Obéissance ou la banalité du mal

 

"Le premier savoir est le savoir de mon ignorance : c'est le début de l'intelligence."  Socrate


"La violence dans les hiérarchies sociales est exercée par des individus qui se distinguent des autres par leur orientation autoritaire." Johan Lepage

 

La banalité du mal : ce que dit la recherche en psychologie sociale

Johan Lepage

Chercheur associé en psychologie sociale, Université Grenoble Alpes (UGA)

Une réflexion très importante, merci à  Johan Lepage et à The CONVERSATION 

 

La recherche en psychologie sociale réfute la thèse de la banalité du mal. La violence dans les hiérarchies sociales est exercée par des individus qui se distinguent par un élément : leur orientation autoritaire – et ainsi par un comportement particulièrement coercitif, inégalitaire et intolérant.


Le chercheur en psychologie sociale Stanley Milgram publie en 1964 la première recherche expérimentale sur la soumission à l’autorité. Son protocole consiste à demander à des personnes volontaires d’infliger des décharges électriques à un autre participant (en réalité un compère de Milgram) dans le cadre d’une recherche prétendument sur les effets de la punition sur l’apprentissage. Un échantillon de psychiatres prédit une désobéissance quasi unanime, à l’exception de quelques cas pathologiques qui pourraient aller jusqu’à infliger un choc de 450 volts.

Les résultats provoquent un coup de tonnerre : 62,5 % des participants obéissent, allant jusqu’à administrer plusieurs chocs de 450 volts à une victime ayant sombré dans le silence après avoir poussé d’intenses cris de douleur. Ce résultat est répliqué dans plus d’une dizaine de pays auprès de plus de 3 000 personnes.

"On peut retrouver cette expérience dans le film d'Henri Verneuil : I comme ICARE "
"Dans l'expérience de Milgram, l'autorité est physiquement à côté du moniteur chargé d'envoyer les décharges, elle donne des ordres brefs et directement entendus (« Continuez, s'il vous plaît »). Sa légitimité vient de son statut de scientifique qui mène une expérimentation pour faire progresser le savoir.2 avr. 2023" Wikipédia

Comment un tyran arrive-t-il à se faire obéir ?

Un extrait glaçant et pourtant terriblement vrai tiré du chef d'oeuvre "I comme Icare" (1979). Je vous laisse vous en imprégner et vous ajoute juste quelques réflexions personnelles sur le sujet 👇

" La soumission fonctionne sur le duo peur-admiration." Ce sont deux
puissantes émotions pour aliéner les esprits et générer des interférences."

"Nombreux sont ceux qui ont soif du confort de l’autorité." Les leaders par soumission ont leur public, leurs clients. La peur d’être abandonné est souvent plus puissante que celle de s’abandonner. Dans un collectif, il y a toujours des courtisans qui, en recherche d’honneurs, deviennent les complices de la soumission. A leur tour, ils dominent un sous-groupe plus ou moins grand et contribuent à renforcer la pyramide sociale de l’organisation. Souvent, ils miment leur maître, exagèrent ses traits pour donner l’illusion qu’ils ont son talent. "Dans les environnements par soumission, les dominés doivent apprendre à encaisser l’humiliation." Stéphane Moriou

Ces données illustrent la forte  propension marquée à l’obéissance au sein de la population générale. Elles montrent également des différences individuelles significatives, puisqu’environ un tiers des participants désobéit. Les caractéristiques socio-démographiques des individus et le contexte culturel semblent n’avoir aucune influence sur le comportement dans le protocole de Milgram. Comment expliquer alors les différences individuelles observées ?

Nous avons conduit une nouvelle série d’expériences dans les années 2010. Nos résultats montrent un taux d’obéissance similaire ainsi qu’une influence notable de l’autoritarisme de droite : plus les participants ont un score élevé à l’échelle d’autoritarisme de droite, plus le nombre de chocs électriques administrés est important.

Recherche sur l’autoritarisme

 

La psychologie sociale traite la question de l’autoritarisme depuis plusieurs décennies. Cette branche de la psychologie expérimentale a notamment fait émerger dès les années 1930 une notion capitale : celle d’attitude.

 

Une attitude désigne un ensemble d’émotions, de croyances, et d’intentions d’action à l’égard d’un objet particulier : un groupe, une catégorie sociale, un système politique, etc. Le racisme, le sexisme sont des exemples d’attitudes composées d’émotions négatives (peur, dégoût), de croyances stéréotypées (« les Noirs sont dangereux », « les femmes sont irrationnelles »), et d’intentions d’action hostile (discrimination, agression).

