Que dire, qu’écrire ?

Que dire, qu’écrire ?

Signé : Professeur Michel Dauzat, Médecin Vasculaire, Nîmes

“Ecrire c'est une respiration !” Julien Greene

“Ecrire, c’est une façon de parler sans être interrompu.” Jules Renard

"La démocratie, ce n'est pas la loi de la majorité, mais la protection de la minorité." Albert Camus

Que dire, aujourd’hui, qui n’ait été dit cent fois, mille fois, cent mille fois ?

Qu’écrire qui n’ait déjà été cent fois, mille fois, cent mille fois répercuté, sous mille formes, sur les « réseaux sociaux » ?

A quoi bon tenter de faire entendre une voix de plus dans la cacophonie ambiante ?

A quoi bon, quand chacun n’entend que ce qu’il veut entendre, ne comprend que ce qu’il veut comprendre, ne fait que ce qui lui plait ? Quand, au-delà même de ces réseaux sociaux, les algorithmes règnent sur la diffusion de l’information comme de la publicité pour ne servir à chacun que les plats qu’il aime, les idées qui sont déjà les siennes, les faits qui le renforcent dans des opinions déjà arrêtées…

Que dire, qu’écrire pour franchir les fossés ainsi creusés ?

Nous vivons le temps de tous les extrémismes, donc de l’intolérance absolue.

Aucun domaine, aucune activité, n’échappe à ce sous-produit de l’ultra-individualisme. Des exemples ?

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  • L’image du sport, qui devrait être une activité de plaisir permettant de rester en bonne santé, est dominée par l’extrême : des compétitions d’un tel niveau qu’on ne peut prétendre y parvenir sans dopage (écoutons les médecins du sport !), des activités toujours plus risquées aux effets biomécaniques et physiologiques délétères (le bon vieux marathon, que les sportifs sérieux ne courraient qu’une à deux fois dans l’année pour préserver leur avenir, paraît aujourd’hui bien ridicule face aux ultra-trails dans une perpétuelle surenchère). Tout ceci ne serait pas si grave si, au-delà de la santé de ceux qui pratiquent ces activités déraisonnables, cela ne détournait l’attention du public – et les financements – du véritable sport-santé, moins sensationnel, certes, mais agréable, ludique, sain, et convivial.

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  • L’alimentation et la nutrition, lorsque nous sommes assaillis de recommandations plus péremptoires les unes que les autres, avec, pour ceux, de plus en plus nombreux, qui luttent contre le surpoids, des régimes saugrenus sous-tendus par des idées aussi simplistes que dépourvues de fondement scientifique, mais faisant appel, toujours, à la « pensée magique ». Supprimer ceci, ne manger que cela, et, surtout, s’en remettre aux gourous dont les recettes font principalement maigrir le portefeuille du client. Alors qu’il a été amplement démontré que le contrôle du poids repose sur une alimentation raisonnable, équilibrée, diversifiée, associée à une activité physique régulière (et non extrême), les publicités et messages qui circulent sur les réseaux ne connaissent ni la nuance ni la raison… La question brûlante de la consommation de viande animale ne peut, bien sûr, être éludée, mais ne faudrait-il pas, pour parvenir à la réduire, informer et éduquer patiemment la population plutôt que de recourir à des actions violentes ?

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  • La religion, bien sûr, et il en est ainsi depuis qu’existent les sociétés humaines : toujours utilisée par les souverains ou gouvernements pour étendre et assurer leur domination, la religion, paradoxalement, sépare et divise. Paradoxalement car la tolérance devrait être la règle commune essentielle des religions monothéistes puisque toutes révèrent le même Dieu. Les différences de rites méritent-elles de tels affrontements ?

