Entretien  avec François BECKER : Sténose carotidienne asymptomatique

Entretien avec François BECKER : Sténose carotidienne asymptomatique

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"Ce qu'on appelle stratégie consiste essentiellement à passer les rivières sur les ponts et à franchir les montagnes par les cols." Anatole France

Entretien avec F. Becker , Chamonix
MD, PhD, HDR, PU Médecine Vasculaire

Francois Becker


La question de la sténose carotidienne asymptomatique est une question toujours complexe avec des réponses trop souvent discordantes. C'est pourquoi j'ai demandé à François Becker son avis éclairé . En le lisant vous allez découvrir l'essence même de cette question . Vous allez aller, à la rencontre de la sténose carotidienne asymptomatique et in fine à une connaissance optimale. Le partage du savoir est toujours enrichissant.


Question 1 : Peux-tu définir avec précision ce qu’est une sténose carotidienne asymptomatique ?

Avant de répondre à ta question, il me parait bon de rappeler 4 points importants :

1- D’abord ce qu’on entend par sténose carotide* car dans les documents d’ordre épidémiologique on mélange parfois lésions extra- et intracrâniennes, ce qui surestime l’évaluation de la responsabilité des sténoses carotides extra-crâniennes dans les AVC ischémiques. Sans autre précision, on entend par sténose carotide les sténoses intéressant la bifurcation carotide proprement dite et/ou les 1ers cms de l’artère carotide interne cervicale : bifurcation carotide, origine de l’ACI ou bulbe carotide, ACI post-bulbaire immédiate. Sont exclues les sténoses de la carotide commune thoracique et cervicale, de l’ACI cervicale haute sous la base du crâne, les sténoses intra-crâniennes (siphon carotidien, sylvienne) et les sténoses limitées au tronc de la carotide externe.

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2- Sans précision, on parle de sténose par athérosclérose, les lésions d’artériopathie non-athéroscléreuse sont exclues du propos (bien que nettement moins fréquentes que les sténoses athéroscléreuses, il faut savoir les évoquer ,car leur gestion est spécifique).

3- Plaque, sténose les deux mots sont souvent utilisés l’un pour l’autre alors que du point de vue étymologique et hémodynamique les deux termes sont différents (parler d’une plaque à 80% ou d’une sténose à 20% a quelque chose d’incongru). Probablement pour pallier ces aléas de langage est apparu le terme de sténose significative qui n’est pas plus précis. S’il existe quelques variantes dans la définition du mot plaque, toutes agréent qu’une plaque est un élément plutôt rigide, plutôt plat et en tout cas peu épais. Une sténose est non seulement un rétrécissement mais un rétrécissement anormal. Il est communément admis en hydraulique qu’une sténose régulière ne perturbe pas le flux jusqu’à atteindre au moins 70% section. On peut appliquer aux carotides la méthode de Bollinger pour les membres inférieurs en distinguant sténoses ≥ 50% diam., sténoses 25-50% diam., plaques ≤ 25% diam.

4- Une cause majeure de discordance dans l’appréciation du degré de sténose des lésions carotides est que les uns parlent de sténose en réduction de diamètre quand les autres parlent en réduction de section. Ce n’est pas supportable ! Il faut toujours préciser X%-diam ou X%-section.

Pour répondre à ta question, il faut encore faire un brin d’histoire. Jusqu’en 1950 et les travaux de C.M. Fisher les lésions carotides extra-crâniennes ont été négligées. Il faut peut-être rappeler que l’artériographie a été développée pour l’étude des tumeurs cérébrales (E. Moniz 1927), que l’apoplexie était considérée comme liée à la thrombose d’artère intra-crânienne (XVIIème-XVIIIème siècle) et que les premiers liens entre lésions carotides extra-crâniennes et AVC ischémique homolatérale ont été établis pour des plaques ulcérées avec matériel thrombotique extra-crâniennes (Chiari 1905).

La définition du caractère symptomatique ou asymptomatique des sténoses carotides (SC) est liée aux études sur la chirurgie carotidienne.

