AOD et chirurgie en urgence

AOD et chirurgie en urgence

“La tradition n’est pas une vieille habitude ; elle rassure.” Edward Norton

" L'anticoagulant idéal et son antidote idéale, n'existent pas encore mais on s'en rapproche"

Management of urgent invasive procedures in patients treated with direct oral anticoagulants: An observational registry analysis,
Prise en charge des procédures invasives urgentes chez les patients traités par anticoagulants oraux directs : une analyse observationnelle du registre

Alexandre Godon et Coll, Thrombosis Research 216 (2022) 106–112
https://www.sciencedirect.com/science/article/abs/pii/S0049384822002985

Contexte 

Les patients traités avec des anticoagulants oraux directs (AOD) peuvent nécessiter des procédures urgentes. La prise en charge de ces patients est difficile en raison des différents risques de saignement et peut inclure des tests de laboratoire, des retards de procédure ou l'administration d'agents hémostatiques/d'inversion.
 
Objectif

Nous avons évalué les stratégies de prise en charge et les résultats des procédures invasives non hémostatiques urgentes chez les patients traités par AOD.
 
 
Méthodes et résultats

Dans une étude de cohorte descriptive , nous avons évalué prospectivement 478 patients du registre GIHP-NACO, de juin 2013 à novembre 2015.

Patients hospitalisés recevant du dabigatran ( n = 160), du rivaroxaban ( n = 274) ou de l'apixaban ( n = 44) nécessitant les interventions procédurales urgentes ont été évaluées, dont 384/478 (80 %) étaient des interventions chirurgicales.

La chirurgie orthopédique concernait 216/384 patients (56 %), tandis que la chirurgie gastro-intestinale concernait 75/384 (20 %) patients.

À l'admission, l'âge médian était de 79 ans (70–85) et la clairance de la créatinine était < 60 mL·min −1chez 316/478 (66 %) patients.

La concentration en AOD a été déterminée chez 277 (58 %) patients et était de 85 ng·mL −1 (médiane ; intervalle 0–764), 61 ng·mL −1 (3–541) et 81 ng·mL −1 (26– 354) pour le dabigatran, le rivaroxaban et l'apixaban, respectivement.

Les procédures ont été retardées dans 194/455 (43 %) des cas. Des saignements excessifs ont été observés dans 62/478 (13 %) procédures, et des agents hémostatiques ont été administrés dans 76/478 (16 %) procédures. Au jour 30, des événements cérébraux et cardiovasculaires majeurs ont été observés chez 38/478 (7,9 %) patients, et la mortalité était de 28/478 (5,9 %).
 
Conclusion

Dans le registre GIHP-NACO, avant que des antidotes spécifiques ne soient disponibles, les patients traités par DOAC subissant des procédures invasives urgentes ont été retardés dans près de la moitié des cas et ont montré un faible taux de saignement excessif, ce qui suggère que les procédures les plus urgentes peuvent être effectuées en toute sécurité sans inversion de DOAC .

Illustrations

GFH1
 
Impact de l'utilisation des AOD et de la concentration dea AOD sur le délai de procédure. (A) Proportion de procédures retardées en raison de l'utilisation des AOD. (B) Répartition des retards selon la mesure de la concentration des AOD * : valeur p <0,05.

GFH2

Utilisation de concentrés de complexe prothrombique ou de FVII recombinant activé et mortalité associée.
GFH3
Résultat à trente jours.

Points essentiels de cette étude

La prise en charge des anticoagulants oraux directs est délicate en cas de geste invasif urgent.

Cette étude a inclus 478 patients sous AOD nécessitant une intervention urgente, lorsque des antidotes spécifiques n'étaient pas disponibles.

Les procédures ont été retardées dans 42 % des cas et des saignements excessifs ont été observés dans 13 % des cas.

Les concentrations plasmatiques d'AOD étaient généralement faibles et n'étaient pas associées à des saignements excessifs.


