Entretien avec Pierre Morange : les thrombophilies

Entretien avec Pierre Morange : les thrombophilies

 


 logo aphm 300x267"Ce qui donne à un individu sa valeur génétique, ce n'est pas la qualité propre de ses gènes. C'est qu'il n'a pas la même collection de gènes que les autres."François Gros Et François Jacob

" Diversité, c'est ma devise " Jean de La Fontaine

" L'étude de la diversité de nos génomes permet de répondre à des questions capitales en anthropologie, en biologie de l'évolution, en histoire mais aussi et c'est important pour l'avenir, en santé humaine"Lluis Qintana-Murci


Thème  : les bilans  de thrombophilies

Ils ne sont pas toujours conformes aus  recommandations. C'est pourquoi il semble important d'y voir plus clair . Merci à Pierre Emmanuel Morange d'avoir accepté de faire le point sur cette question importante pour https://medvasc.info/

 

Pierre MORANGE GFHT CoMETH 2017
Professeur Pierre Emmanuel MORANGE 

Centre d'Exploration des pathologies Hémorragiques et Thrombotiques (CEHT)
Service du laboratoire d'hématologie
Service d'Hématologie Biologique
CHU de Marseille - Hôpital de la Timone


 


Peux-tu rappeler Pierre la définition de la thrombophilie ?

 

La thrombophilie peut être définie par la prédisposition d’un individu à développer des épisodes thrombotiques touchant le plus souvent le territoire veineux. Une partie de l’origine de cette thrombophilie est identifiée par des facteurs biologiques, certains constitutionnels d’autres acquis tels que la présence d’un syndrome des antiphospholipides.

Il faut distinguer 2 groupes de thrombophilies constitutionnelles : les états thrombophiliques majeurs (ou thrombophilie sévère) représentés par les déficits en inhibiteurs naturels de la coagulation (antithrombine, protéine C, protéine S), les anomalies combinées facteur V Leiden (FVL) hétérozygote (HTZ) + mutation G20210A du gène de la prothrombine (PTM) HTZ, FVL homozygote (HMZ) et PTM HMZ ; et les états thrombophiliques modérés : FVL HTZ, PTM HTZ. La thrombophilie majeure est associée à un risque de maladie thromboembolique veineuse (ou MTEV) important chez le sujet jeune puisqu’on estime qu’à l’âge de 45 ans, la moitié des sujets porteurs de ces anomalies auront thrombosé.

Il faut souligner cependant qu’une grande partie de cette thrombophilie reste encore inexpliquée.

 

Aujourd’hui les recherches de thrombophilies se multiplient et la plupart du temps sans fondement réel. Alors chez qui rechercher une thrombophilie, quand et pourquoi ?

 

La recherche d’une thrombophilie biologique doit être restreinte aux indications dans lesquelles l’identification de celle-ci aura une influence sur la prise en charge du patient et/ou de sa famille. De façon générale, la survenue d’un épisode thrombotique chez un sujet jeune incite à poser la question du bilan de thrombophilie. Il n’existe pas de consensus international quant aux indications de ce bilan. En effet, les différentes recommandations/propositions publiées reposent sur de faibles niveaux de preuve (notamment du fait de la rareté des thrombophilies majeures). Toutefois, le critère d’âge et le caractère non provoqué de l’épisode thrombotique sont des facteurs majeurs dans toutes les recommandations.

Le bilan de thrombophilie doit ainsi être réalisé chez les individus ayant présenté un épisode thromboembolique veineux (thrombose veineuse profonde et/ou embolie pulmonaire) non provoqué (c’est-à-dire en l’absence de situation à risque environnementale) avant 50 ans. Chez la femme en âge de procréer,  cette indication doit être élargie aux épisodes provoqués puis la présence d’un thrombophilie biologique pourra conditionner la prise en charges des éventuelles grossesses ultérieures. Chez les sujets de plus de 50 ans, ce bilan ne sera discuté que s’il existe des antécédents familiaux documentés.

Concernant les sujets asymptomatiques, les recommandations proposent de réaliser une enquête familiale uniquement chez les apparentés du premier degré, de façon systématique s’il s’agit d’une thrombophilie sévère, après évaluation par un centre expert et uniquement chez les femmes apparentées du premier degré en âge de procréer pour les thrombophilies modérées. En effet, le diagnostic d’une anomalie biologique peut avoir un impact majeur chez les femmes jeunes en raison de leur exposition très fréquentes aux situations hormonales, associées à un risque majeur de MTEV (contraception oestroprogestative et grossesse).

De nombreux paramètres en hémostase seront perturbés au cours du traitement et à la phase aigüe de la thrombose veineuse notamment. Il faut donc retenir ,qu’il n’y a généralement pas d’urgence à effectuer un bilan de thrombophilie dont l’interprétation sera difficile au cours de la prise en charge initiale. Il sera donc préférable de réaliser ce bilan après l’arrêt du traitement anticoagulant ou lorsqu’une fenêtre thérapeutique peut être envisagée (au-delà de 3 mois de traitement bien conduit).