Initialement une sténose carotide était définie comme asymptomatique si sans aucun antécédent de séméiologie neurologique ou oculaire attribuable (étude VA) ou aucun antécédent de séméiologie neurologique ou oculaire attribuable dans le territoire carotide concerné (études Casanova et ACAS).

Puis l’étude ECST (1981-94) a défini une sténose carotide symptomatique comme avec AIT, infarctus rétinien ou AVC non-invalidant dans le territoire carotidien homolatéral dans les 6 mois précédents l’inclusion et l’étude NASCET (1987-1997) comme AIT, CMOT (Cécité Monoculare Transitoire)  AVC non-invalidant dans le territoire carotidien homolatéral dans les 4 mois précédents l’inclusion.

Il est important de noter qu’il ne s’agit que de déficit focalisé : vertige isolé, malaise, syncope, toute séméiologie non-hemisphérique ne sont pas pris en compte, il en est de même des infarctus silencieux en imagerie cérébrale.

Suite à l’étude ACST (1993-2003), une sténose carotide asymptomatique a été définie par opposition à une sténose symptomatique.

Une sténose carotide asymptomatique est donc définie comme sans aucun antécédent neurologique déficitaire focalisé, hémisphérique ou oculaire, dans le territoire homolatéral à la sténose dans les 4 à 6 mois précédents.

Le délai de 4 à 6 mois pourrait actuellement être réduit à 6 sem.

*Carotide est à la fois adjectif qualificatif et nom commun.


Question 2 : Dans quelles circonstances doit-on rechercher une sténose carotidienne asymptomatique ?

st car3

Sujet polémique ! L’USPSTF (US Preventive Services Task Force Recommendation Statement) a réitéré en 2021 son opposition de 2014 au dépistage de sténose carotide en se prononçant against. L’American Heart Association (AHA) et l’American Stroke Association (ASA) ont fait de même.

Certes,il s’agit de dépistage en population générale mais les trois raisons majeures de cette opposition sont

  • La cascade d’examens lorsque le 1er examen n’est pas jugé suffisamment crédible (problème de l’écho-Doppler « opérateur-dépendant ») ou lorsque le 1er examen (en général l’écho-Doppler) est systématiquement vérifié par une artériographie dès lors qu’il n’est pas normal ou lorsqu’il est seulement demandé à l’écho-Doppler des critères de vitesse systolique de sténose « ≥ 50% » auquel cas une artériographie est réalisée pour décider de la suite (position radiologique).

  • La iatrogènie liée aux actes inutiles etsurtout le fait que dans la vraie vie le taux de complications opératoires est assez souvent supérieur au maximum de 3% requis pour pratiquer la chirurgie ou le stenting pour sténose carotide asymptomatique (et encore ces 3% datent d’études anciennes, maintenant ce devrait être < 1.5%).

  • Le fait qu’il n’y a pas de bénéfice prouvé à la chirurgie ou au stenting préventif pour les sténoses carotides asymptomatiques (tout particulièrement chez la femme). Les dernières données sont celles de l’étude SPACE-2 interrompue prématurément à 513 patients pour recrutement trop lent. Dans cette étude le taux d’AVC et décès post-opératoires (chirurgie ou stenting) était de 2.5%, et à 1 an il n’y avait pas de différence dans le critère d’évaluation principal (tout AVC et décès à 30 j. + AVC ischémique ipsilatéral à 5 ans) : 2.5% pour l’endartériectomie, 3% pour le stenting, 0.9% pour le traitement médical optimal (Chaturverdi, jama neurol. Fev. 2021).

stent C int

Il faut se poser la question du pourquoi intervenir préventivement par chirurgie ou stenting sur une sténose carotide asymptomatique : pour prévenir un AVC ischémique fatal ou invalidant !

Les AIT ont pu être inclus dans certaines études, mais si l’AIT est un très bon signe d’alerte, la prévention par chirurgie ou stenting des AIT n’a pas d’intérêt puisque par définition la durée de la séméiologie est < 24h.

