Les Pierres de la Faim

Les Pierres de la Faim

 

iconographie : Faim

Signé Docteur Joëlle Laffont, Médecine Vasculaire, Toulouse


Les « Pierres de la Faim ». "Si tu me vois, commence à pleurer. » « Nous avons pleuré, nous pleurons, vous pleurerez. »

Été 2022 : pour la première fois depuis 2018, des « pierres de la faim » ont été observées sur les bords de l’Elbe, à Děčín en République Tchèque.

 'Ah ! la faim ! Ce mot-là, ou plutôt cette chose-là, a fait les révolutions;elle en fera bien d'autres!'  Gustave Flaubert

 

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17 août 2022. Worms, en Allemagne. L'une des «pierres de la faim», où sont gravées plusieurs dates. 

Maximilian Schwarz –Reuters

 

En nos contrées dites tempérées mais peut-être plus pour si longtemps, plusieurs vagues successives et rapprochées de chaleurs intenses jusqu’alors rares mais dont la fréquence pourtant augmente (il faut l’admettre), associées à un déficit cruel en « eau du ciel », ont généré une sécheresse extrême inédite pendant cet été 2022 lui-même mémorable par la rudesse et la brutalité des évènements climatiques qui ont partout marqué sa durée, laissant des traces : la cicatrisation sera longue et peut-être/surement incomplète.

la sécheresse intense de cet été 2022, a tari les fleuves et a fait parfois ressortir sur les rives ou dans le lit des fleuves, des rivières et cours d’eau mis à l’étiage, des constructions immergées depuis des siècles.

Que sont donc ces « pierres de la faim » constructions pour le moins curieuses, couvertes d’inscriptions vieilles de plusieurs siècles ? Des « lanceuses d’alerte » climatique ? Les "pierres de la faim" témoignent dit-on d’un stress hydrique. ce sont des rochers qui ne sont visibles au lit des rivières que lorsque le niveau des eaux est extrêmement bas, et sur lesquels les habitants de la région ont gravé, au fil du temps, les dates de chaque épisode de chaleur intense représentant aussi un risque de famine à cause de mauvaises récoltes.

Nos anciens nous auraient-ils laissé un message … inquiétant ? sur une de ces pierres, on peut lire, sculptée en 1616, la plus célèbre des sentences ancestrales : "si tu me vois, pleure".

Au cours de l’été 2022, elles ont refait surface un peu partout en europe, comme un signe en forme d’avertissement venu des temps anciens pour « secouer » le monde actuel.

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C’est principalement sur les rives de l’elbe (fleuve d’europe centrale qui nait en république tchèque, traverse l'allemagne du sud-est au nord-ouest avant de se jeter dans la mer du nord) - en allemagne, et en république tchèque - que ces pierres dites ancestrales ont refait surface et ont été signalées par différents médias depuis aout 2022. elles sont également désignées par le terme allemand d’« hungerstein » (qui se traduit littéralement par "pierres de la faim"), inspiré par une inscription trouvée sur l'une des pierres, qui décrit l'année 1947 comme "l'année de la faim".

 

Elles témoignent des mauvaises récoltes et des souffrances passées, des risques de famine. En effet, il y a nombre de siècles en arrière ces pierres ne devenaient visibles qu’au cours de périodes de sécheresse intense, s‘accompagnant de productions agricoles et piscicoles moins abondantes, d’une désorganisation des transports fluviaux et donc du commerce. Il apparait qu’elles étaient utilisées comme des repères hydrologiques avertissant d’un risque de disette puis de famine imminent. Sur une pierre, on trouve dix dates allant de 1417 à 1893 et retraçant différents épisodes de basses eaux. La dernière apparition de ces pierres sur les rives de l’Elbe remonte à 2018.

 

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Sur les rives de l’Elbe mais aussi celles du Danube, du Rhin, de la Weser et de la Moselle, les « Pierres de la Faim » rappellent que l’Europe a déjà eu à souffrir de sécheresse et de manque d’eau. Elles ont été placées dans les cours d’eau dès le milieu du Moyen Age vers 1340 jusqu’au XVIIIème siècle nous apprend A. Soubigou (Maître de conférences à la Sorbonne Paris 1, spécialiste de l'histoire contemporaine de l'Europe centrale) : « Elles apparaissent dans des terres éloignées des mers. Et évidemment, la disparition ou la baisse du niveau de l'eau provoque une inquiétude bien plus marquée que dans des pays comme, par exemple, la France, qui est bordée de mer et d'océan.».

Il nous dit aussi  « Sur ces Hungerstein, il y a souvent une sentence, une phrase annonçant la sécheresse, ensuite la famine, puis la mort de masse » ce sont des variantes autour de ce thème : « Si tu me vois, commence à pleurer » (1616 sur les rives de l'Elbe, à Děčín, en République tchèque) ou encore à Tuchlovice « Nous avons pleuré, nous pleurons et vous pleurerez ». D’autres sentences sont lisibles sur ces pierres sculptées ainsi « La vie refleurira une fois que cette pierre aura disparu » ou « Celui qui m'a vu une fois, a pleuré. Celui qui me voit maintenant va pleurer » et encore sur une autre « Si tu revois cette pierre, tu vas pleurer. Voici à quel point l'eau était peu profonde en l'an 1417 ».

