AAA et sa croissance

 "Celui qui croît qu'une croissance exponentielle peut continuer indéfiniment dans un monde fini est un fou, ou un économiste" Kenneth Boulding 

 "Notre pauvre pays est toujours sous la menace d'une rupture d'un anévrisme, et l'Europe entière est travaillée de quelque mal profond." Ernest Renan

 

Le point de départ de cette analyse sur la croissance des anévrismes de l'aorte abdominale

 Prendes CF, Gouveia E Melo R, Caldeira D, D'Oria M, Tsilimparis N, Koelemay M, Van Herzeele I, Wanhainen A. Editor's Choice - Systematic Review and Meta-Analysis of Contemporary Abdominal Aortic Aneurysm Growth Rates. Revue systématique et méta-analyse des taux de croissance contemporains des anévrismes de l'aorte abdominale
Eur J Vasc Endovasc Surg. 2024 Jan;67(1):132-145. doi: 10.1016/j.ejvs.2023.09.039. Epub 2023 Sep 28. PMID: 37777049.
https://www.ejves.com/article/S1078-5884(23)00802-X/fulltext
Artivle libre d'accès

 

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Croissance des AAAs : dans l’ensemble pas de changement, mais …

Francois Becker
François Becker 
, Chamonix

MD, PhD, HDR, PU Médecine Vasculaire


 

 

La connaissance de la croissance et le timing du suivi des anévrismes de l’aorte abdominale (AAA) reposent en partie sur les données d’une méta-analyse de 18 études réalisées entre 1983 et 2008 et totalisant 15 475 patients avec un AAA de 30-54 mm suivis 4 ans (Etude RESCAN. 1, 2).

Sur l’ensemble des données le taux de croissance moyen des AAAs était de 2.21 mm/an, indépendant de l’âge et du sexe du patient.

La croissance annuelle était plus élevée chez les fumeurs actifs (+ 0.35 mm/an) et moindre chez les diabétiques (- 0.51 mm/an), la TA moyenne n’avait pas d’effet, les anti-hypertenseurs et autres médicaments cardioprotecteurs n’avaient qu’un effet protecteur mineur, non-significatif, sauf peut-être pour les statines

Le taux de rupture était 4 fois plus élevé chez les femmes que chez les hommes, double chez les fumeurs actifs et significativement augmenté chez les hypertendus.

Il était montré aussi que la croissance des AAAs augmentait régulièrement avec le calibre des AAAs à l’état basal (2) : 1.28 mm/an (95%IC 1.03-1.53) pour les AAA de 30 mm, 1.86 (1.64-2.08) pour les AAA de 35 mm, 2.44 (2.22-2.65) pour les AAA de 40 mm, 3.02 (2.79-3.25) pour les AAA de 45 mm et 3.61 (3.34-3.88) pour les AAA de 50 mm.

Sur la base de leur étude les auteurs conseillaient une surveillance tous les 3 ans pour les AAA de 30-39 mm, tous les 2 ans pour les AAA 40-44 mm et tous les ans pour les AAA 45-54 mm. Ces données ont été reprises dans les recommandations 2019 AAA de la Société Européenne de Chirurgie Vasculaire (3) 


Depuis ces études, l’épidémiologie des AAA peut avoir changé en particulier avec la réduction du tabagisme, l’amélioration de la gestion du risque cardio-vasculaire (notamment un meilleur contrôle de la TA et une large prescription de statines) et un diagnostic plus précoce des AAA (de façon opportuniste ou lors de programmes de dépistage). Ces changements ont significativement diminué la prévalence des AAA (4, 5) et pourraient avoir eu un impact sur le taux de croissance des AAA. Dans le N° de janvier 2024  de l’EJVES, Prendes C.F et coll rapportent une revue de la littérature depuis 2015 testant cette hypothèse (6). 