Prévenir par chirurgie ou stenting un AVC ischémique fatal ou invalidant n’est pas évident. En effet la sténose carotide est marqueur de risque cardio-vasculaire, marqueur de risque d’AVC toute cause, marqueur de risque d’AVC ischémique homo ou bilatéral, facteur d’AVC ischémique homolatéral. Même en cas de sténose carotide 70-99%, 20% des AVC dans le territoire d’une sténose dite symptomatique et 45% des AVC dans le territoire d’une sténose asymptomatique sont sans rapport avec la sténose carotide en question.

Au total, les sténoses > 50% diamètre et oblitérations ACI sont jugées responsables d’environ 10% des AVC ischémiques (ESVS Guidelines, Naylor AR et al. Eur J Vasc Endovasc Surg 2018 Jan; Mas JL Académie Médecine 2019 Oct; Chatuverdi S. et al. F1000Research 2020 Aug)

Le patient avec sténose carotide est souvent polyvasculaire (connu ou non). Il existe une corrélation positive entre sévérité des sténoses carotides et sévérité des lésions coronaires (que la sténose carotide soit symptomatique ou non). L’HTA est facteur de risque de sténose carotide, d’infarctus lacunaire, d’AVC cardio-embolique, d’AVC hémorragique. Le tabagisme est facteur de risque d’AVC ischémique et d’AVC hémorragique … 10% des patients avec sténose carotide ont une FA, 10% des patients avec FA ont une sténose carotide (Noubiap et al, Am J Cardiol 2020).

Ainsi pour prévenir les AVC il est bien plus rentable d’agir sur les facteurs de risque !

Un exemple avec le tabagisme est particulièrement impressionnant. Si la prévalence du tabagisme de l’adulte USA était réduite de 1%, dès la première année seraient épargnées 924 hospitalisations pour infarctus du myocarde, 538 hospitalisations pour AVC (Stroke), 190 décès pre-hospitaliers, 44 millions US$ 1995. Pour parvenir au même résultat pour les seuls AVC, sur base ACAS-ACST, il faudrait opérer 46.000 sténoses carotides asymptomatiques … après avoir dépisté environ 1.000.000 de sujets/patients haut risque ! (Hankey GJ. Journal of Cardiovascular Risk 1999. Lightwood JM, Glantz SA. Circulation 1997).

Enfin n’oublions pas que passé un certain âge, l’âge lui-même est le facteur de risque principal, d’où l’intérêt du maintien d’une bonne hygiène de vie et d’une activité physique.

Le dépistage des sténoses carotides asymptomatiques ne se discute que si les règles du traitement médical optimal sont appliquées et respectées. Chercher à dépister une sténose carotide asymptomatique chez un patient tabagique actif hypertendu non-contrôlé n’a pas de sens.

Si la prévention médicale de l’athérosclérose est bien conduite, si on maitrise la qualité des examens et de la suite qui leur est donnée, il peut être raisonnable de dépister des lésions carotides chez le patient asymptomatique présentant un souffle carotidien (Guidelines communs à 22 sociétés de Cardiologie et Neurologie) ou chez les patients avec facteurs de risque multiples ou avec une artériopathie des membres inférieurs connue ou toute affection cardio-vasculaire (Society for Vascular Surgery) dans l’idée d’affiner la quantification du risque cardio-vasculaire et d’identifier les sténoses carotides asymptomatiques à haut risque neuro-vasculaire ischémique homolatéral, on y reviendra plus loin.

Pour ceux qui aiment encore l’examen clinique, le souffle cervical systolique strident ou le souffle continu systolo-diastolique fin, feutré sont en règle le fait d’une sténose très serrée sous-jacente.

Tu peux me dire que j’ai oublié le classique dépistage pré-opératoire des sténoses carotides (chirurgie cardiaque, chirurgie lourde non-cardiaque) : les études récentes montrent que -la majorité des AVC post-op surviennent en l’absence de sténose carotide ou ne peuvent pas être attribués à une sténose carotide asymptomatique préalable, -en cas de sténose carotide unilatérale les AVC sont autant ipsilatéraux que controlatéraux à la sténose. Au total ce dépistage pré-op ne semble plus justifié.

