l'inverse, elles peuvent servir à isoler des principes actifs qui seraient trop toxiques pour l'organisme sous forme soluble.
Les vésicules extracellulaires peuvent aussi avoir la capacité de se lier spécifiquement à certains types de cellules (ou l'acquérir grâce à des manipulations de bio-ingénierie). Les chercheurs espèrent pouvoir les utiliser pour transporter des ARN interférents ou des médicaments anticancéreux directement dans les cellules tumorales, sans affecter les cellules saines environnantes. Cela augmenterait l'efficacité des traitements tout en réduisant les effets secondaires indésirables.
Dans le cas des infections virales, des recherches explorent le potentiel des vésicules extracellulaires pour transporter des molécules antivirales ou pour renforcer la réponse immunitaire contre des infections telles que le covid-19 ou le VIH.
Les vésicules extracellulaires présentent donc un potentiel énorme en médecine de précision et en médecine personnalisée. Des essais cliniques de phase I et II contre les tumeurs malignes avancées ont déjà démontré la faisabilité et la sécurité de l'utilisation des vésicules extracellulaires à des fins thérapeutiques.
Conséquence de l'espoir soulevé par ces approches, des projections récentes indiquent que la taille du marché mondial des vésicules extracellulaires pourrait atteindre plus de 200 millions de dollars en 2025, avec, dans les années à venir, un taux de croissance exponentiel.
Certains experts du domaine de l'application thérapeutique des vésicules extracellulaires considèrent que le marché «maladies» risque de se trouver prochainement, voire serait déjà, dans la phase de «creux de la désillusion» après avoir atteint un «pic d'attentes exagérées». La principale raison de cette désillusion est l'immaturité de ce domaine de recherche, notamment en matière de mécanismes d'action et d'outils diagnostiques validés.
La diversité des vésicules extracellulaires (origine, taille, contenu) rend leur isolement, leur analyse et leur classification très complexes.
Les extraire d'un fluide biologique ou d'une culture cellulaire nécessite des techniques de pointe. Cependant, même les méthodes les plus sophistiquées peuvent co-isoler des débris cellulaires ou des contaminants, ce qui complique l'interprétation des résultats.
Depuis 2005, les dizaines d'études cliniques portant sur les vésicules extracellulaires employées comme médicaments ont eu recours à des méthodes d'isolement et de caractérisation très variées, ce qui rend ces études difficiles à comparer.
Par ailleurs, ces travaux fournissent peu ou pas d'informations sur les mécanismes d'action, en particulier concernant leur capacité à contrer les mécanismes à l’origine des maladies. Or, cette information est nécessaire pour pouvoir tester et valider chaque préparation avant utilisation.
En outre, alors que l'on sait que la grande majorité des vésicules extracellulaires sont éliminées du système vasculaire en quelques minutes, les études disponibles n'ont rapporté aucune donnée concernant leur devenir dans les organismes (pharmacocinétique), l’endroit où elles se retrouvent (biodistribution) ou leur efficacité de ciblage.
Ces lacunes s'expliquent par le manque d'outils permettant d'étudier ces messagers nanométriques au sein des êtres vivants, en raison de leur minuscule taille et de leur hétérogénéité.
Avant d'arriver à une mise sur le marché de traitements à base de vésicules extracellulaires, de nombreux obstacles restent encore à surmonter.
Il faudra notamment :
De nombreux efforts sont actuellement déployés en ce sens, et l'ensemble des avancées obtenues est structuré, échangé et débattu par des comités et groupes de travail au sein de sociétés savantes à l'échelle internationale comme l’ISEV) et nationale comme la FSEV). Les enjeux sont importants, il en va par exemple de la crédibilité d'usage de l'information scientifique, et de la souveraineté scientifique.
Soulignons que le passé récent nous a démontré que les obstacles techniques ne sont pas forcément insurmontables : voici 30 ans, peu de gens croyaient au potentiel thérapeutique des ARN messagers.
En attendant d'obtenir des données scientifiques solides concernant l'efficacité des exosomes, leurs mécanismes d'action, et leur valeur ajoutée par rapport aux approches existantes, mieux vaut écouter les mises en garde répétées de la communauté scientifique. Et éviter de céder à la surenchère et à la «scienceploitation» – autrement dit, l'exploitation de termes scientifiques pour vendre des produits sans preuves solides d'efficacité – par certains acteurs du marché de la cosmétique.
SYNTHÈSE NOTEBOOK
Ce texte explore le rôle des vésicules extracellulaires, et plus précisément des exosomes, qui agissent comme de véritables messagers entre les cellules de notre organisme. Bien que le secteur de la cosmétique s'en soit emparé à des fins marketing souvent douteuses, la recherche scientifique sérieuse y voit un levier majeur pour le diagnostic précoce et le traitement de maladies graves comme le cancer ou Alzheimer. Ces particules miniatures pourraient servir de vecteurs thérapeutiques ciblés, capables de transporter des médicaments directement vers les zones à traiter tout en limitant les effets secondaires. Toutefois, l'article souligne que de nombreux défis technologiques subsistent, notamment pour standardiser leur production et garantir leur sécurité biologique. En somme, si le potentiel médical est révolutionnaire, une surveillance scientifique de premier ordre reste nécessaire face aux promesses commerciales actuelles non vérifiées.
Comment les exosomes sont-ils passés de simples déchets à des messagers cellulaires essentiels ? NoteBooKLM
Commentaire
Ces particules miniatures (EXPOSOMES) pourraient servir de vecteurs thérapeutiques ciblés, capables de transporter des médicaments directement vers les zones à traiter tout en limitant les effets secondaires.
A suivre !
A LIRE
Nanomédicaments pour traiter maladies graves et recherches duales
https://comptes-rendus.academie-sciences.fr/biologies/articles/10.5802/crbiol.168/