La première inscription daterait de 1417. Les Pierres de la faim sont le témoin des périodes de sécheresses successives depuis 1417 suivies de 1616, 1707, 1746, 1790, 1800, 1811, 1830, 1842, 1868, 1892 et 1893. C’est à dire pas moins de douze épisodes de sécheresses intenses avant le 20ème siècle, recensées lors d’une étude menée en 2013 par des chercheurs de République tchèque.

Au XXème siècle, si l’on cherche un peu, il est possible de trouver les dates ajoutées de 1903- 1904-1906 ou encore 1911- 1921- 1928- 1930 -1934 – 1952- 1963.

Et 2022 alors ? En ce 21ème siècle, d’autres pierres ont été gravées aux dates de 2003 – 2015 - 2016 et 2018 mais sans les phrases prophétiques des « Hungerstein ». Ces dernières années, la sécheresse (et son lot de drames) se révèle être l’un des signes significatifs de changement climatique en Europe Centrale : en 2018, l’ONG internationale Greenpeace avait, à son tour, gravé son message sur une pierre, à Magdebourg (Allemagne) : « Si vous me voyez, c’est une crise climatique. Août 2018 ».

En 2018, elles étaient réapparues en Europe centrale le long de l'Elbe à Děčín, en République tchèque au cours d’une période de sécheresse en rien comparable par sa férocité à celles survenues dans les 500 années antérieures selon Andrea Toreti, chercheur principal au Centre commun de recherche de la Commission européenne, qui lors d'une conférence de presse organisée le 9 août dernier, a cependant qualifié la sécheresse 2022 comme pouvant être « la pire depuis pas moins d’un demi-millénaire » […] « mais d’après mon expérience, je pense que c’est peut-être encore plus extrême qu’en 2018 ». Cette année, près de la moitié du territoire de l’Union européenne a été exposée à des niveaux de sécheresse inquiétants en juillet, et 11 % à des niveaux d’alerte supérieurs, selon une étude du Centre commun de recherche de la Commission européenne et fondée sur les travaux de l’Observatoire européen de la sécheresse (OED).

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Ces inscriptions racontent, des siècles plus tard, les souffrances de la population par manque d'eau et leurs répercussions sur la qualité de vie des gens qui tiraient leur subsistance des eaux du fleuve.

Aujourd’hui suscitant la curiosité, ces roches constituent d’excellents sites touristiques !

© Jean Stéphane Maurice. Naturae France Televisions .

 

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Alors, auriez-vous aussi remarqué des « Pierres de la faim » pendant votre été 2022 ?  Vous auriez pu sans pour cela avoir besoin de parcourir l’Allemagne ou la République Tchèque. Nous avons en France aussi des roches ancestrales : dans le Défilé d'Entreroches (Haut Doubs) où une « Pierre de la Faim » a resurgi cette année dans le lit du Doubs sans phrase prophétique similaire à celle des Hungerstein, toutefois. Elle marque pour l’Histoire les niveaux d’eau de la rivière, portant les dates gravées de 1893 année de sécheresse extrême de la fin du XIXème siècle ou de 1906 année de la plus grande sécheresse du 20ème siècle en Franche-Comté ; puis 1952 – 2018 - 2020. David BOURGEOIS découvreur de la pierre gravée en 2018, signale «… ce qui est triste c‘est que je m’aperçois qu’en l’espace de six ans la pierre a été découverte trois fois avant 2022. Ce qui était totalement exceptionnel est devenu courant aujourd’hui. C’est vraiment très inquiétant. »

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Les « Pierres de la faim » ne sont pas les seules constructions immergées à être réapparues en cet été 2022. Des ruines enfouies depuis des siècles on refait surface un peu partout en Europe.

En Italie la baisse des eaux du Tibre a fait surgir les vestiges du pont dit de Néron à Rome ; dans la ville italienne de Mantoue dans le lit du Pô, c’est une bombe non explosée de 450 kg datant de la Seconde Guerre mondiale qui a été dévoilée.

Photo : Miguel Vidal / Reuters

 

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En Galice au nord-ouest de l’Espagne, le village d’Aceredo, surnommé l’ »Atlantide galicienne », englouti en 1992 lors de la mise en service du barrage d’Alto Lindoso, à la frontière avec le Portugal, a refait surface à cause de la baisse importante du niveau de l’eau.

En Irak, le recul du Tigre met au jour un site mésopotamien, Kemune ville de l’Age de bronze, vieille de 3400 ans, submergée lors de la construction du barrage de Mossoul, il y a 40 ans.

Lorsque le lac de barrage de Vyrnwy (Royaume Uni) s’est suffisamment évaporé, les ruines du village gallois de Llanwddyn submergé en 1880, ont refait surface.