Pour mémoire la prévalence des sténoses carotides ≥ 50% diamètre en population générale augmente de façon exponentielle avec l’âge : de l’ordre de 1% dans la tranche 50-59 ans, de l’ordre de 8% pour les 80 ans et plus.

En France cela donne environ 750.000 personnes avec une sténose ≥ 50% et 220.000 avec une sténose ≥ 70% (J.L. Mas).

 

Question 3 : Le traitement médical complet ou BMT joue un rôle important dans la gestion thérapeutique des sténoses carotidiennes en général et notamment en cas de sténose asymptomatique, jusqu’à quel degré de sténose ?

Réponse courte, le traitement médical optimal (TMO) ou Best Medical Treatment (BMT) joue un rôle majeur dans la gestion, dans le traitement des sténoses carotides, qu’elles soient asymptomatiques ou symptomatiques, et ce quel que soit le degré de sténose.

Les études princeps sont en partie périmées parce que le traitement médical a fait un bond avec l’arrivée des statines, la prise en compte plus rigoureuse de l’HTA et la « découverte » du rôle majeur de l’hygiène de vie. Le traitement médical peut réduire une sténose mais ne la fait pas disparaitre. Son rôle est dans la prévention des complications de la plaque ou de la sténose carotide, dans la lutte contre le passage de l’athérosclérose à l’athérothrombose et ce quel que soit le siège des lésions (c’est là un atout majeur, la prévention primo-secondaire des accidents liés à la sténose carotide,c’est aussi la prévention des AVC dans leur ensemble, la prévention des accidents coronaires, la prévention des complications de l’artériopathie des membres inférieurs, …).

Le TMO ne se limite pas à une ordonnance standardisée délivrée à la va vite en fin d’examen. Il faut expliquer en détail les enjeux et les modalités au patient, bien lui préciser qu’il s’agit d’un traitement au long cours, au besoin on complètera en demandant au patient de revenir pour un entretien spécifique.

Outre l’arrêt définitif du tabagisme, une activité physique régulière, une alimentation de type méditerranéen et la lutte contre le surpoids ou l’obésité, ce traitement inclue une statine au long cours (en ciblant LDL < 1 voire < 0.7 g/L, voire < 0.5 g/L, un antiplaquettaire au long cours (en général aspirine 75-325 mg), le contrôle strict de la pression artérielle (PA < 140/90 mm Hg), et le traitement d’un diabète éventuel (HbA1c < 7%). L’adhérence au traitement doit être testée à chaque consultation.

Il importe aussi d’expliquer au patient les symptômes et signes d’AIT ou de CMOT pour qu’il consulte rapidement en cas de survenue.


Question 4 : A partir de quel degré de sténose asymptomatique doit-on envisager un traitement chirurgical

A la suite de l’étude ACAS (1987-1993), le seuil d’indication opératoire était sténose > 60% (plus petit diamètre luminal vs diamètre luminal de l’ACI distale où les parois sont parallèles). Il est monté à 70% avec l’étude ACST (1993-2003).

Actuellement le degré de sténose n’est plus que la 1ère étape du diagnostic. Il faut ensuite préciser les caractères de la sténose tant au point de vue du risque thrombo-embolique que du risque hémodynamique.

En effet, l’ensemble des études suggère que, sous traitement médical optimal (TMO), le risque annuel d’AVC ischémique homolatéral à une sténose carotide asymptomatique se situe actuellement entre 0,5 et 1 % / an. Si le TMO est appliqué et si on est logique, la place pour une indication opératoire est restreinte.

Il faut aussi prendre en compte l’espérance de vie du patient, une espérance de vie > 5 ans est un critère dans l’indication opératoire pour sténose carotide asymptomatique et ce quel que soit l’âge du patient (ESVS guidelines 2018).

Maintenant je ne suis pas naïf, des guidelines à la vraie vie, d’autres critères sur lesquels je ne m’étendrai pas interviennent dans les indications opératoires. Les taux d’interventions pour sténose carotide asymptomatique parmi l’ensemble des interventions pour sténose carotide laissent perplexe : 90% aux USA, 65-70% en Italie et en France, 40-45% en Hongrie et en Suisse, 33% en Australie, 15-25% en Finlande, Norvège, Suède et Royaume-Uni, 0% au Danemark ! (données 2004-2010).

