« Trois idéaux ont éclairé ma route et m'ont souvent redonné le courage d'affronter la vie avec optimisme : la bonté, la beauté et la vérité. » Albert Einstein
Thrombose et cancer : c'est au quotidien que nous sommes de plus en plus concernés par cette association, une liaison dangereuse, dont il faut écarter tous les pièges. Qui est le mieux placé aujourd'hui pour décrypter cette thématique ? Isabelle Mahé a bien voulu répondre à https://medvasc.info/. Merci Isabelle d'avoir accepté cet entretien.
Isabelle Mahé , Professeur des Universités, Praticien Hospitalier en Médecine Interne
Chef du service de Médecine Interne, Hôpital Louis Mourier, APHP, Université Paris Cité
INNOVTE-FCRIN, Cedex2 ,Saint Etienne
Epidémiologie de la MTEV au cours du cancer actif et typologie (localisation, récurrence, risque hémorragique)
Avec les progrès notables des traitements anticancéreux ces dernières années, l’espérance de vie des patients avec cancer s’allonge. Dans le même temps, et dans le contexte des progrès réalisés en imagerie, l’incidence des événements thromboemboliques veineux associés au cancer progresse, quel que soit le site du cancer. Dans une étude récente, le risque thromboembolique chez les patients avec cancer a été estimé à 9 fois celui des patients sans cancer.
Le risque thromboembolique veineux dépend du site et du stade du cancer, mais aussi des caractéristiques du patient et des traitements du cancer. Ainsi, les cancers du pancréas, gastrique, du poumon et les tumeurs cérébrales sont les plus à risque thromboembolique en risque relatif ; mais en terme d’effectifs, les patients avec cancers du sein, de la prostate et colorectal, en raison de leur prévalence élevée et bien qu’à moindre risque relatif de thrombose, sont les plus nombreux des patients avec thrombose et cancer.
Quel que soit le type de tumeur, la survenue d’un événement thromboembolique veineux est associée à un mauvais pronostic. Par ailleurs, après un premier épisode, sous traitement anticoagulant bien conduit, les patients avec cancer ont un risque majoré de développer une récidive veineuse thromboembolique et d’avoir des complications hémorragiques par rapport aux patients sans cancer.
Pendant longtemps les HBPM ont été le traitement référence de la MTEV au cours du cancer depuis l’étude CLOT. Aujourd’hui les choses changent, les AOD ont le vent en poupe. Qu’apportent les AOD par rapport aux HBPM dans ce contexte ?
Par rapport aux HBPM administrés au long cours par voie injectable, les AOD ont l’avantage de la voie orale. Les HBPM sont longtemps restées la seule alternative thérapeutique recommandée chez les patients atteints de thrombose et cancer. Désormais, 2 alternatives s’offrent au prescripteur et au patient, HBPM et AOD, qui ne sont pas exclusives, puisque l’une ou l’autre des options peut être privilégiée au cours du suivi du patient selon le contexte et les préférences, ce qui est très positif.
Que reste-t-il des indications des HBPM en 2022 ?
Les HBPM sont et restent une alternative de premier choix dans la prise en charge thérapeutique de la thrombose associée au cancer, comme cela a été rappelé dans la mise à jour des Recommandations Françaises en 2021 (https://doi.org/10.1016/j.
De plus, chez les patients avec une insuffisance rénale sévère, situation où les AOD sont contre-indiqués, les HBPM sont privilégiées (Recommandations Françaises 2021).
La prévention de la MTEV au décours d’un cancer actif se pose régulièrement. Quelle est ta pratique à ce sujet ?
Les patients avec cancer sont à risque thromboembolique veineux, à l’origine d’un surcroît de morbidité, de mortalité et de coûts de santé. Dans ce contexte, la thromboprophylaxie semble attractive.
Bien que les HBPM aient démontré une efficacité par rapport au placebo dans la prévention du risque thromboembolique veineux chez les patients avec cancer recevant une chimiothérapie en ambulatoire, leur prescription systématique n’est pas recommandée compte tenu de la réduction modeste du risque de survenue d’événement thromboembolique veineux, du risque hémorragique et de la contrainte de la voie injectable.
Plus récemment, les AOD ont été évalués prospectivement chez les patients avec cancer les plus à risque thromboembolique veineux (score de Khorana ≥2), mettant en évidence une réduction du risque thromboembolique veineux à 6 mois, au prix d’une augmentation significative du risque de saignements majeurs.
