Sténose carotide

“L’expérience ne se trompe jamais, ce sont nos jugements qui se trompent.”
Léonard de Vinci

Prevalence of asymptomatic carotid artery stenosis in the general population. An individual
participant data meta-analysis.
Weerd M., Greving JP., Hedblad B. et al. Stroke. 2010 Jun;
41(6): 1294-1297. Research letter. Article libre d'accés
https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC4254855/

Global and regional prevalence, burden, and risk factors for carotid atherosclerosis: a
systematic review, meta-analysis, and modelling study.
Song P., Fang Z., Wang H. et al.
Lancet Glob Health 2020 May; Vol 8 (5): e721–29. Article libre d'accés
https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/32353319/
 
J'ai demandé à François Becker d'analyser ces deux articles , François le spécialiste de la sténose carotidienne

Francois Becker
François Becker , Chamonix
MD, PhD, HDR, PU Médecine Vasculaire

 
 
Ces deux articles traitent de la prévalence des lésions et des sténoses carotides avec l’intérêt de leur dépistage en toile-de-fond.
 
Avant d’aller plus loin, il n’est peut-être pas inutile de rappeler que sous l’étiquette sténose carotide (SC) on parle des sténoses athéroscléreuses de la bifurcation carotide et de l’origine de la carotide interne cervicales (ACI) à l’exclusion des sténoses de l’artère carotide commune, de l’ACI cervicale haute, de l’ACI intra-crânienne et de la division carotide. Sont exclues les sténoses par dissection, vascularite ou dysplasie fibro-musculaire. Par ailleurs,il ne faut pas oublier que la relation SC-AVC est complexe, la SC est un marqueur de risque cardio vasculaire, un marqueur de risque d’AVC toute cause, un marqueur de risque d’AVC ischémique homo- ou bilatéral et un facteur d’AVC ischémique homolatéral. Le mélange des genres explique en partie pourquoi la responsabilité des SC > 50% et occlusions carotides dans les AVC ischémiques varie du simple au double (voire au triple) dans les articles… Les sténoses >. 50% et oblitérations de la bifurcation carotide et de l’origine de l’ACI sont jugées responsables de 8 à 10% des AVC ischémiques.

L’article de de Weerd et al est une méta-analyse de 4 études réalisées en population générale
totalisant 23.706 participants asymptomatiques ayant eu un examen ultrasonique cervical

[Tromsø study (Norvège), Malmö Diet and Cancer Study (Suède), Carotid Atherosclerosis
Progression Study (Allemagne), Cardiovascular Health Study (USA)]. Il s’agit d’un article de
référence bien qu’il date un peu, les études sur lesquelles il repose ont été réalisées dans les
années 1990 et les méthodologies d’examen ultrasonique seraient aujourd’hui discutables
(seule l’étude de Tromso est basée sur un écho-doppler en mode NASCET, CHS est en mode ED mais avec réduction de calibre in situ, Malmö et CHS sont en mode B et réduction de calibre in situ). D’après les auteurs, cette hétérogénéité n’affecte pas la conclusion.

Il en ressort que, en population générale, la prévalence des sténoses carotides modérée (50- 69%) et sévère (≥70%) croît clairement avec l’âge et est plus élevée chez l’homme (0.1 à 3.1%) que chez la femme (0 à 1%). La prévalence augmente aussi avec les facteurs de risque cardio-vasculaire (particulièrement le tabagisme, l’HTA et le diabète).
 
 
 
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A: Sténoses 50-69% B : Sténoses ≥ 70%

Le seuil de prévalence pour que le dépistage des sténoses carotides asymptomatiques soit rentable a été estimé à 20% (1), on en est loin dans ces études en population générale !