Question 5 : Quels sont les paramètres de vulnérabilité de la sténose dont on dispose. Est-ce que la vulnérabilité de la plaque est aujourd’hui un paramètre important décisionnel ?

Je n’aime pas trop ce terme de vulnérabilité de la plaque ou de la sténose. Vulnérable « qui est exposé à recevoir des coups, qui est exposé aux atteintes de la maladie, … », alors que là ,c’est l’inverse , c’est la plaque ou la sténose qui est l’agresseur pour le cerveau. Tu veux parler de l’identification des lésions carotides probablement à plus haut risque d’être responsable d’un AVC ischémique. Cinq pistes ont été retenues (toutefois sur des études portant sur de faibles effectifs) :

1- Patients avec infarctus cérébral silencieux,
2- Progression sténosante de la lésion,
3- Risque thrombo-embolique,
4- Risque hémodynamique et .....peut-être
5- Marqueurs biologiques ?

La présence d’un infarctus cérébral non-lacunaire asymptomatique dans le territoire de l’ACI sténosée est retenue in ESVS Guidelines 2018 (RR 3 - IC95% 1.46-6.29, p 0,002).

L’évolution sténosante de la lésion (plaque, sténose) est lente, une progression « rapide » est a priori le fait d’un hématome intra-plaque ou d’un thrombus. Pour les sténoses 50-99% stables le taux annuel d’AVCi, le risque, double avec la progression de la sténose dans une étude multicentrique observationnelle, l’augmentation du risque est plus net si la sténose progresse franchement rapidement RR 4,7 (95%IC: 2,3-9,6) dans un RCT multicentrique. Mais tout cela dépend de par qui et comment est fait le suivi, c’est surtout valable si c’est le même examinateur et si la rapidité d’évolution est appréciée sur un graphique.

HITS2L’évaluation du risque thrombo-embolique repose sur plusieurs paramètres
 : l’échostructure de la lésion (an-hypoéchogène, hypoéchogène-hétérogène) d’autant plus précise que l’on dispose d’un support informatique, la vascularisation de la lésion en écho de contraste, la détection de micro-embols ou HITS du côté de la lésion (monitoring Doppler trans-crânien). En imagerie radiologique, analyse de la lésion en IRM de haute définition (la référence actuelle), le volume de la lésion en CT (risque proportionnel à la surface et au volume). Dans une méta-analyse le risque annuel d’AVCi pour les sténoses 50-99% diam est de 4.2% lorsque la sténose est à dominante anéchogène/hypoéchogène versus 1.6% lorsque la sténose est à dominante échogène. Dans une autre méta-analyse la détection de HITS augmente le risque annuel d’AVCi avec un OR à 2,61 (p 0,001). Dans une étude multicentrique, le risque annuel d’AVCi des sténoses 70-99% uniformément anéchogène/hypoéchogène avec détection de HITS du côté de la sténose est de 8.9% vs 0.8% dans le cas contraire.

L’évaluation du risque hémodynamique est assez facile en écho-Doppler si on veut bien s’en donner la peine avec la combinaison des critères suivants :
- mesure comparative des index de résistance au niveau des carotides communes (I.Vi),
- mesure comparative des débits carotidiens (en TAMV sur les ACC),
- évaluation comparative des signaux sylviens (amplitude et temps de montée),
- évaluation de la vasoréactivité cérébrale (par blocpnée-hyperpnée en 1ère intention, par test au CO2 en 2ème intention).

