Thrombose  et espace !

Thrombose et espace !

"L’homme a toujours eu besoin de se confronter à des choses qui le dépassent. C’est en sortant de sa zone de confort qu’on apprend. "Thomas Pesquet

Vaisseaux , THROMBOSE et espaces en 5 articles

1. Surveillance for jugular venous thrombosis in astronauts,
Pavela J et Coll,  Vasc Mev .3 mai 2022, https://journals.sagepub.com/doi/10.1177/1358863X221086619?url_ver=Z39.88-2003&rfr_id=ori:rid:crossref.org&rfr_dat=cr_pub%20%200pubmed

 
Contexte : Une thrombose de la veine jugulaire interne gauche chez un astronaute à bord de la Station spatiale internationale a été récemment décrite, découverte par hasard lors d'une étude de recherche sur le flux sanguin dans les veines du cou en microgravité. Compte tenu de cet événement et de la forte incidence d'anomalies de flux, la National Aeronautics and Space Administration (NASA) a institué un programme de surveillance professionnelle pour évaluer les astronautes pour la thrombose veineuse.

Méthodes : Une échographie duplex des veines jugulaires internes bilatérales a été réalisée sur tous les astronautes de la NASA au sol et en trois points pendant les vols spatiaux. Des manœuvres respiratoires ont été réalisées. Les images ont été analysées pour la thrombose et certaines caractéristiques hémodynamiques, y compris la vitesse maximale et le degré d'échogénicité.

Résultats : Onze astronautes ont été évalués avec des ultrasons terrestres et en vol correspondants. Aucune thrombose n'a été détectée. Par rapport aux mesures ultrasonores terrestres, la vitesse maximale en vol était réduite et la plus faible à gauche. Six des 11 astronautes avaient une échogénicité légère à modérée dans la veine jugulaire interne gauche pendant le vol spatial, mais aucun n'avait plus qu'une échogénicité légère dans la veine jugulaire interne droite. Deux astronautes ont développé un flux sanguin rétrograde dans la veine jugulaire interne gauche.

Conclusions : des caractéristiques de flux anormales en microgravité, plus importantes dans la veine jugulaire interne gauche, peuvent signaler un risque accru de formation de thrombus chez certains individus.

Ces flux correspondent à une hyper échogénicité spontanée du sans veineux circulant  qui n'est pas un facteur de pré thrombose veineuse,  developpement dans la suite

2. Rappel : en 2020 a été publié un article dans le New England Journal of Medicine : Venous Thrombosis during Spaceflight par James M. Pattarini, M.D., M.P.H., National Aeronautics and Space Administration Johnson Space Center, Houston, TX, Stephan Moll, M.D. University of North Carolina School of Medicine, Chapel Hill, NC, Ashot Sargsyan, M.D.
KBR, Houston, TX N Engl J Med 2020; 382: 89-90

Environ 2 mois après le début d'une mission de la Station spatiale internationale, une thrombose veineuse jugulaire interne gauche obstructive a été suspectée chez un astronaute lors d'un examen échographique effectué dans le cadre d'une étude de recherche vasculaire. L'astronaute n'a signalé aucun mal de tête ou aggravation de la pléthore faciale qui est courante dans des conditions d'apesanteur. L'astronaute n'avait aucun antécédent personnel ou familial de thromboembolie veineuse. L'examen physique a révélé une veine jugulaire externe ipsilatérale dilatée. Un examen échographique de suivi réalisé par l'astronaute, guidé en temps réel et interprété par deux radiologues sur Terre, a confirmé la présence d'une thrombose veineuse aux caractéristiques subaiguës ; la veine jugulaire interne controlatérale et les veines bilatérales sous-clavière, axillaire, poplitée et fémorale étaient libres.

 
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Des discussions multi-spécialités s'ensuivirent, évaluant les risques inconnus d'embolie par thrombus et d'extension rétrograde dans les sinus et les veines cérébrales par rapport à ceux de l'anticoagulation. Vingt flacons contenant 300 mg d'énoxaparine chacun étaient disponibles dans la pharmacie de la station spatiale, mais aucun agent d'inversion de l'anticoagulation n'était disponible. Un traitement par énoxaparine à une dose de 1,5 mg par kilogramme de poids corporel une fois par jour a été instauré, la dose a été réduite à 1 mg par kilogramme une fois par jour après 33 jours pour prolonger le traitement jusqu'à ce que l'apixaban oral puisse être administré à la station spatiale avec un vaisseau spatial de ravitaillement. Des concentrés de protamine et de complexe prothrombique ont également été envoyés à la station spatiale. Le passage à l'apixaban à une dose de 5 mg deux fois par jour a eu lieu 42 jours après le diagnostic de thrombose veineuse et la dose a été réduite à 2.5 mg X 2.

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La surveillance échographique à des intervalles de 7 à 21 jours a montré une organisation progressive et une réduction du volume du thrombus .