Quand une patiente ou un patient présente une mutation génétique, chez qui la rechercher dans la famille et chez les descendants. Cette recherche doit-elle être ciblée uniquement sur la thrombophilie qui a été mise en évidence initialement ?

Cette question divise encore notre communauté. Logiquement la recherche devrait être ciblée uniquement sur la thrombophilie qui a été mise en évidence chez le cas index. Si l’anomalie est identifiée alors le bilan doit être complétée car il n’est pas rare de retrouver une deuxième thrombophilie fréquente (FV Leiden ou PT G20210A). Cependant certains considère qu’il est plus pratique d’effectuer un bilan complet d’emblée afin d’éviter un deuxième prélèvement.

 

Quels sont les traitements qui perturbent un bilan de thrombophilie ?

 

Sans surprise ceux sont essentiellement les anticoagulants. Les antivitamines K font baisser la protéine C et la protéine S (qui sont des protéines vitamine K dépendantes) et peuvent compliquer la recherche d’anticoagulant circulant si l’INR est trop élevée.

Les anticoagulants oraux directs impactent les tests chronométriques de la coagulation et certains dosages des inhibiteurs de la coagulation ne sont pas réalisables.

On note en particulier des difficultés d’interprétation liées aux anticoagulants oraux directs (AOD : apixaban, rivaroxaban, dabigatran). Le dosage des protéines C et S est perturbé sous AOD si le test utilisé est chronométrique (test de première intention). Une surévaluation des taux peut être observée. Le dosage de la protéine C peut être effectué avec une technique chromogénique avec une perte de sensibilité (certains déficits qualitatifs ne sont pas diagnostiqués par la technique chromogénique).

La problématique est comparable pour la protéine S : le dosage antigénique de la protéine S libre peut être réalisé sous AOD mais il ne permet pas le diagnostic des rares déficits qualitatifs.

De même, le dosage de l’antithrombine doit tenir compte de l’AOD. En effet les trousses commercialisées utilisent 2 systèmes de mesure différents. Ainsi, le dosage de l’antithrombine chez les patients traités par dabigatran ne sera pas réalisable avec le système anti-IIa. Inversement, le dosage de l’antithrombine sous apixaban ou rivaroxaban ne sera pas réalisable avec le système anti-Xa. La recherche des anticoagulants circulants sous AOD n’est pas non plus possible et une fenêtre de 72 heures est nécessaire pour le dosage.

En raison des difficultés potentielles d’interprétation de ce bilan, pour le prescripteur et pour le laboratoire qui effectue l’analyse, il est recommandé d’adresser les patients susceptibles de bénéficier d’un bilan de thrombophilie à un centre expert qui évaluera l’indication et maitrisera l’exploration en collaboration avec le laboratoire de référence.

 

Demain quelles sont les orientations à venir du monde de la thrombophilie ?

 

L’exploration d’une thrombophilie constitutionnelle est à ce jour très dépendante des tests plasmatiques et reste ainsi soumise aux difficultés d’interprétation, notamment en lien avec les traitements anticoagulants. Il est de plus admis qu’il existe des variants délétères dans les gènes codant les inhibiteurs naturels de la coagulation non identifiés par les tests d’activités utilisés pour les dépister. Le développement des outils de biologie moléculaire, notamment les techniques dites de next generation sequencing (ou NGS) laisse entrevoir une évolution dans cette exploration. Le diagnostic moléculaire pourrait ainsi devenir un acteur majeur du bilan de thrombophilie dans un futur proche. D’une part, ses performances diagnostiques sont supérieures à celles des dosages plasmatiques (meilleures sensibilité et spécificité). D’autre part, nous savons que la liste des anomalies génétiques associées à la survenue de la maladie thromboembolique veineuse ne se limite pas aux 5 anomalies du bilan de thrombophilie actuellement pratiqué. Ainsi une approche de type panel avec séquençage systématique des gènes candidats (c’est-à-dire des gènes codant les protéines impliquées dans la physiopathologie) ou de type exome sequencing dans des familles avec thrombophilie inexpliquée permettrait d’identifier le variant rare délétère impliqué dans la pathologie familiale. Plus que jamais, la recherche d’états thrombophiliques doit bénéficier de l’expertise de centres spécialisés.

Le groupe français d’hémostase et thrombose (GFHT) auquel j’appartiens devrait publier ses recommandations actualisées sur le bilan de thrombophilie au cours de cette année. 

Merci Pierre pour cet entretien très riche et très informatif . Merci aussi d'avoir toujours répondu présent aux sollicitations de la Médecine Vasculaire et de ta présence à nos côtés.