Toutes les études rapportant un taux de croissance d’AAA publiées entre janvier 2015 et octobre 2021 ont été recherchées : 8 717 articles ont été identifiés, au final 43 études ont été retenues [6 essais randomisés contrôlés (RCTs) et 37 études observationnelles] totalisant 28 277 patients : 1 241 patients issus de RCTs, 23 941 issus d’études observationnelles cliniques et 3 095 issus d’études radiologiques ou translationnelles. L’étude la plus importante comprenait 13 834 patients, la plus petite portait seulement sur 19 femmes. Neuf études ou bras d’étude incluaient ≥ 500 patients, 15 incluaient ≥ 200 patients.

Le diamètre de l’AAA était mesuré par échographie dans 13 études, par angio-CT dans 14 études, par IRM dans 2 études, et une combinaison de ces techniques dans 14 études. Le mode de mesure était assez variable, il n’a été rapporté que dans 29 études sur 43 avec une grande hétérogénéité, le plus souvent en antéro-postérieur bord externe à bord externe dans 8 études (mode OTO), bord externe à bord interne dans 5 études (mode LTL), bord interne à bord interne (ITI) dans 3 études. 


Pour l’ensemble de ces patients, le diamètre de base des AAA était en moyenne de 42.5 ± 5.3 mm et le taux de croissance annuelle moyen était de 2.38 mm (95%IC : 2.16 – 2.60 mm/an) avec des extrêmes à 1.30 mm et 4.75 mm (95%IC : 3.59 – 5.91 mm/an).


L’évaluation du taux de croissance annuelle variait en fonction du type d’études …

Pour les 6 RCTs le taux de croissance annuelle moyen était de 1.88 mm (95%IC : 1.69 –2.06) moindre que dans les autres études et moindre que dans l’étude RESCAN. Ces études testaient l’effet de médicaments ou de l’exercice sur la réduction de la croissance des « petits » AAAs (aucun effet favorable significatif des produits ou exercice testés n’a été noté). Ces études impliquaient une mesure rigoureuse de la taille de l’AAA et un faible risque de biais : la croissance annuelle était en moyenne de 1.72 mm (95%IC 1.62-1.78 mm) dans le bras placebo vs 1.94 mm (1.62-2.27 mm, p=0.16) dans le bras expérimental.

Sur l’ensemble des études observationnelles la croissance annuelle des AAAs était significativement plus élevée (p<0.001), en moyenne de 2.55 mm (95%IC : 2.27-2.83). Par ailleurs l’hétérogénéité était bien plus importante dans les études observationnelles que dans les RCTs, le risque de biais était plus important dans ces études observationnelles (et paradoxalement plus dans les études radiologiques …).

Sans qu’on en ait la preuve formelle, la qualité, la rigueur des examens a probablement un impact dans ces résultats.


L’impact du diamètre de l’AAA à l’état basal est confirmé, plus il est grand plus la croissance est plus rapide (Cf Fig5 infra)

 

Le taux de croissance annuelle varie également avec le moyen diagnostic utilisé, plus important avec les méthodes radiologiques [2.77 mm/an (95%IC : 2.39-3.15) en CTA, 2.23 mm/an (1.56-2.90) en IRM] qu’avec l’échographie [2.04 mm/an (1.70-2.39)] mais il y a un biais dans la mesure où dans ces études les AAAs de calibre modéré à l’état basal étaient plus volontiers suivis en échographie et les AAAs > 45-50 mm étaient plus volontiers suivis en scanner ou en IRM. 


Le nombre de patients inclus dans les études (> 100, > 200, > 500) et la période de recrutement (depuis 2005, depuis 2010) n’a pas eu d’impact significatif sur l’estimation de la croissance annuelle moyenne. Mais là encore beaucoup d’hétérogénéité.


Une source d’erreur dans la méta-analyse des études publiées entre 2015 et 2021 est la technique de mesure des AAAs qui est trop souvent non rapportée (14 fois sur 43) et qui quand elle est rapportée (29/43) varie d’une étude à l’autre, de plus dans la moitié de ces 29 études la fiabilité de la mesure n’est pas discutée. On reste un peu pantois devant ce constat … malgré les souhaits de standardisation (7, 8)   


Au total, désolé pour l’évidence (au sens français du terme), pour évaluer la croissance annuelle des AAAs mieux vaut des études spécifiques avec des patients bien définis et des examens réalisés avec un protocole précis que de piocher les données dans des études observationnelles hétérogènes. Dans ces conditions, il est possible/probable que le contrôle des facteurs de risque (suppression du tabagisme en premier lieu) et un meilleur contrôle du risque cardio-vasculaire réduise la vitesse de croissance des AAAs.

