Le "Portrait du Docteur Gachet" par Vincent Van Gogh

Le "Portrait du Docteur Gachet" par Vincent Van Gogh

 iconographie : Van Gogh

Article écrit par Romain Jacquet, Médecin Vasculaire, Chanteur, Auteur-Compositeur, Reims
 “Il faut commencer par éprouver ce qu'on veut exprimer.” Vincent Van Gogh

“Réaliser des esquisses revient à planter des graines pour faire pousser des tableaux.” Vincent Van Gogh

 
Abordons aujourd'hui les rapports particuliers avec le monde de la peinture du Docteur Paul Gachet, médecin français du XIXe siècle, ami des impressionnistes, passionné d'art et devenu célèbre pour avoir accompagné les dernières heures de la vie de Vincent Van Gogh à Auvers-sur-Oise.
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En effet, après l'hospitalisation mouvementée de Vincent à Arles suite à la mutilation de son oreille, puis son placement volontaire pendant un an à l'asile Saint-Pierre de Mausolé de Saint-Rémy de Provence, Théodore (Théo) le frère de Vincent contacte le Docteur Gachet sur les recommandations du peintre Pissarro, afin que son frère puisse bénéficier d'une résidence paisible à la campagne sous sa «surveillance» médicale. Il est assez probable que Théo souhaite aussi l'écarter des influences de la vie parisienne et c'est dans ces conditions que Vincent Van Gogh arrive à Auvers- 
sur-Oise où il passera les 70 derniers jours de sa vie.
 
Le Docteur Gachet est né à Lille en 1828. Après avoir été externe des hôpitaux de Paris, il se fait recevoir Docteur de la faculté de Montpellier et se consacre notamment au traitement des maladies mentales et nerveuses (il passera d'ailleurs sa thèse sur la mélancolie). Ensuite, il va s'initier à la doctrine de Frédéric Hahnemann (fondateur de l'école homéopathique), pour devenir un homéopathe convaincu. Il n'exerce pas la médecine à Auvers-sur-Oise, sinon très occasionnellement, car il est exclusivement au service de la compagnie du chemin de fer du Nord et il se rend régulièrement plusieurs jours par semaine à Paris où il dirige depuis 1862 une clinique de médecine générale.

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 En fin de semaine, le Docteur Gachet revient à Auvers-sur-Oise pour se consacrer principalement à sa passion de la peinture, qu'il pratique lui-même, mais il sait surtout s'entourer de peintres reconnus ou en passe de le devenir et ainsi élaborer une collection de tableaux assez conséquente qui fera sa réputation en cette fin de XIXe siècle et qui perdurera dans le monde de la peinture. Gachet perd sa femme en 1875 et elle lui aura donné deux enfants qui seront élevés par une gouvernante: une fille Marguerite Clémentine et un fils Paul. Vincent Van Gogh peindra Marguerite au piano et son père apprenant qu'elle a posé seule, il leur interdira toute amitié, ce qui affectera profondément Vincent (Marguerite sera aussi l'héroïne du film "Van Gogh" de Maurice Pialat où le réalisateur leur prêtera une liaison passionnée, en laissant par ailleurs à Jacques Dutronc, l'interprète, l'intégrité de ses 2 oreilles...).
 
Auvers-sur-Oise, à l'époque, est un village peuplé de cultivateurs habitant des maisons aux toits de chaume, situé à 30 km au nord et à une heure de train de Paris et qui s'étend en suivant les bords de l'Oise sur une longueur de plus de 4 km, devenant quelques années plus tard un lieu de résidence secondaire pour des parisiens aisés qui viennent y chercher le calme de la campagne. Avant que Vincent Van Gogh ne s'y installe, le village est déjà apprécié et fréquenté par les peintres, tout d'abord Daubigny, puis Cézanne qui y rencontrera Pissarro et Vignon, développant de façon méthodique à leur contact le fait de peindre en plein air et élaborant son système très personnel de coloris.

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Van Gogh arrive donc le 20 mai 1890 à Auvers-sur-Oise par le train, bien évidemment dans un état de grande fragilité psychologique, à la recherche de la lumière d'un village du Nord qui lui rappelle sa Hollande natale, après l'éblouissement lumineux de la campagne arlésienne. Lui qui n’aura vendu qu’une seule toile de son vivant a certainement quelque chose à prouver car, pour la première fois, un article élogieux de 17 pages vient d’être publié où il est jugé comme le digne descendant de Rembrandt. Le peintre loue à l'auberge Ravoux sur la place du village une chambre plus que modeste, puisqu'il s'agit d'une pièce de 7 m² sous les toits avec juste une lucarne ouverte sur le ciel. Vincent, fidèle à son mode de vie monacale et très pauvre, se lève facilement dans la chaleur de l'été pour aller parcourir des kilomètres à pied et perfectionner son art de la peinture dans le village et la campagne environnante.
 
