Dépistage des AAA chez les femmes : back to the futur !


"Les femmes devraient avoir la même liberté d'être et d'agir que les hommes. Elles ont autant d'intelligence, souvent plus de réflexion. Elles ont aussi la force morale, qui vaut mieux que la force physique. Si on ne leur donne pas le droit de faire ce que font les hommes, elles doivent le prendre. Leur destin leur appartient." La Femme qui tuait les hommes (2018) de Eve de Castro

“S'il n'y avait pas d'injustice, on ignorerait jusqu'au nom de la justice.” Héraclite d'Éphèse

"La pertinence du passé, éclaire toujours l'avenir."  Anonymus


2013
 

(à propos des recommandations HAS 2012, sur le dépistage des AAA)

F. Becker , Chamonix
MD, PhD, HDR, PU Médecine vasculaire

Francois Becker

F. Becker 13/05/2013


Au terme d'une longue gestation (2006-2012) la HAS s'est prononcée sur la pertinence de la mise en place d'un programme de dépistage des AAA en France.

La HAS recommande le dépistage unique 
ciblé opportuniste des AAA chez les hommes ayant au moins un des facteurs de risques suivants :
-âge compris entre 65 et 75 ans et tabagisme chronique actuel ou passé ;
-âge compris entre 50 et 75 ans et antécédents familiaux d’AAA.

Le type de dépistage est bien cadré: unique (donc pas de répétition du dépistage après x années),
ciblé (donc limité à une population définie par des facteurs de risque précis), opportuniste (donc lors
d'un recours aux soins). Donc pas de dépistage systématique, pas de campagne de dépistage.
La HAS insiste aussi vivement sur la prise en charge thérapeutique globale des personnes ayant été
identifiées comme ayant un AAA.

Le travail est certes remarquable, mais on peut s'interroger sur l'exclusion de fait des femmes de ce
dépistage 1 , même s'il n'est pas question de nier la moindre prévalence des AAA chez la femme 2 3 .

En effet, la femme a été constamment sous-représentée dans les études de dépistage des AAA et les 
particularités de l'AAA chez la femme sont insuffisamment prises en compte quand elles ne sont pas tout simplement ignorées.

D'abord, comment a été défini un AAA dans les études épidémiologiques ?

Un anévrysme est défini 
normalement comme une dilatation permanente, localisée, avec perte du parallélisme des bords, d’une artère dont le diamètre est augmenté d’au moins 50% par rapport à la normale. Par simplicité dans les études épidémiologiques, un AAA a été défini comme une dilatation localisée de l’aorte abdominale d’un diamètre antéropostérieur (AP) adventice-adventice de 30 mm, soit une augmentation de 50% par rapport à un diamètre AP normal moyen de l’ordre de 20 mm ... chez l'homme ! Et pour cause, dans les études princeps américaine (ADAM study) anglaises (Gloucester, Birmingham) ou dans les études évaluant la normalité du calibre de l’aorte abdominale sous-rénale, la population étudiée était exclusivement ou quasi exclusivement masculine.

Or les artères de la femme sont en règle de plus petit calibre que celles de l'homme (tout territoire).

Cela pose problème tant au plan de la définition d'un AAA dans les études épidémiologiques ou de
dépistage qu'au plan du seuil d'indication opératoire. Le diamètre AP normal de l’aorte abdominale
sous-rénale, mesuré en échographie, chez le sujet de plus de 50 ans se situe entre 18 et 22 mm chez l’homme (moyenne : 20,1 mm, 1 ds : 3 à 6 mm), entre 16 et 18 mm chez la femme (moyenne : 17
mm, 1 ds : 3 mm) selon les séries. Selon la définition classique d’un anévrysme, le diamètre AP seuil
pour le diagnostic d’AAA chez la femme devrait donc être à 25 mm et non 30 mm. Un AAA de 30 mm AP chez la femme est l'équivalent d'un AAA de 35 mm AP chez l'homme (ratio 1.75). Un AAA de 42- 45 mm chez la femme est l'équivalent d'un AAA de 50 mm AP chez l'homme (ratio 2.5).
 