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  • Et la politique ? Les crises comme celle que nous vivons ont pour effet de faire se dresser les uns contre les autres. En temps de guerre, la désignation d’un ennemi commun assure généralement (au moins pour un temps) la cohésion sociale. Face aux problèmes économiques, la lutte des classes prend le dessus, et les plus pauvres se heurtent au pouvoir de l’argent. En temps de pandémie, l’ennemi commun est l’agent pathogène : aujourd’hui, le virus… et, pourtant, la division règne : des hommes et femmes politiques exploitent la situation pour tenter de rameuter leur base, des « grandes gueules » s’emparent des moyens de communication pour (re)venir sur le devant de la scène, des complotistes invétérés parasitent l’information, et la population a bien du mal à voir clair.

Le pouvoir, le mensonge, et l’argent, sont les acteurs de ce psychodrame.
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Ceux qui, de par leur statut et leur mandat, exercent le pouvoir, sont bombardés de messages contradictoires et doivent faire preuve d’une grande sagacité pour se faire une opinion quant à la meilleure conduite à tenir. Les vrais scientifiques ont pour première qualité l’humilité et pour premier principe le doute. Les « savants » auto-proclamés ne connaissent ni l’une ni l’autre, et savent par contre faire entendre leur voix, et la faire relayer par une population impressionnée par les affirmations ex-cathedra et les pseudo-raisonnements, surtout si cela alimente les ressentiments et les rancunes. Certains de ces personnages hauts en couleurs et forts en gueule sont sans doute de bonne foi, aveuglés par l’incandescence de leur ego. D’autres sont des imbéciles (comme le disait Brassens, "pour reconnaître que l’on n’est pas intelligent, il faudrait l’être". On en trouve de nombreux exemples (par exemple outre-Atlantique, pour ne froisser personne dans l’hexagone). D’autres enfin sont de fieffés menteurs, et ceux-là ont souvent pour motivation le pouvoir ou l’argent (qui confère un pouvoir).

Comment, dans un tel contexte, lutter efficacement contre un virus sans états d’âme ? Certes, chacun a le droit d’avoir ses propres convictions, scientifiquement étayées ou non, éprouvées ou spéculatives, conventionnelles ou originales, mais tous doivent comprendre et admettre que la réponse doit être collective, cohérente, et consentie :
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  • Cohérente et pragmatique car l’analyse minutieuse et complète d’une situation complexe et mouvante doit déboucher sur des conclusions pratiques simples et réalistes. Si l’analyse doit être très fine et nuancée, les recommandations doivent être claires et universelles. Par exemple, imposer le port du masque en tous lieux rassemblant plusieurs personnes est simple et clair (en Asie, il est de pratique courante depuis fort longtemps, et ne pose guère de problème, malgré le climat et même pour les enfants). Inversement, imaginer que le « grand public » puisse suivre les recommandations d’usage des masques telles qu’appliquées dans un service spécialisé dans les maladies infectieuses est illusoire et contre-productif.
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  • Consentie car le sérieux de la mise en œuvre d’une telle mesure repose sur l’adhésion de chacun à un objectif prioritaire : freiner la propagation de la maladie pour protéger les plus faibles. Les individualistes forcenés qui hurlent à l’atteinte aux libertés feignent de ne pas comprendre qu’il ne s’agit pas de les contraindre à se protéger eux-mêmes, mais de protéger les autres. Libre à eux de s’exposer à la maladie s’ils ne viennent pas ensuite surcharger un système de santé déjà fort éprouvé, et s’ils ne contaminent personne. Ce qu’ils réclament est la liberté de contaminer !
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  • Collective car l’efficacité repose sur la généralisation de la mesure. Ceci a été largement démontré lors de la « première vague » et tous devraient avoir compris qu’une stratégie de lutte contre la maladie ne peut porter ses fruits que si elle est suivie par tous. Que certains réfléchissent, posent des questions, débattent, commentent, est acceptable et même nécessaire, mais ils doivent ensuite, « démocratiquement », accepter la règle commune.

Les enjeux de cette lutte sont, bien sûr, la santé des citoyens, mais aussi celle de la démocratie !

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