Les attitudes sont mesurées à l’aide d’instruments psychométriques appelés échelles d’attitude. De nombreux travaux montrent que plus les personnes ont des attitudes politiques conservatrices, plus elles ont également des attitudes intergroupes négatives (e.g., racisme, sexisme, homophobie), et plus elles adoptent des comportements hostiles (discrimination, agression motivée par l’intolérance notamment). À l’inverse, plus les personnes ont des attitudes politiques progressistes, plus elles ont également des attitudes intergroupes positives, et plus elles adoptent des comportements prosociaux (soutien aux personnes défavorisées notamment).

Les attitudes politiques et les attitudes intergroupes sont donc corrélées. Une manière d’analyser une corrélation entre deux variables est de postuler l’existence d’une source de variation commune, c’est-à-dire d’une variable plus générale dont les changements s’accompagnent systématiquement d’un changement sur les autres variables. Dit autrement, si deux variables sont corrélées, c’est parce qu’elles dépendent d’une troisième variable. La recherche en psychologie sociale suggère que cette troisième variable puisse être les attitudes autoritaires. Cette notion regroupe des attitudes exprimant des orientations hiérarchiques complémentaires :

  • * l’orientation à la dominance sociale, une attitude orientée vers l’établissement de relations hiérarchiques, inégalitaires entre les groupes humains ;

  • * l’autoritarisme de droite, une attitude orientée vers l’appui conservateur aux individus dominants.

La recherche en psychologie expérimentale, en génétique comportementale et en neurosciences montre invariablement que ce sont les attitudes autoritaires, plus que toute autre variable (personnalité, éducation, culture notamment), qui déterminent les attitudes intergroupes, les attitudes politiques, et ainsi le comportement plus ou moins coercitif, inégalitaire, et intolérant des personnes.



Autoritarisme dans la police

 

Étudions le cas d’un groupe : la police. Plusieurs études montrent que les policiers nouvellement recrutés ont des scores significativement plus élevés à l’échelle d’autoritarisme de droite que la population générale.

Ce résultat crucial suggère que les personnes autoritaires sont plus susceptibles de choisir une carrière dans la police (autosélection) et/ou que la police a tendance à privilégier les personnes autoritaires pour le recrutement (sélection). Les personnes autoritaires et l’institution policière semblent réciproquement attirées, ce qui entraîne un biais de sélection orienté vers l’autoritarisme de droite qui, on l’a vu, est responsable d’attitudes politiques conservatrices et d’attitudes intergroupes négatives.

À des fins de recherche, des universitaires ont développé un jeu vidéo simulant la situation d’un policier confronté à une cible ambiguë et devant décider de tirer ou non. Des personnes noires ou blanches apparaissent sur un écran de manière inattendue, dans divers contextes (parc, rue, etc.). Elles tiennent soit un pistolet, soit un objet inoffensif comme un portefeuille. Dans une étude menée aux États-Unis, les chercheurs ont comparé la vitesse à laquelle les policiers décident de tirer, ou de ne pas tirer, dans quatre conditions :

(i) cible noire armée,

(ii) cible blanche armée,

(iii) cible noire non armée,

(iv) cible blanche non armée.

Les résultats montrent que les policiers décidaient plus rapidement de tirer sur une cible noire armée, et de ne pas tirer sur une cible blanche non armée. Ils décidaient plus lentement de ne pas tirer sur une cible noire non armée, et de tirer sur une cible blanche armée. Ces résultats montrent un biais raciste dans la prise de décision des policiers. Ils réfutent l’hypothèse d’une violence policière exercée par seulement « quelques mauvaises pommes ».

On observe dans toutes les régions du monde une surreprésentation des groupes subordonnés parmi les victimes de la police (e.g., minorités ethniques, personnes pauvres). Les chercheurs en psychologie sociale Jim Sidanius et Felicia Pratto proposent la notion de terreur systémique (systematic terror) pour désigner l’usage disproportionné de la violence contre les groupes subordonnés dans une stratégie de maintien de la hiérarchie sociale.

Soutien des personnes subordonnées au statu quo

 

On peut s’interroger sur la présence dans la police de membres de groupes subordonnés (e.g., minorités ethniques, femmes).

Une explication est l’importance des coalitions dans les hiérarchies sociales tant chez les humains que chez les primates non humains, comme les chimpanzés, une espèce étroitement apparentée à la nôtre. On reconnaît typiquement une coalition quand des individus menacent ou attaquent de manière coordonnée d’autres individus. Le primatologue Bernard Chapais a identifié plusieurs types de coalition, notamment :

  • * les coalitions conservatrices (des individus dominants s’appuient mutuellement contre des individus subordonnés qui pourraient les renverser) ;

  • * l’appui conservateur aux individus dominants (des individus subordonnés apportent un appui aux individus dominants contre d’autres individus subordonnés) ;

  • * les coalitions xénophobes (des membres d’un groupe attaquent des membres d’un autre groupe pour la défense ou l’expansion du territoire).

La police regroupe des individus subordonnés motivés par l’appui conservateur aux individus dominants (tel que mesuré par l’échelle d’autoritarisme de droite) et la xénophobie (telle que mesurée par les échelles de racisme).