Le second article, Song P. et al, évalue également la prévalence des lésions d’athérosclérose
carotide via une méta-analyse ,mais réalisée à partir d’une large revue systématique de la
littérature jusqu’en mai 2019 (sans restriction de pays, de continent ni de langage) et en
ajoutant aux sténoses carotides l’augmentation de l’épaisseur intima-média (IMT) et les
plaques non-sténosantes. Les données ont été étendues à la population mondiale en 2000,
2015 et 2020. Pour être éligibles, les études devaient avoir été réalisées en population générale sur des sujets asymptomatiques (30-79 ans) et l’examen ultrasonique devait avoir comportél’examen des deux axes carotidiens et avoir été conforme aux consensus 2016. Une
augmentation de l’IMT était définie par une IMT ≥ 1 mm, une plaque comme une augmentation focale de l’IMT > 1.5 mm ou d’au moins 50% par rapport à l’IMT alentour, une sténose commune lésion focale réduisant le calibre in situ d’au moins 50%.

8632 articles ont été identifiés, 515 étaient éligibles, 59 articles couvrant 21 pays ont été inclus (25 traitant de l’IMT, 34 des plaques carotides, 16 des sténoses carotides).
Les résultats sont similaires à ceux de l’étude de de Weerd : en population générale, la
prévalence d’une IMT carotide ≥ 1 mm, de plaques carotides et de sténoses carotides
augmente clairement (de façon exponentielle) avec l’âge dans les deux sexes ; cette prévalence est plus élevée chez l’homme que chez la femme, elle augmente également avec les facteurs de risque CV (particulièrement tabagisme, HTA et diabète).
 
 
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On voit aussi que la grande majorité des hommes asymptomatiques de plus de 70 ans ont une IMT carotide ≥ 1 mm et que seulement 5 à 7% ont une sténose carotide > 50%.

Globalement, au niveau mondial en 2020, 28% des individus 30-79 ans ont une IMT carotide ≥ 1 mm, 21% ont une plaque carotide <  50% et 1.5% ont une sténose carotide > 50%.

Ces chiffres ne sont pas en faveur du dépistage en population générale.

Rien de surprenant à ce que l’USPSTF maintienne en 2020 sa recommandation contre le dépistage des sténoses carotides asymptomatiques en population générale, grade D (2).

La Société Européenne de Cardiologie (ESC) ne recommande pas non plus le dépistage en population générale et discute le dépistage sur des populations ciblées à haut risque sanstoutefois se prononcer (3).

Les Sociétés nord-américaine et européenne de chirurgie vasculaire  (SVS guidelines, ESVS guidelines) ont pris également position contre le dépistage de SC asymptomatique en population générale.

Reste donc à discuter le dépistage sélectif en population ciblée, mais l’efficacité du traitement médical actuel change la donne et doit remettre en cause les pratiques (4, 5).
« Avant » on faisait du dépistage opportuniste pour trouver des sténoses carotides « serrées » à opérer ; à la suite de la publication des résultats de l’étude ACAS (1987-1993, Jama 1995)
démontrant un bénéfice de la chirurgie pour les SC asymptomatiques ≥ 60% diamètre par
rapport à l’ACI d’aval les indications opératoires ont explosés. Mais dans ACAS le traitement
antiplaquettaire était mal appliqué (78% des patients ont été sous Aspirine durant la moitié du suivi, 7% étaient sous hypolipémiants). Depuis une prise en charge plus rigoureuse des facteursde risque, la prescription systématique d’anti-plaquettaire et de statines avec une cible LDL-C précise, la normalisation de la TA, l’introduction de l’activité physique au rang de traitement préventif de 1 er ordre a réduit considérablement le risque d’AVC ischémique lié aux lésions carotides et le risque cardio-vasculaire en général (6). Cette réduction du risque d’AVC a atteint un point tel que le bénéfice de l’endartériectomie et du stenting pour les SC asymptomatiques serrées n’est plus très probant. On est en attente de résultats d’études comparant traitement médical optimal vs traitement optimal + chirurgie ou angioplastie, mais ces études sont face à de grosses difficultés d’inclusion probablement pour des raisons pas très honorables (7).

Il faut aussi considérer que le degré de sténose a été le critère d’inclusion dans toutes les
grandes études sur les SC symptomatiques ou asymptomatiques.

La notion d’athérothrombose a été plus longue à s’imposer et pas sûr que ce soit encore très clair pour tout le monde.

Pourtant, la majorité des AVC ischémiques sont liés à un processus thrombotique sur plaque
ulcérée ou irrégulière.
 