1  Comme les recommandations nord-américaines (USPSTF)
2  Hors AAA dans le cadre de la maladie de Horton (15 à 20% des cas), de la maladie de Behçet.
3  L'artériomégalie, qui est en toile de fond de 20% des AAA et fait le lit de la dystrophie polyanévrysmale, est une dystrophie artérielle quasi exclusivement masculine (95%)
 
Cet impact de la définition apparait en comparant études épidémiologiques et études autopsiques.

Dans l'étude princeps ADAM (USA), la prévalence des AAA était de 4,3 % chez l'homme vs 1 % chez la femme; dans la plupart des études épidémiologiques, le ratio homme:femme est de 4,8 à 5 pour 1. Mais dans les études autopsiques, la différence homme vs. femme s'amenuise. Ainsi, chez les plus de 70 ans, la prévalence des AAA est de 2,25 % chez la femme vs. 3,6 % chez l'homme.

Enfin, si l'artériomégalie est rare chez la femme, le risque d'AAA y est plus élevé que chez l' homme ; si les hormones féminines ont un rôle bénéfique sur la compliance artérielle, les
dégradations de paroi sont plus marquées dans la 6ᵉ et la 7ᵉ décades, et les femmes qui sont opérées d’un AAA ont en moyenne au moins 4 à 5 ans de plus que les hommes.

Les facteurs de risque de survenue d’un AAA sont les mêmes dans les deux sexes.

Comme chez l’homme, le tabagisme et les antécédents familiaux au 1 er degré d’AAA sont au 1 er plan

le tabagisme féminin est quasi égal à celui de l'homme (Le Faou et al. Tabagisme en France. Presse Médicale 2012), à tabagisme égal, les femmes semblent avoir même prévalence d’AAA que les hommes.
l’impact des antécédents familiaux au 1ᵉʳ degré est peut-être plus important chez la femme que chez l’homme (Cronenwett. Reply to USPSTF recommendation statement on screening for AAA. Ann Intern Med 2005).

L’HTA est un facteur de risque 3 fois moindre que le tabagisme mais il est peut-être plus important. chez la femme que chez l’homme [RR lié à l’HTA pour la survenue d’un AAA > 35 mm : 2.02 chez la femme vs 1.61 chez l’homme in Tromsǿ study].

Concernant le tabagisme, deux études publiées fin 2012 sont particulièrement intéressantes.

 La Million Women Study in the UK (Pirie et al., Lancet oct. 2012) rapporte la prévalence et l'impact du tabagisme chez 1.3 million de femmes (recrutement 1996 à 2001, suivi 8 ans): en comparant tabagiques vs non-tabagiques, les anévrismes de l'aorte sont la 3 ème cause de décès après les affections pulmonaires chroniques et le cancer du poumon (RR = 6.32).
 Svensjö et al (Br J Surg, nov 2012) ont proposé un dépistage de l'AAA chez les femmes de plus de 70 ans, 5140 ont été dépistées. Le calibre normal médian de l'aorte abdominale était de 16 mm. Onze femmes avaient déjà été opérées d'un AAA (dont 5 en urgence), 1 AAA était déjà sous surveillance, ces 12 femmes étaient tabagiques. Par ailleurs, 7 décès par rupture d'AAA étaient répertoriés.
 
Un AAA  de 30 mm a été découvert chez 19 femmes, 18 étaient tabagiques. Si au lieu d'utiliser la
définition simplifiée d'un AAA (diamètre AP ; 30 mm), on utilise la définition stricte (ratio ; 1.5), il
faut ajouter 30 AAA de 25 à 30 mm (16 mm * 1,5 = 24 mm).

Au total, en limitant le dépistage aux 
femmes tabagiques et en veillant à définir un AAA par rapport au calibre normal de l'aorte de la femme, en considérant les AAA connus, opérés ou rompus, on arrive à un taux de 4,5 % d'AAA, proche des taux chez les hommes.
 