Le traitement par Apixaban a été arrêté 4 jours avant le retour sur Terre. À l'atterrissage, un examen échographique au point de service a révélé un flux spontané en position couchée avec un thrombus résiduel aplati aux parois du vaisseau ,une constatation cohérente avec les images prises sur la station spatiale pendant la manœuvre de Müller. Une anticoagulation supplémentaire a été jugée inutile. Les examens de suivi ont révélé un petit volume de thrombus résiduel 24 heures après l'atterrissage et aucun thrombus 10 jours après l'atterrissage. Un bilan de thrombophilie ultérieur était normal. Lors du suivi 6 mois après le retour sur Terre, l'astronaute a continué à être asymptomatique. Rappelons tout de même qu'une thrombose spontanée d'une veine jugulaire même asymptomatque a le plus souvent une étiologie : cancer ou thrombophilie. Ce n'est pas le cas ici.C'est pour cela que l'on doit envisager une autre hypothèse.

« L’apesanteur est associée à une stagnation de la circulation sanguine dans la veine jugulaire interne, qui peut à son tour entraîner une thrombose chez des astronautes qui sont par ailleurs en bonne santé » De plus L'absence de gravité produit une série de changements physiologiques, dont une modification du débit veineux. Des chercheurs ont ainsi observé une quasi-stagnation de la circulation chez un astronaute sur deux lors de leur séjour dans la Station spatiale internationale (ISS) et même l'inversion du débit chez certains d'entre eux,

Rappel : l'hyperéchogénécité veineuse détectée en échographie est une anomalie physiologique qui est la conséquence de la stase veineuse.
 L'hyperéchogénicité veineuse est mobile, elle est à mettre en relation avec des agrégats érythrocytaires. La veine dans ce contexte est compressible. Il ne s'agit en aucun cas d'un stade que l'on pourrait appeler « préthrombotique ». Cette stase est le plus souvent induite par l'immobilisation, l'insuffisance cardiaque et/ou respiratoire, un état infectieux ou inflammatoire, la grossesse avec une majoration de l'hyperéchogénicité à partir des 2e et 3e trimestres, qui disparaît progressivement dans le post-partum. L'augmentation du calibre veineux lors de la manoeuvre de Valsalva ou dans le cas de varices, en aval d'un thrombus ou en aval d'une compression veineuse, est aussi à l'origine de cette hyperéchogénicité spontanée du sang veineux

hyperhyperin : La maladie thrombo-embolique veineuse, Ed Esevier Masson, 2015

Si j'ai repris cet article c'est parce que cette thrombose reste douteuse pour la raison suivante . Les images échographiques peuvent évoquer une thrombose, oui, mais aussi un phénomène de stase, qui correspond à une hyperéchogénicité du sang veineux circulant. Ce phénomène bien connu correspond à des agrégats érythrocytaires et plaquettaires.On le retrouve en cas de stase. Dans le cas qui nous intéresse il s'agissait d'un phénomène uniltatéral, asymptomatique sur le plan clinique et sur un sujet sain. L'apesanteur peur expliquer l'hyperéchogénicié du sang veineux. Une anticoagulatioon a été décidée ce qui dans le contexte était une évidence. Mais en y réfléchissant, l'hypothèse de l'hypéréchognécité est à discuter. Attention ce n'est
jamais un état pré thrombotique. Enfin au retour à terre une batterie d'examens ont été réalisé chez cet astronaute , bilan totalement négatif.

Nous avions avec Michel Dauzat décrit cette hyperéchogéncité en 1984,

3. Un article récent "made in USA" va beaucoup plus loin en attribuant une caractère pré thrombotique à ce phénomène chez les patients Covid-19 ."Presence of Spontaneous Echo Contrast on Point-of-Care Vascular Ultrasound and the Development of Major Clotting Events in Coronavirus Disease 2019 Patients" Crit Care Explor . 2021 Jan 8;3(1) https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/33458687/

La conclusion de cette étude : l' échographie veineues est facilement réalisée et interprétée de manière fiable pour la visualisation du contraste d'écho spontané. La présence d'un contraste d'écho spontané chez les patients atteints de maladie à coronavirus 2019 est associée à une hyperviscosité et à une augmentation des taux d'événements thrombotiques et de complications....chez 39 patients en réanimation. C'est à mon sens faux. L'hyperéchogénicité veineuse spontanée est retrouvée chez les patients alités, en réanimation et fébrile. L'augmentation de la température du corps de 1 degré , augmentent  ce phénomène notamment. Le raccourci hyperéchogénicité et risque thrombotique veineux au décours de la Covid-19 n'est pas à retenir. De plus la quantification de ce phénomène est très subjective, fréquence de sonde et machine dépendantes.