Commentaire

Le relais des AOD en cas de chirurgie " à froid" vient de faire l'objet de recommandations
https://medvasc.info/1746-perioperative-management-of-antithrombotic-therapy,-chest-2022

CHEST1B
Ce relais "à froid" à priori relativement aisé à suivre pose déjà des problèmes d'interprétation avec un "relais/cuisine", cad chacune et chacun l'interpréte à sa manière mais le plus souvent ça se passe assez  bien .

L'urgence c'est une autre affaire car il faut décider très rapidement. Les fameux antidotes qui ont été au début de l'utilisation des AOD à l'origine de multiples débats seraient tinutiles actuellement comme le montre cette étude du GIHP.

Depuis 2016, il existe un premier antidote pour traiter les accidents hémorragiques pouvant survenir sous PRADAXA® : Il s'agit de l'idarucizumab (nom commercial : PRAXBIND®), fragment d'anticorps monoclonal qui se fixe sur le médicament en inhibant puissamment son activité anticoagulante. Est il utilisé largement en 2022 ? Peu à priori. L'antidote des anti Xa (apixaban et rivaroxaban) existe , il s'agit de l'Anexanet Alfa commercialisé sous le nom d' 
Ondexxya. Enfin Le ciraparantag ( aripazine ) est un médicament à l'étude comme antidote pour un certain nombre de médicaments anticoagulants ( anticoagulants ), y compris les inhibiteurs du facteur Xa ( rivaroxaban , apixaban et edoxaban ), le dabigatran et les héparines ( y compris le fondaparinux , les héparines de bas poids moléculaire ( HBPM) et héparine non fractionnée ). Au total cette molécule est un antidote universel pour les anticoagulants. 

Le problème de l'antidote a suscité de nombreuses réactions dès les premières utilisations des AOD. Il faut savoir cependant que la plus part des médicaments n'ont pas d'antidote. Rappelons ques les AVK ont un antidote mais vous connaissez la suite : multiples événements hémorragiques et décès. L'antidote idéal doit âtre efficace rapidement et surtout ne pas entraîner un risque thrombotique à l'issue de la réversion. Enfin le coût de ces antidotes posent problème surtout s'ils sont utilisés de manière injustifée

Un article récent de BLOOD "Ciraparantag : le prochain "airbag anticoagulant " résume toutes les possibilités du ciraparantag.(https://ashpublications.org/blood/article/137/1/10/474797/Ciraparantag-the-next-anticoagulant-airbag) (Libre d'accès)

Enfin un  autre article très récent publié dans fait le point sur le Ciraparantag , Drug Discov Today  2022 Aug 3;S1359-6446(22)00302-6. doi: 10.1016/j.drudis.2022.07.017
A short review of ciraparantag in perspective of the currently available anticoagulant reversal agents J.Leentjens S.Middeldor C.Jung
.https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S1359644622003026?via%3Dihub 
Article libre d'accès

CIA1CIRA2
Ciraparantag est un nouvel agent d'inversion anticoagulant universel prometteur actuellement à l'étude dans un essai de phase 3.

Les essais de phases 1 et 2 montrent que le ciraparantag est un antidote des héparines et des AOD avec un délai d'action très rapide, sans clairance rénale et sans interaction médicamenteuse connue.

Aucun des antidotes anticoagulants actuellement disponibles ne remplit les critères d'un antidote idéal.

Wait and see, as usual.....on attend avec impatience la fin des études en cours,notamment celles de phase 3 et aussi lecoût du ciraparantag par rapport à l'idarucizumab et à l'andexanet alfa +++, car ces deux derniers ont un prix élévé. En attendant le protocole que l'on utilise dans les hémorragies post AVK en cas d'accidents hémorragiques sous AOD, donne toute satisfaction.......comme l' amontré largement le GIHP. 

La question est simple : est ce vraiement utile de disposer d'un antidote AOD ? Peux - t - on s'en passer ? A priori oui, mais l'histoire n'est pas terminée.