Mais il faut prendre en compte que sténose carotide est un terme générique regroupant des
lésions différentes (l’expérience de l’analyse des pièces opératoires est à ce sujet utile). Parmi
les SC asymptomatiques, pour l’instan,t il est admis qu’il faut surement chercher à identifier les sténoses à haut risque thrombo-embolique et les sténoses à haut risque hémodynamique (plus rares).
 
Au total, l’écho-Doppler cervical de dépistage opportuniste ou ciblé ne doit plus être un examen à la va-vite, il s’intègre dans une stratégie et une exigence de qualité.

C
omme pour tous les examens de dépistage il faut veiller à la fiabilité et à éviter les examens en cascade.
 
Dès l’instant où des lésions d’athérosclérose sont mises en évidence qu’il s’agisse de plaques ou de sténoses, la discussion avec le patient et l’instauration d’un traitement médical optimal
adapté à l’importance des lésions est fondamentale.

En présence d’une sténose carotide ≥ 60% en réduction de diamètre par rapport au calibre luminal régulier de l’ACI d’aval il faut compléter l’examen par la recherche de critères de « haut risque » (échostructure hétérogène ané-hypoéchogène, irrégularité de la surface luminale, voire échographie de contraste et recherche de HITS pour le risque emboligène ; comparaison Dr/Ga des index de résistance, des débits carotidiens, des signaux de l’artère cérébrale moyenne et de la vasoréactivité cérébrale pour le risque hémodynamique). En cas de sténose hétérogène an- hypoéchogène il est utile de refaire l’examen après 3 mois de statines à haute dose pour voir si l’échostructure se densifie, si la prise de contraste et le taux de HITS diminuent.
 
Avec ces données, une indication opératoire est discutée.....mais ces données sont-elles prises en compte aujourd'hui dans la vraie vie , réponse non ! (JPL)
 
Si une indication d’endartériectomie ou de stenting carotidien est retenue, elle ne changera pas l’indication à poursuivre le traitement médical optimal sur le long terme.
 
Références

  1. Derdeyn CP, Powers WJ. Cost-effectiveness of screening for asymptomatic carotid atherosclerotic disease. Stroke. 1996;27:1944-50.

  2. Krist AH, Davidson KW, et al. Screening for asymptomatic carotid artery stenosis: US Preventive Services Task Force recommendation statement. JAMA. 2021;325:476-81

  3. Stroke risk management in carotid atherosclerotic disease. A Clinical Consensus Statement of the ESC Council on Stroke and the ESC 2 Working Group on Aorta and Peripheral Vascular Diseases. CardioVascular Research 2023 August epub

  4. Paraskevas KI, Spence JD, Mikhailidis DM et al. Why do guidelines recommend screening for abdominal aortic aneurysms, but not for asymptomatic carotid stenosis? A plea for a randomized controlled trial. Int J Cardiol Jan 2023

  5. Gellen B. Du traitement de la sténose vers le traitement de l’athérome : une nouvelle ère dans la prévention cardiovasculaire. Cardiologie pratique 2023 15 mai.

  6. Poorthuis MHF, Solomon Y, Herings RAR et al. Temporal Trends and Determinants of Stroke Risk in Patients With Medically Treated Asymptomatic Carotid Stenosis. Stroke 2023 Jun epub

  7. Naylor AR. Lost in SPACE ! Editorial. Eur J Vasc Endovasc Surg 2016 Jun


    Sténose carotidienne asymptomatique, pertinence des soins , actualisation 2023 Médecine Vasculaire (CNPMV) 

    Les sténoses carotidiennes asymptomatiques sont découvertes le plus souvent en cas de bilan d’extension de l’athérothrombose et parfois lors d’un bilan d’évaluation du risque cardio-vasculaire. L’étude des carotides est conseillée par la HAS et l’ESC lors du bilan réalisé en cas d’artériopathie des membres inférieurs symptomatiques ou au décours d’une affection coronarienne. Les critères de plaque à haut risque d’AVC sont à évaluer, en particulier pour les sténoses asymptomatiques à partir de 60% ,selon NASCET (et non selon ECST).

    Enfin ne pas oublier une décision collégiale vis à vis des sténoses carotidiennes asymptomatiques : RCP