Il serait intéressant que dans une prochaine mission spatiale une étude échographique des axes veineux sur plusieurs sites soit réalisée :  veines jugulaires, veine cave inférieure , veines fémorales et veines grandes saphènes, veines jumelles. De plus existe-t-il une activation des facteurs de la thrombose dans l'espace

Thomas Pesquet EVA training pillars
https://www.esa.int/Space_in_Member_States/France/Exercice_en_plongee , entrainement en plongée, Thomas Pesquet

4. How spaceflight challenges human cardiovascular health, Comment les vols spatiaux défient la santé cardiovasculaire humaine, Peter Jirak, MD, PhD, Moritz Mirna, MD, PhD, Richard Rezar, MD, Lukas J Motloch, MD, PhD, Michael Lichtenauer, MD, PhD, Jens Jordan, MD, Stephan Binneboessel, MD, Jens Tank, MD, Ulrich Limper, MD, Christian Jung, MD, PhD, How spaceflight challenges human cardiovascular health, European Journal of Preventive Cardiology, 2022;, zwac029, https://doi.org/10.1093/eurjpc/zwac029


Les conditions environnementales difficiles dans l'espace, en particulier l'apesanteur et l'exposition aux radiations, peuvent affecter négativement la fonction et la structure cardiovasculaires.

À l'avenir, la cardiologie préventive sera cruciale pour permettre des voyages spatiaux en toute sécurité. En effet, les futures missions spatiales à destination de la Lune et de là vers Mars créeront de nouveaux défis pour la santé cardiovasculaire tout en limitant la prise en charge médicale.

De plus, les vols spatiaux commerciaux évoluent rapidement de sorte que les personnes âgées présentant des facteurs de risque cardiovasculaire seront exposées aux conditions spatiales.

Cette revue donne un aperçu des études menées dans l'espace et dans des modèles terrestres, en particulier les études d'alitement tête en bas.

Ces études ont montré que l'apesanteur provoque un déplacement de liquide vers la tête, ce qui prédispose probablement au syndrome neuro-oculaire associé aux vols spatiaux, à la thrombose veineuse du cou, et intolérance orthostatique après le retour sur Terre.

De plus, la décharge cardiovasculaire produit un déconditionnement cardiopulmonaire qui peut être associé à une atrophie cardiaque. En plus de limiter les performances physiques, le mécanisme aggrave encore la tolérance orthostatique après le retour sur Terre.

Enfin, les conditions d'espace peuvent affecter directement la santé vasculaire, cependant, la pertinence clinique de ces résultats en termes de morbidité et de mortalité est inconnue.

Des mesures préventives ciblées, appelées contre-mesures en médecine aérospatiale, et des technologies permettant d'identifier rapidement les risques vasculaires seront nécessaires pour maintenir les performances et la santé cardiovasculaires lors des futures missions spatiales.

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Les cardiologues et les médecins vasculaire apportent leur expertise sur la médecine spatiale. Le prochain congrès de la Socité Française de Médecine Vasculaire aura lieu à Toulouse du 28 Septembre au 1 Octobre 2022. 
 


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Le fond de l'affiche est une invitation galactique, la thématique médecine vasculaire innovante aussi. Il ne faut donc pas rater l'occasion, ou tout au moins essayer de ne pas la rater. Merci aux orgnaisateurs et au comité scientifique d'oeuvrer dans ce sens. C'est une occasion inespérée.

La médecine spatiale est une branche de la médecine concernée par la santé de l'homme dans l'espace. Les spécialistes de la médecine spatiale s'intéressent aux effets d'un vol sur le corps humain, au même titre que les spécialistes de la médecine aéronautique, mais hors de l’atmosphère deux problèmes supplémentaires se posent : l'apesanteur et le niveau élevé des radiations cosmiques auxquels sont soumis les astronautes.(https://fr.wikipedia.org/wiki/M%C3%A9decine_spatiale)

5.The thrombotic risk of spaceflight: has a serious problem been overlooked for more than half of a century?  Le risque thrombotique des vols spatiaux : un problème grave passé sous silence depuis plus d'un demi-siècle, Ulrich Limper, Jens Tank, Tobias Ahnert, Marc Maegele, Oliver Grottke, Marc Hein, Jens Jordan, Le risque thrombotique des vols spatiaux : un problème grave a-t-il été négligé pendant plus d'un demi-siècle ?, European Heart Journal , Volume 42, Numéro 1, 1er janvier 2021, pages 97 à 100, .https://doi.org/10.1093/eurheartj/ehaa359

ehaa359f1La toute première thrombose veineuse associée aux vols spatiaux, un thrombus de la veine jugulaire interne nécessitant une anticoagulation, a récemment été rapportée. Aucune enquête systématique sur le risque thrombotique associé aux voyages dans l'espace n'a été menée. Des études cellulaires, animales et humaines réalisées dans des modèles au sol et en apesanteur réelle ont révélé des influences de l'apesanteur et de la gravité sur le système de coagulation sanguine. Cependant, les populations humaines étudiées étaient petites et limitées à des participants hautement sélectionnés. Les preuves chez les personnes ayant des problèmes de santé et les personnes âgées font défaut. Les preuves du risque thrombotique dans les vols spatiaux ne sont pas satisfaisantes. Cette question mérite une étude plus approfondie dans des populations hétérogènes à haut risque afin de trouver des stratégies de prévention et de permettre des vols spatiaux habités gouvernementaux et touristiques en toute sécurité.
 
En fin de compte dans l'espace : THROMBOSE ou hyperéchogénécité du sang veineux
circulant ? Je pencherai pour la deuxième hypothèse. Faux problème ou vrai problème ?