Le maintien du débit ACC malgré une sténose très serrée indique a priori une vasodilatation cérébrale pour compenser un défaut de suppléance par le polygone de Willis ; l’augmentation du temps de montée des signaux ACM et l’abolition unilatérale de la vasoréactivité cérébrale indique que la sténose ACI est mal suppléée. L’écho-Doppler cervical et transcrânien fait à mon sens mieux plus facilement et mieux le diagnostic de sténoses pseudo-occlusives de l’ACI que l’angio-MR ou l’angio-CT (la référence était l’artériographie conventionnelle numérisée avec les critères NASCET-Rothwell). Il est important de savoir faire ce diagnostic de sténose pseudo-occlusive (c’est-à-dire qui se comporte comme une occlusion complète) car c’est la sténose hyper-serrée de l’origine de l’ACI pour laquelle le bénéfice de la chirurgie est marginal à 2 ans et nul à 5 ans.

Des marqueurs biologiques sont en cours d’évaluation, l’hs-CRP apparait en bonne place.

 

Question 6 : Sténose asymptomatique de la carotide et occlusion controlatérale de la carotide : quelle est la conduite à tenir et en fonction de quel degré de sténose

Le sujet est en pleine révision, les études récentes (Patel P.B. et al, J Vasc Surg 2018 juin ; Turley R.S. et al, J Vasc Surg 2019 sept ; Schneider J.R. et al ,J Vasc Surg 2020 mars) montrent que le patient avec sténose carotide asymptomatique et occlusion de l’ACI controlatérale asymptomatique n’est pas très différent du patient sans occlusion ACI tant au plan de son risque spontané d’AVCi que de son risque opératoire. En fait on retombe dans les éléments discutés dans la question précédente. Ici il est probable que celui qui a oblitéré une ACI de façon asymptomatique a un bon polygone de Willis.

 

Question 7 : Où en est l’étude ACTRIS (sténose carotide asymptomatique vs traitement médical) ? Que penses-tu de l’étude récente ACST-2 trail (sténose carotide asymptomatique, chirurgie vs stenting) ?

Toutes les études avec un bras TMO ont du mal à inclure. Avant de parler d’ACST-2 et d’ACTRIS, il faut parler de SPACE-2.

SPACE-2 est une étude Allemagne-Autriche-Suisse avec 3 bras parallèles randomisés à égalité (TMO seul vs Endartériectomie carotidienne + TMO vs Stenting carotidien + TMO). Il était prévu d’inclure 3.000 patients, le critère principal d’évaluation était « taux cumulé de décès et tout AVC à 30j. post-op + taux d’AVC ischémique homolatéral à 5 ans ». Puis devant la difficulté à inclure, il a été décidé de faire 2 études « TMO seul vs EAC + TMO » et « TMO seul vs Stenting + TMO ». Malgré cela, l’étude a été arrêtée au bout de 5 ans pour défaut de recrutement alors qu’il n’était pas encore noté de différence significative entre les groupes. Les raisons de la difficulté à inclure interpellent : « SPACE-2 a conclu que le recrutement a largement échoué parce que (1) de nombreux cliniciens non expérimentés pensaient que les interventions étaient justifiées chez la majorité des patients asymptomatiques, (2) les patients initialement référés pour intervention ne voulaient pas être randomisés dans le bras TMO seul ; (3) le stenting était déjà remboursé dans les pays recruteurs pour le traitement de patients asymptomatiques en dehors de l'essai ; et (4) la randomisation TMO seul signifiait une perte de revenu pour les hôpitaux, les chirurgiens et les interventionnistes.». L’amertume des auteurs et les commentaires de Naylor (in EJVES juin 2016) font peine, difficile d’occulter le fait que la sténose carotide asymptomatique est aussi un business !!

L’étude ACTRIS est une étude française comparant TMO seul vs Endartériectomie + TMO chez 700 patients ayant une espérance de vie > 5 ans et jugés à haut risque sur les critères décrits plus haut (Sténose > 70% NASCET avec au moins 1 des facteurs de risque suivant : Progression rapide de la sténose, Sténose hypoéchogène, Détection de HITS, Hématome intra-plaque en IRM, Infarctus cérébral silencieux de type embolique du côté de la sténose, Antécédent d’infarctus cérébral ou d’AIT du côté opposé). Des collègues nous disent inclure des patients, mais on n’a pas d’information et sur le site ClinicalTrials.gov l’étude est donné comme « Not recruiting » alors qu’elle a débuté en 2019. Personnellement je n’aurais pas considéré avec sténose carotide asymptomatique jugée à haut-risque mais au contraire les patients avec sténose jugée à bas risque neuro-vasculaire ipsilatéral.