Actuellement sur les "pierres de la faim" ne figurent pas que des dates anciennes : la tradition perdure et à chaque période de sécheresse, une date est ajoutée. Les dates « récentes » sont visibles 2015 – 2016 – 2018 - 2020. Si la sécheresse était autrefois un événement exceptionnel au point de mériter une inscription à chaque fois qu'elle s'est produite, elle ne semble plus aujourd'hui avoir le même impact : peut-être en raison des moindres répercussions subies par la population suite à ces évènements, mais surtout pour la fréquence inquiétante avec laquelle les pluies se font désirer. Tout cela devient la norme …mais jusqu’à quand ? L’an 2022 changera-t-il ces navrantes  constatations?

Il n’est pas interdit de penser que pourrait voir le jour un conseil supérieur de la faim et de l’eau ou de la restriction voire les deux. Et plus encore : tant est féconde l’imagination dépourvue de pragmatisme donc conceptuelle spéculative irréaliste doctrinale fictive inutile chimérique (et j’en ai oublié), des concepteurs de ce type d’ « usines à réflexions ».

Amnésiques face aux risques, les adeptes du prévoir « après coup » poussés par l’évidence actuelle, lancent de grands discours pour inciter à la modération, aux restrictions, à la fin de l’insouciance (mais qui sait ce que signifie l’insouciance peut affirmer qu’elle n’est pas la même pour tous !), bien aidés en cela par un télescopage avec les retombées de trois désastreuses années de pandémie et les récents délires mégalomaniaques d’un faux tsar conscient de ses actes.

A ne pas anticiper on finit par « sauver les meubles » au dépens des plus précaires et des plus faibles. La nature humaine a appris l’adaptation même avec souffrances et c’est bien de cette corde là que « jouent » au maximum les « conseilleurs » : jusqu’à ce que la corde de rompe brutalement sait-on jamais.

En ce XXIème siècle, point de « Guerre de Farines » à redouter comme en 1775 (environ 300 émeutes secouèrent la France d'avril à mai, en raison de la hausse du prix du pain ; l'une des premières manifestations physiques des nombreuses crises qui conduisirent à la Révolution française de 1789-1799) : quoique ! Mais peut-être bien guerres de l’eau et/ou de la faim, des matières premières et de l’énergie : parce que pour les guerres de religions, de puissance et de territoires nous connaissons. La faim est source de rébellion, de révoltes, de grandes et violentes migrations ; le manque d’eau et l’impossibilité de vivre dignement, aussi. Les bouleversements climatiques n’y sont pas pour rien mais c’était prévu. Il eut été peut-être (j’écris bien peut-être !), de bon aloi d’avoir les yeux ouverts et les oreilles à l’écoute de celles et ceux qui savaient, qui ont alerté. Devant un commandant Cousteau dubitatif, en 1979, le vulcanologue Haroun TAZIEF en évoquait les causses possibles et conséquences mais inaudible devant le profit la rentabilité à tout va. (1979 : La prophétie d'Haroun Tazieff sur le climat | Archive INA - YouTube )

C’est bizarre il y aurait là comme un relent du printemps 2020 ?

 

L’histoire des deux rhinocéros se répéterait-elle ? Bis repetita ... tout change rien ne bouge.

Cependant une année se meurt ces jours-ci, une autre veut naitre et avec elle y aurait-il l’audace d’une espérance durable c’est à voir.

L’espoir fait vivre, mais comme sur une corde raide. (Paul Valéry)

L’espérance est le médecin de chaque misère. (Proverbe irlandais)

Pour un responsable politique, il n’y a pas pire erreur que d’entretenir de faux espoirs, destinés à être balayés par les événements. (Winston Churchill)

L’espoir ce n’est pas de croire que tout ira bien, mais de croire que les choses auront un sens. (Vaclav Havel)

Chaque période de trouble de l’histoire ouvre une brèche d’espoir, et la seule chose certaine et inchangeable est que rien n’est certain ni inchangeable. (John Fitzgerald Kennedy)

Références

Sécheresse en Europe : les "pierres de la faim" mises au jour - BBC News Afrique

Avec la sécheresse en Europe, les « pierres de la faim » ressurgissent comme un avertissement (lemonde.fr)

Avec la sécheresse, les « pierres de la faim » refont surface (futura-sciences.com)

"Si tu me vois, pleure" : des inscriptions vieilles de plusieurs siècles refont surface et suscitent l'inquiétude (maxisciences.com)

Sécheresse : 1893,1906,1952... "ceux qui ont gravé cette pierre ont voulu laisser une trace dans l'histoire", David raconte son incroyable découverte dans le lit du Doubs (francetvinfo.fr)

Avec la sécheresse, les vestiges d'un village gallois submergé refont surface (bfmtv.com)

Aceredo, ce village espagnol englouti refait surface trente ans après sa disparition - Edition du soir Ouest-France - 15/02/2022

La guerre des farines, signe avant-coureur de la Révolution française - Matière et Révolution (matierevolution.fr)