Risque de l'AAA chez la femme

 le risque de rupture est 3 fois plus important chez la femme que chez l’homme et la rupture
survient en moyenne pour une taille moindre que chez l’homme.
 la croissance des AAA est plus rapide chez la femme que chez l'homme pour les AAA ≥ 40 mm.
 le risque opératoire est également plus élevé que chez l’homme. (RR : 1.5)
 
Au total

 la mesure d’un AAA chez la femme doit être faite en valeurs absolue et relative (diamètre AP de
l’AAA / diamètre AP de l’aorte sous-rénale normale).
 la moindre prévalence des AAA chez la femme n’est pas un motif suffisant d’exclusion du dépistage. et ce d’autant plus que le tabagisme féminin égale celui de l'homme et que l'impact des antécédents familiaux au 1ᵉʳ degré est au mieux le même.

Nous n'avons pas de raison de revenir sur les recommandations de la Société Française de médecine vasculaire (J Mal Vasc 2006) quant au dépistage opportuniste 4 des AAA chez la femme ciblant

 les femmes de 60 à 75 ans tabagiques ou hypertendues.
 les femmes de plus de 75 ans tabagiques, sans comorbidité lourde et ayant une espérance de vie
sensiblement normale pour l’âge.
 les femmes de plus de 50 ans ayant une histoire familiale d’AAA (parents ou collatéraux au 1 er
degré) et ce d’autant plus que plusieurs parents ou collatéraux ont été ou sont concernés ou qu’il y
a un antécédent familial direct de rupture d’AAA.

En cas de découverte d’un AAA de petite taille (diamètre AP; 30 mm ou ratio 1.5, mais diamètre AP ; 40-45 mm), le suivi ne doit pas se limiter à la surveillance du calibre de cet AAA mais doit comprendre la prise en charge globale de la patiente et la réduction ou la suppression des facteurs de risque modifiables (tabagisme, HTA, hypercholestérolémie, obésité, bronchopneumopathie obstructive, sédentarité …).
 
Cet objectif est de grande importance car il contribue non seulement à une réduction du risque cardiovasculaire, à une réduction du risque opératoire par une meilleure préparation de la patiente à cette éventualité, mais il a aussi une incidence sur la progression et le risque de rupture de l’AAA.

En cas d’AAA de; 40-45 mm AP, la décision de poursuivre la surveillance ou de proposer une indication opératoire doit être prise de façon collégiale.
 
Becker F., Baud J.M. Dépistage des anévrysmes de l’aorte abdominale et surveillance des petits anévrysmes de l’aorte abdominale : argumentaire et recommandations de la Société Française de Médecine Vasculaire. J Mal Vasc 2006, 31(5) : 260-76

 
HAS. Pertinence de la mise en place d’un programme de dépistage des anévrismes de l’aorte abdominale en France. Novembre 2012
 
 Nous n'avons peut-être pas suffisamment prêté attention au problème de terminologie, en ne distinguant pas clairement le dépistage systématique du dépistage opportuniste. À l'époque, ce distinguo était encore confidentiel.

Références

1 Comme les recommandations nord-américaines (USPSTF)
2 Hors AAA dans le cadre de la maladie de Horton (15 à 20% des cas), de la maladie de Behçet.
3 L'artériomégalie, qui est en toile de fond de 20% des AAA et fait le lit de la dystrophie polyanévrysmale, est une dystrophie artérielle quasi exclusivement masculine (95%)


Cas clinique  ; femme de 78 ans, tabagique 30 paquets-année, HTA, BMI à 35, consulte dans le cadre de ses RDFCV.  Dépistage systématique de l'AAA, découverte fortuite de cet anévrisme (DAP 56,3 mm) , traité par endoprothèse, suites simples. Ses enfants ont été dépistés, 2 garçons et une fille, RAS.
 
Commentaire
 
François Becker, un "VISIONNAIRE VASCULAIRE ", bravo François , une fois de plus tu étais dans le vrai déjà en 2013 !

En 2025, ce dépistage des AAA chez la femme est consacré par différentes recommandations.

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AAA au féminin
 
 
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