Dans son ensemble, la recherche en psychologie sociale réfute la thèse de la banalité du mal.

La violence dans les hiérarchies sociales est exercée par des individus qui se distinguent par leur orientation autoritaire, et ainsi par un comportement particulièrement coercitif, inégalitaire, et intolérant.

Le mauvais état de la démocratie dans le monde suggère une prévalence importante des traits autoritaires. Lutter contre l’actuelle récession démocratique implique, selon nous, de comprendre ces traits autoritaires.

 

Un geste simple, mais essentiel.

Aujourd’hui, face à des défis grandissants - montée des discours populistes, propagation de la désinformation, remise en cause de la liberté académique - il est impératif de préserver un débat public éclairé. Pour cela, nous avons besoin de votre soutien. En devenant donateur, vous contribuez à rendre accessible à tous, une information de qualité, basée sur l’expertise.

Avatar
Caroline Nourry
Directrice générale de The Conversation France

Commentaire

Excellent article tout à fait en phase avec le monde dans lequel on vit : violence, démocratie illibérale, dictature, irrespect, extrémisme en tout genre… Nous vivons un monde en déliquescence, jour après jour, le chaos est la prochaine étape.

Liberté, égalité, fraternité, laïcité sont autant de mots qui sonnent creux en 2025.

Je vous conseille de revoir le film " I comme Icare ! " et vous verrez que la réalité dépasse largement la fiction.

Reprenons les conclusions de cet article :

"Dans son ensemble, la recherche en psychologie sociale réfute la thèse de la banalité du mal. La violence dans les hiérarchies sociales est exercée par des individus qui se distinguent par leur orientation autoritaire, et ainsi par un comportement particulièrement coercitif, inégalitaire, et intolérant, cas de toutes les dictatures qui prospèrent.

Le mauvais état de la démocratie dans le monde suggère une prévalence importante des traits autoritaires. Lutter contre l’actuelle récession démocratique implique, selon nous, de comprendre ces traits autoritaires. "


Pouvons nous lutter contre ce mal profond qui gangrène nos sociétés, et comment et avec qui ? Les Lumières se sont éteintes, le chaos les a remplacées avec une violence indicible qui augmente chaque jour. L'éducation parentale s'est éteinte, l'école doit réinventer l'éducation civique, apprendre les bonnes valeurs. Tout part de la plus tendre enfance, c'est dans cette période que doit être inculqué aux êtres humains l'humanisme. Toutes les attitudes inciviles doivent disparaître, on ne peut s'enfoncer encore plus dans le mal. Nous avons besoin à nouveau d'une démocratie éclairée… Aux politiques de montrer l'exemple, ce qui n'est pas le cas aujourd'hui, à de rares exceptions près.

Dans le monde, les AUTOCRATIES dépassent en nombre les DEMOCRATIES, un signe d'alerte  très grave ! Nous vivons dans une atmosphère de guerre qui est là sans être là, la guerre en filigrane de notre avenir, et faisons tout pour l'empêcher et à tout prix ! 

Les événements qui ont suivi après la victoire du PSG sont une démonstration de plus du chaos "organisé" , la banalité du monde d'ajourd'hui ! 

 

En fait, la vie, c'est  aussi et surout ça :


"Carpe Diem", le magnifique poème de Walt Whitman, une ode vibrante à vos rêves :

"Ne laisse pas le jour finir sans avoir grandi un peu, Sans être heureux, sans avoir atteint tes rêves.
Ne te laisse pas vaincre par la déception.
Ne laisse personne t’enlever le droit de parler, c’est presque un devoir.
N’abandonne pas le désir de faire de ta vie quelque chose de spécial.
Crois bien que les mots et la poésie peuvent changer le monde. 
Quoi qu’il advienne, notre être profond reste intact, Nous sommes pleinement des êtres de passion.
La vie est désert et oasis.
Nous tombons, nous avons mal, nous apprenons, nous sommes les acteurs de notre histoire,
En dépit des vents contraires, ce travail puissant continue,
Tu peux en écrire une strophe. Ne cesse jamais de rêver, parce que dans son rêve, l’homme est libre
Ne t’abandonne pas à la pire des fautes, le silence.
La plupart des hommes vivent dans le silence. 
Échappe-toi ! Apprécie la beauté des choses simples. 
Tu peux écrire des poèmes sur des choses simples
Mais on ne peut voguer contre soi-même.
Cela fait de la vie un enfer.
Aime la peur qui te fait aller de l’avant.
Vis intensément, sans médiocrité.
N’oublie pas que tu es le futur et aborde cette tâche avec fierté, sans crainte,
Apprends de ceux qui peuvent t’instruire.
Ne laisse pas la vie s’écouler sans vivre cela."

 

Copyright : Dr Jean Pierre Laroche / 2025