Le Docteur Gachet a 62 ans lors de sa rencontre avec Van Gogh et dès le début, dans une de ses nombreuses correspondances, Vincent dit se méfier de ce médecin au moins aussi excentrique et dérangé que lui-même. Il se sent toutefois assez proche du Docteur Gachet au début de leur relation et cette rencontre sera certainement favorable à la créativité de Van Gogh, car Gachet l'encourage à peindre le plus souvent possible pour lutter contre la mélancolie qu'il diagnostique de façon évidente chez Vincent, ce qui aura pour conséquence une fièvre créatrice intense et la réalisation de 70 tableaux au cours de ces 70 derniers jours de sa vie. Mais l'état de santé mentale de Van Gogh s'aggrave et conduit à son suicide par balle le 27 juillet 1890 (il meurt 2 jours plus tard à l'âge de 37 ans).
 
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Jamais la vie d'un peintre n'aura nourri autant de passion et c'est certainement le parcours de Vincent lui-même qui en est la cause. En premier lieu son instabilité émotionnelle, mais aussi ce suicide qui a peut-être contribué à son succès posthume (par analogie à d'autres destins brisés en pleine jeunesse dans d'autres disciplines artistiques, comme plus récemment James Dean, Jim Morrison et tant d'autres). Ce décès survient alors que le peintre semble avoir trouvé la maîtrise parfaite de son art, notamment la réalisation de couleurs intenses et on peut se demander si l'accélération de sa création comme une urgence n’est pas due à un ressenti de mort imminente chez l'artiste de plus en plus tourmenté. Comment ne pas l'évoquer lorsque l'on voit une de ses dernières toiles quasi prémonitoire d'un champ de blé avec des corbeaux qui occupent le ciel de façon inquiétante et qu'il peindra quelques jours avant de se donner la mort ? Vincent se tire une balle dans la poitrine, dans une grande solitude, considérant certainement que son art ne lui permettra jamais de rembourser son frère Théo avec qui il vient d'avoir une entrevue et qui n'aura cessé de l'aider financièrement.
 
Ce qui donnera encore plus de force posthume à l'œuvre de Van Gogh, ce sont les nombreux commentaires qu'il écrit sur ses propres tableaux et que l'on retrouvera dans les correspondances régulières qu'il échange avec Théo, ce qui nous permet d'expliquer et de suivre la progression de son œuvre. On peut être fasciné par cette quête de la perfection notamment la maîtrise des couleurs, qu'il utilise différemment après sa rencontre avec les impressionnistes et les néo impressionnistes dont Paul Gauguin, s'orientant vers un choix de couleurs plus claires et plus vives. Pissarro le pousse lui aussi à choisir une plus grande palette de couleurs et l'initie par ailleurs au pointillisme. Cette utilisation de couleurs plus vives notamment le rouge se précisera lorsque Van Gogh étudiera et collectionnera quelques estampes japonaises.
 
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Mais revenons au sujet qui nous intéresse aujourd'hui. Parmi les très nombreux tableaux que Vincent peint à Auvers-sur-Oise, il y a deux portraits du Docteur Gachet lui-même, qui resteront assurément célèbres, tout d'abord parce que l'un des deux deviendra à une époque, le tableau le plus cher vendu au monde et que l'autre sera source d'une polémique inattendue ( Vincent réalisera au préalable une première représentation du Docteur Gachet à sa demande, sous forme d'une "eau-forte", mais il abandonnera cette technique et cet exercice restera le seul de ce type réalisé par l'artiste). Concernant les deux tableaux, le Docteur apparaît le regard figé dans une attitude typiquement mélancolique : le buste un peu affaissé, la tête reposant sur son poing fermé dans une attitude pensive presque absente, les yeux fixant le vide. Dans une lettre à sa soeur, Van Gogh écrit :"J'ai fait le portrait du Docteur Gachet avec une expression de mélancolie qui souvent à ceux qui regarderaient la toile, pourrait paraître une grimace".

Ces portraits du Docteur Gachet alimenteront des années plus tard une polémique inattendue, car Vincent Van Gogh nourrit après sa mort de nombreux fantasmes qui concernent bien évidemment sa fragilité psychologique, mais aussi cette productivité intense à Auvers-sur-Oise qui devient suspecte lorsqu'en 49, Marguerite et Paul, les 2 enfants du Docteur Gachet, donnent à l'État français la collection que leur a léguée leur père et notamment la 2e version du "portrait du Docteur Gachet" au musée du Louvre. Plusieurs spécialistes sont alors surpris de découvrir des œuvres inédites et rapidement viennent à contester l'authenticité de certains tableaux et tout particulièrement cette 2e version du tableau du Docteur Gachet dont ils jugent l'exécution faible, argumentant par ailleurs que Van Gogh n'a jamais parlé d'un 2e tableau dans ses correspondances. Il faut rappeler que le Docteur Gachet qui survivra près de 20 ans à Van Gogh préférait parfois le troc de tableaux de ses amis peintres en remplacement de ses honoraires, ce qui contribuera à l’élaboration d’une collection non négligeable (toutefois ces artistes et plus particulièrement Van Gogh n’avaient pas encore de valeur marchande à l'époque, mais ce n'est plus le cas au début des années 50 lorsque la collection est cédée à l'état). Pour s'entraîner à la peinture, le Docteur Gachet (qui signe ses propres tableaux sous le pseudonyme de Paul Van Ryssel en référence à de lointaines origines flamandes) réalise lui-même des copies de certains tableaux dont il dispose, notamment de Cézanne et on attribuera aussi de faux tableaux de Cézanne à sa collection. Son fils Paul peint lui aussi (il signe ses tableaux sous le nom de Louis Van Ryssel) et enfin, Blanche Derousse, nièce de la gouvernante et amie du fils, apporte sa contribution dans la copie de tableaux pour établir un catalogue de la collection Gachet et on lui prête aussi un rôle de faussaire.