Reprenons pour conclure la conclusion de l'article du GIHP : 
"Dans le registre GIHP-NACO("AOD") , avant que des antidotes spécifiques ne soient disponibles, les patients traités par AOD subissant des procédures invasives urgentes ont été retardés dans près de la moitié des cas et ont montré un faible taux de saignement excessif, ce qui suggère que les procédures les plus urgentes peuvent être effectuées en toute sécurité sans inversion de AOD ."

Cet article est rassurant +++

Ajoutons enfin qu'à froid le NO BRIDGING des AOD semble se généraliser et simplifie bien les choses. Attention au relais HBPM/AOD dans ce contexte, à sur risque hémorragique et thrombotique surtout lorsqu'il est non justifié.

Rappel 2020

Management of oral anticoagulants prior to emergency surgery or with major bleeding: A survey of perioperative practices in North America: Communication from the Scientific and Standardization Committees on Perioperative and Critical Care Haemostasis and Thrombosis of the International Society on Thrombosis and Haemostasis,
Gestion des anticoagulants oraux avant une chirurgie d'urgence ou en cas d'hémorragie majeure : enquête sur les pratiques périopératoires en Amérique du Nord : communication des comités scientifiques et de normalisation sur l'hémostase et la thrombose en soins intensifs et périopératoires de l'International Society on Thrombosis and Haemostasis

JH Levy et Coll, Res Pract Thromb Haemost. 2020;4:562–568
https://onlinelibrary.wiley.com/doi/epdf/10.1002/rth2.12320
Article libre d'accès

rth212320 fig 0003 mRappel 2022 

Emergency Cardiac Surgery in Patients on Direct Oral Anticoagulants
Chirurgie cardiaque d'urgence chez les patients sous anticoagulants oraux directs

De Paulis S, Bruno P, Massetti M. Emergency Cardiac Surgery in Patients on Direct Oral Anticoagulants. Front Cardiovasc Med. 2022 Apr 13;9:884076. doi: 10.3389/fcvm.2022.884076. PMID: 35497997; PMCID: PMC9043443
https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC9043443/
Article libre d'accés

ItalAODDes recommandations ont été établies pour les patients sous AOD subissant une chirurgie non cardiaque d'urgence qui recommandent la correction du déséquilibre hémostatique avant l'incision cutanée (Tomaselli G, Mahaffey K, Cuker A, Dobesh P, Doherty J, Eikelboom J, et al. 2020 ACC expert consensus decision path on management of saignement in patients on oral anticoagulants: a report of the american college of cardiology solution set comité de surveillance . J Am Coll Cardiol . (2020) 76 :594–622. 10.1016/j.jacc.2020.04.053) . La chirurgie cardiaque a le défi unique de la circulation extracorporelle qui nécessite une anticoagulation complète et en même temps aggrave le profil hémostatique via l'activation de la coagulation et de la cascade inflammatoire. Les données sur l'innocuité et l'efficacité des antidotes des AOD administrés avant la circulation extracorporelle sont rares et une résistance à l'héparine a été signalée avec l'utilisation d'andexanet alfa . Leur utilisation peut être repoussée à la fin de l'intervention en cas d'hémorragie persistante réfractaire aux mesures conventionnelles d'aide à la coagulation. Les rapports de la littérature sur la chirurgie cardiaque indiquent que la correction préopératoire du déséquilibre hémostatique avec 4F-PCC semble une approche initiale raisonnable qui combine efficacité et sécurité et n'interfère pas avec l'anticoagulation de l'héparine pendant le pontage . Avec le début de la circulation extracorporelle, des techniques de purification du sang peuvent être instituées pour améliorer l'élimination des médicaments. L'hémofiltration peut atteindre une clairance significative pour le dabigatran uniquement, tandis que l'hémoadsorption avec Cytosorb ® peut être efficace pour l'élimination des AOD et des agents antiplaquettaires.

 AOD et chirurgie en urgence ça se maîtrise de mieux en mieux. Les équipes d'anésthésie réanimation ont leur protocole, le GIHP  est très actif dans ce domaine et doit être remercié, le GIHP dicte le "la" et c'est très bien ainsi.