L’étude ACST-2 est une étude multicentrique européenne 2008-2020 dont les résultats viennent d’être publiés dans le Lancet . Elle a inclus 3.625 patients avec sténose carotide asymptomatique > 60% randomisés,  endartériectomie carotidienne vs stenting carotidien. Le traitement médical n’a pas été investigué, il était supposé optimal pour la majorité des patients.

A  J30, l’item « tout AVC ou décès » était de 2.7% dans le groupe endartériectomie vs 3.8% dans le groupe stenting, l’item « AVC invalidant ou décès » était de 0.9% dans le groupe endartériectomie vs 1% dans le groupe stenting ; le risque d’infarctus du myocarde était un peu plus élevé dans le groupe endartériectomie.

A 5 ans, l’item « tout AVC ou décès » était de 7% dans le groupe endartériectomie vs 8.6% dans le groupe stenting, l’item « AVC invalidant ou décès » était de 4.5% dans le groupe endartériectomie vs 5.3% dans le groupe stenting.

Au congrès ESC les résultats ont été présentés : morbidité-moralité à j30 1% dans les deux groupes, à 5 ans AVC invalidant ou fatal non-liés à la procédure 2.5% dans les deux groupes, tout AVC non-lié à la procédure 4.5% dans le bras chirurgie et 5.2% dans le bras stenting.

Il a été conclu que les deux procédures affichaient les mêmes résultats.

Il est probable qu’on aille vers des résultats identiques entre endartériectomie et stenting (sauf peut-être chez la femme et le sujet très âgé) mais tout semble fait pour privilégier le stenting.           

 

Dernière question : carte blanche vers le futur.

Je crois avoir déjà laissé transpirer mes sentiments. Comme titrait R. Naylor dans le J Vasc Surg de juin 2009 « Who benefits most from intervention for asymptomatic carotid stenosis: patients or professionals? »

Les études princeps ont été menées pour défendre la chirurgie et valider un degré de sténose seuil d’indication opératoire. Le patient avec sténose carotide asymptomatique, comme le patient avec un petit anévrisme de l’aorte asymptomatique, est victime de la notion de seuil d’indication opératoire. La chirurgie, comme le stenting maintenant, étant perçu comme le traitement le patient dont la lésion carotide est dite non-chirurgicale est renvoyé au suivi en imagerie jusqu’à ce que la sténose soit déclarée « chirurgicale », dans ce schéma le traitement médical passe souvent aux oubliettes.

Pourtant le TMO actuel, s’il est bien appliqué et suivi, est la clef de voute de toute la prise en charge de ces patients avec sténose carotide asymptomatique. Un faible pourcentage de ces patients relèvent de la chirurgie ou du stenting carotidien. Cela veut dire qu’il faut identifier ces patients avec une bonne fiabilité ; non seulement une bonne fiabilité mais, compte-tenu de la prévalence élevée de ces lésions, avec des moyens et des praticiens faciles d’accès.

L’écho-Doppler cervical et transcrânien a un rôle majeur à jouer mais à condition qu’on arrête de dire  «ah mais, c’est opérateur-dépendant ! », à condition que le but de cet examen aille bien au-delà de sténose < ou > 50%, à condition qu’on sache utiliser toutes les possibilités de l’EDC et de l’EDTC pour dire risque standard ou haut-risque neurovasculaire ipsilatéral.

Dans le cas contraire je crois que l’EDC n’aura bientôt, n’a peut-être déjà, plus d’intérêt dans les sténoses carotides asymptomatiques.

Enfin si demain on se met véritablement à vouloir faire des économies de santé, peut-être qu’on misera tout sur le TMO chez les patients avec des facteurs de risque vasculaires, avec un traitement gradué en fonction du risque, sans chercher à savoir si les patients ont telles ou telle lésions ou sténoses.

F. Becker 21/10/2021

Merci François d'avoir abordé cette question importante de manière détaillée et documentée, as usual ....