Devant l'intensité des rumeurs, les musées nationaux se voient dans l'obligation d'organiser en 54-55 une exposition à L'Orangerie. En 99, le musée d'Orsay, dorénavant possesseur de la 2e version du tableau du Docteur Gachet censé être un faux, se voit dans l'obligation de contre-attaquer en réalisant une exposition autour du Docteur Gachet lui-même, le médecin mécène des impressionnistes. Il faut bien évidemment comprendre l'enjeu financier de cette polémique et la nécessité d'une riposte de la part des musées nationaux quand on sait l'envolée des prix pour acquérir un tableau de Vincent (en mars 1987, "les Quatorze Tournesols" de Vincent Van Gogh sont vendus pour 268 millions de francs devenant le tableau le plus cher du monde avant d’être déclassé par deux autres oeuvres de Van Gogh, "Les Iris" vendus pour 320 millions de francs et ensuite la première version du "Portrait du Docteur Gachet" pour 456 millions de francs en mai 1990 et qui rejoint une collection privée au Japon).

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Benoît Landais est certainement le spécialiste le plus véhément et convaincu de la qualité de faussaire de la famille Gachet et il argumente abondamment ses thèses, notamment après la découverte d'un dessin du Docteur Gachet signé Vincent, derrière un miroir acquis par une famille dans une brocante en 2003 et dont chacun des détails n'est qu'un patchwork copiant plusieurs tableaux de Van Gogh, prouvé par superposition numérique. Cependant, il faut rappeler que la copie de tableaux reste une activité classique qui peut toucher tous les peintres connus (le peintre le plus copié restant Corot et concernant Rembrandt, le catalogue estimé à 1000 tableaux est passé après révision à 400 tableaux…). Pour autant, d’autres études sur les tableaux authentiques de Van Gogh menées par des spécialistes différents ont permis de révéler que les couleurs, plus particulièrement les rouges et les roses, s'étaient atténuées avec le temps et on a découvert que Van Gogh utilisait de l'éosine, pour raviver les rouges (l'éosine se dégrade à la lumière). L'étude des tableaux peints par le Docteur Gachet lui-même a permis de prouver qu'il n'utilisait jamais l'éosine. Quant à son fils, il semble qu'il se servait de toiles différentes de celles de Van Gogh. Selon cette théorie, il apparaît donc facile de différencier un vrai Van Gogh d'une simple copie et on voit donc que la polémique, comme toute autre, garde ses farouches adeptes et opposants. La conclusion serait qu'il n'y a peut-être pas plus de 10 à 20 faux tableaux de Van Gogh, mais au prix où se vend un tableau, l’activité de copiste reste potentiellement lucrative…
 
Finalement, plus d'un siècle après sa disparition, que peut-on retenir du Docteur Gachet et de ce qu'il était ? Très probablement un artiste frustré, admiratif de la créativité de ses amis peintres fréquentés assidûment, notamment à Auvers-sur-Oise. Concernant la peinture, assurément un homme de goût avec une réelle intuition pour déceler le talent qu'il n'avait pas lui-même et dans ce sens, il a certainement appréhendé l'œuvre de Van Gogh dans sa puissance et son universalité bien avant tout le monde. Aura-t-il réellement voulu dans une entreprise volontaire de copiste accroître son patrimoine artistique ou alors cela aura-t-il été la volonté de son fils ? Y a-t-il réellement eu acte de tromperie artistique ?
!!!!!!!!!!!!!
 
Mais l'élément majeur qu'il nous faut certainement retenir de la vie du Docteur Gachet, c'est cette rencontre avec l'artiste tourmenté qu'il encouragea à la création, notamment en lui ouvrant les portes de sa maison pour lui offrir un lieu propice à l'apaisement.
 
C'est assurément cette rencontre qui aura permis au médecin de passer à la postérité, après la découverte posthume de cet immense chef-d'œuvre que restera la création de Vincent Van Gogh qui aura immortalisé le Docteur Gachet de façon authentique dans au moins un de ses portraits

"J'ai compris que, même pauvre et nécessiteux aux regards du monde, on peut s'enrichir en Dieu et que ce trésor-là, nul ne peut vous l'enlever." Vincent Van Gogh

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Article publié dans le Lettre du Médecin Vasculaire, N°50 Mars 2020
Autorisation de publier cet article de la LMV