En pratique, en dehors du cas du myélome qui justifie une prophylaxie, la thromboprophylaxie doit être discutée au cas par cas devant les cancers les plus thrombogènes, en l’absence de facteur de risque hémorragique.
L’étude APICAT qui tu diriges est très attendue, peux-tu nous en rappeler la philosophie ?
Mahé I, et al. Thromb Haemost 2021. doi: 10.1055/a-1647-9896
Les essais thérapeutiques évaluant les différents schémas thérapeutiques d’anticoagulants chez des patients avec un cancer ont pour la plupart été menés avec une évaluation à 6 mois de l’événement index.
Avec les progrès des traitements anticancéreux et des soins de support, près de 60% des patients pris en charge pour un événement thromboembolique veineux associé à un cancer sont encore vivants 6 mois plus tard. La question de leur traitement se pose alors.
Après un épisode thromboembolique veineux dans un contexte de cancer, le risque de récidive est élevé, surtout dans les premières semaines suivant l’événement. Après 6 mois, ce risque persiste, même s’il est moins élevé que dans les 6 premiers mois alors que le risque hémorragique est significatif. Dans ce contexte, l'option d’une dose réduite d’anticoagulant semble attractive et justifie d'être évaluée prospectivement.
L’objectif principal de l’étude API-CAT (étude prospective randomisée en double aveugle) est d’évaluer la non infériorité sur le risque de récidive thrombo-embolique veineux d’une dose réduite d’anticoagulant (apixaban 2.5 mg X2/j) par rapport à la dose pleine (5 mg X2/j) chez des patients avec cancer actif ayant reçu au moins 6 mois d’anticoagulant pour un événement thrombo-embolique veineux ; si cet objectif est atteint, la supériorité de la dose réduite sur le risque hémorragique sera recherchée. L’analyse sera stratifiée selon le site de cancer.
A ce jour, plus de 1100 patients sur les 1722 patients attendus ont été inclus dans les 11 pays participant à l’étude.
Les AOD présentent des interactions avec les traitements du cancer. Peux-tu nous rappeler les interactions les plus dangereuses. Existe-t-il un ou des sites qui permettent en consultation lorsque que la prescription d’un AOD est possible d’éviter des associations à risque
La question des interactions médicamenteuses entre AOD et anticancéreux est souvent évoquée. Elle peut s’envisager sous 2 angles ; le premier : peut-on attendre un effet de l’AOD sur l’effet antitumoral ? La réponse est non, il y a peu ou pas d’effet attendu de l’AOD sur l’effet du traitement antitumoral ; le deuxième : peut-on attendre un effet de l'anti tumoral sur l’effet de l’AOD ? La question se pose pour les traitements dont le métabolisme passe par le CYP3A4 et qui sont substrats de la P-gp. Dans la plupart des cas, l’intervalle thérapeutique large des AOD permet de ne pas anticiper d’impact clinique. La question reste posée pour les inhibiteurs/inducteurs puissants du 3A4 et de la P-gp, qui étaient des critères de non inclusion des essais thérapeutiques évaluant les AOD dans la thrombose associée au cancer. Il faut rappeler que pour ces situations, les données disponibles concernant les interactions n’ont pas été obtenues chez des patients.
https://cancer-<wbr< a=""> />druginteractions.org</wbr<>
https://www.afsos.org/fiche-
Les nouveaux AOD arrivent. Est-ce que les Anti XI par exemple ont été testés pour traiter la MTEV dans le cancer ou la prévenir ?
Les anti XI semblent avoir un profil intéressant : en agissant au niveau du facteur XI, ces traitements permettent de prévenir le risque thromboembolique tout en minimisant le risque hémorragique.
A ce jour des données sont disponibles dans la prévention du risque thromboembolique dans la chirurgie du genou et la prévention du risque cardio-embolique dans la fibrillation auriculaire.
Un tel profil semble particulièrement attractif dans la prise en charge de la maladie veineuse thromboembolique associée au cancer. Des études prospectives randomisées sont sur le point de débuter en France dans la prise en charge initiale de la thrombose associée au cancer, avec un suivi à 6 mois.
Merci à Isabelle Mahé, des réponses claires, pour une meilleure connaissance sur THROMBOSE et CANCER, avec des retombées pratiques précieuses.