« Science sans conscience n’est que ruine de l’âme »
Rabelais
Dans l’espace de réflexion apporté par le confinement, chacun y va de ses conjectures sur le monde d’après. S’il est clair que le monde d’après ne sera plus comme celui d’avant, tout repose sur la capacité des humains, et notamment de leurs dirigeants, à s’entendre sur la notion de sens de la vie, le fameux meaning of life, dont des milliards d’individus n’ont jamais entendu parler tout en en percevant la douloureuse absence jour après jour.
Si, comme le prétend Yuval Noah Harari, l’auteur du fameux bestseller Sapiens, la vie réelle n’existe que dans le récit qu’on en fait, l’expérience de la pandémie constituera une formidable opportunité d’imaginer un récit capable de donner du sens à la vie humaine, aux nantis comme aux déshérités. Il écrit par exemple : « Le pharaon biologique était sans grande importance, le vrai maître de la vallée du Nil étant un pharaon imaginaire qui n’existait que dans les histoires » (1)
De multiples religions et philosophies ont emboité le pas, avec les effets catastrophiques que ces récits disparates ont entrainés.
Yuval Noah Harari écrit également : « Brejnev et Castro s’accrochèrent aux idées que Marx et Lénine avaient formulées à l’âge de la vapeur, sans comprendre le pouvoir des ordinateurs et de la biotechnologie. L’islam radical est encore plus mal loti : il ne s’est pas encore accommodé de la révolution industrielle » (2) . Il est clair que la vulnérabilité de l’humanité, révélée en ce moment par le fléau qui la frappe, vient du fait que nous continuons à construire notre récit avec des concepts du passé, et tout continuera comme avant, à quelques ajustements près, si nous ne sommes pas capables de prendre un temps d’avance. La suprématie de groupes d’individus (cités, états…) a longtemps reposé sur la puissance militaire puis, après que les frontières ont été quasiment figées, sur la puissance économique, qui a enfanté la mondialisation telle que nous la connaissons aujourd’hui. Mais la vraie supériorité, de nos jours, réside dans le savoir et l’intelligence, notamment artificielle qui, comme l’atome, peut induire les meilleurs et les pires effets.
Une utilisation globale et sans filtre de l’intelligence artificielle (IA) aurait permis de détecter le Covid-19 dès le départ, et l’histoire en aurait été complètement changée. L’IA serait allée directement et immédiatement à l’essentiel, sans se prendre les pieds dans le tapis des misérables egos nationaux. Bien qu’on ait cruellement besoin d’elle aujourd’hui, la Chine est pathétique dans son rôle de grande pourvoyeuse de masques et d’équipements divers, après avoir laissé le feu prendre sans en alerter le monde, pire en punissant les rares lanceurs d’alerte qui s’y sont hasardés. Si le développement de la pandémie n’est pas ralenti, voire contrôlé, comme d’aucuns le supposent, dès que la température ambiante augmente, l’Afrique risque d’être une bombe à retardement, car les pauvres ne veulent pas mourir de faim pour éviter de mourir du covid-19. Au Burkina Faso on dit que le Pochvid-20 est plus mortel que le Covid-19.
Il serait facile, et probablement illusoire, comme beaucoup le font chaque jour, d’élaborer des propositions, dont beaucoup sont d’ailleurs pertinentes et peuvent contribuer à la construction de nouveaux récits, mais c’est d’UN nouveau récit qu’on a besoin, tout au moins pour ce qui concerne les choses essentielles. Plutôt que d’élaborer des solutions particulières, il est nécessaire de partir d’un projet-cadre qui sera le récit dans lequel les différentes solutions viendront s’inscrire, afin d’évoluer d’une mondialisation économique vers une mondialisation sociétale et environnementale. Les deux ne sont d’ailleurs pas incompatibles, pour autant qu’on change radicalement la structure des coûts de production des biens et services afin qu’ils reflètent leurs impacts sociétal et environnemental.
Sera-t-on capable de construire ce nouveau récit de l’humanité ? Nous avons le savoir et l’intelligence pour y parvenir, mais il manque encore la conscience, une conscience collective qui permet seule de faire les bons choix.
François Rabelais avait vu juste quand il écrivait «Science sans conscience n’est que ruine de l’âme ». Il suffit de remplacer le mot "âme" par le mot "récit" et on a un début de solution pour substituer une mondialisation heureuse à son désastreux homonyme actuel et donner ainsi du sens à la vie des humains. Mais sera-t-on capable de faire un bon usage des outils dont nous disposons, et notamment de l’IA, alors que traçage rime avec flicage ?
[1] Dans Homo Deus, Albin Michel, 2017
[2] id
RAPPEL : #1MASQUEPOURTOUS c'est maintenant !