Pour notre pratique quotidienne, j’ajouterai que c’est aussi un plaidoyer pour des examens US et des compte-rendus d’examen précis : AAA de 40 mm n’est qu’une information modeste, AAA fusiforme de 40 mm max en antéro-postérieur adventice-adventice sur une coupe transversale perpendiculaire à l’axe de l’aorte générant une section circulaire la plus parfaite possible est plus précis. Le calibre de l’AAA doit aussi être exprimé en ratio par rapport au calibre AP de l’aorte régulier en amont [Ne pas oublier que la définition d’un AAA était initialement faite en ratio (ratio > 1.5). Le 30 mm vient du fait que les AAA sont plus fréquents chez l’homme dont le calibre moyen de l’aorte abdominale normale est de 20 mm. Mais cette définition en valeur absolue minimise l’AAA sur aorte de petit calibre (femmes, asiatiques) et l’exagère sur aorte de gros calibre (artériomégalie quasi exclusivement masculine)]. 

Cette expression en ratio est capitale chez la femme (un AAA de 40 mm chez la femme est plus évolué qu’un AAA de 40 mm chez l’homme !), ceci explique en partie le risque de rupture plus élevé chez la femme. 

Il est important également de préciser le trajet de l’aorte abdominale et la forme de l’AAA, l’importance du sédiment/thrombus intra-anévrismal, la forme du chenal circulant et l’existence éventuelle d’une artériomégalie qui doit faire rechercher une dystrophie poly-anévrismale.

Pour plus de détails, on peut encore consulter les recommandations de la SFMV 2006 qui restent d’actualité (8)

Références 


  1. Sweeting MJ, Thompson SG, Brown LC, Powell JT and RESCAN collaborators. Meta-analysis of individual patient data to examine factors affecting growth and rupture of small abdominal aortic aneurysms. Br J Surg 2012 May ; 99(5): 655-65
  2. The RESCAN Collaborators. Surveillance intervals for small abdominal aortic aneurysms. A meta-analysis. JAMA 2013 ; 309(8) :806-13
  3. Wanhainen A, Vernizi F, Van Herzeele I, Allaire E, Bown M, Cohnert T, et al. European Society for Vascular Surgery (ESVS) 2019 clinical practice guidelines on the management of abdominal aorto-iliac artery aneurysms. Eur J Vasc Endovasc Surg 2019;57:8-93.
  4. Svensjö S, Björck M, Gürtelschmid M, Djavani Gidlund K, Hellberg A, Wanhainen A. Low prevalence of abdominal aortic aneurysm among 65-year-old Swedish men indicates a change in the epidemiology of the disease. Circulation 2011;124:1118-23.
  5. Persson SE, Boman K, Wanhainen A, Carlberg B, Arnerlöv C. Decreasing prevalence of abdominal aortic aneurysm and changes in cardiovascular risk factors. J Vasc Surg 2017;65:651-8.
  6. Prendes CF, Gouveia E Melo R, Caldeira D, D'Oria M, Tsilimparis N, Koelemay M, Van Herzeele I, Wanhainen A.Systematic Review and Meta-Analysis of Contemporary Abdominal Aortic Aneurysm Growth Rates. Eur J Vasc Endovasc Surg. 2024 Jan;67(1):132-145
  7. Long A., Rouet L., Lindholdt J.S., Allaire E . Measuring the maximum diameter of native abdominal aortic aneurysms: review and critical analysis. Eur J Vasc Endovasc Surg 2012 May
  8. Becker F., Baud J.M. Dépistage des anévrysmes de l’aorte abdominale et surveillance des petits anévrysmes de l’aorte abdominale. Argumentaire et recommandations de la Société Française de Médecine Vasculaire. Journal des Maladies Vasculaires 2006 Dec.


MERCI François, message clair et efficace .....as usual 
 
Une remarque : les mensurations d'un anavérisme sont plus présises en TM qu'en mode B