Riete EXPRESS : MTEV/CANCER/IR


“Il faut prendre des risques, il faut toujours prendre des risques. Mais l'attente comporte aussi un risque.” Paul Desmarais

Sigüenza P, López Núñez JJ, Falga Tirado C, Gómez-Cuervo C, Riera-Mestre A, Gil-Díaz A, Verhamme P, Montenegro AC, Barbagelata-López C, Imbalzano E, Monreal M. Enoxaparin for the long-term therapy of venous thromboembolism in patients with cancer and renal insufficiency.
Énoxaparine pour le traitement à long terme de la thromboembolie veineuse chez les patients atteints de cancer et d'insuffisance rénale
Thromb Haemost. 2023 Oct 13. doi: 10.1055/a-2191-7510. Epub ahead of print. PMID: 37832588.

Contexte

Le traitement optimal de la thromboembolie veineuse (MTEV) chez les patients cancéreux présentant une insuffisance rénale (IR) est inconnu. Les directives actuelles recommandent d'utiliser l'héparine de bas poids moléculaire plutôt que les anticoagulants oraux directs pour traiter la MTEV chez les patients cancéreux à haut risque de saignement.
 
Méthodes

Nous avons utilisé le registre RIETE pour comparer les taux d'incidence sur 6 mois :
1) des récidives de MTEV par rapport aux hémorragies majeures
2) embolie pulmonaire (EP) mortelle par rapport aux saignements mortels dans 3 sous-groupes (ceux présentant une IR légère, modérée ou sévère) de patients cancéreux recevant une monothérapie par énoxaparine.

Résultats

Rappel
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IR légère : clairance 60-89, IR STADE 2
IR modérée : clairance 30-59 , IR STADE 3A/3B
IT sévère ; clairance < 30 , IR STADE 4

De janvier 2009 à juin 2022, 2 844 patients atteints d’IR ont reçu de l’énoxaparine pendant ≥ 6 mois : 1 432 (50 %) avaient une IR légère, 1 168 (41 %) modérée et 244 (8,6 %) avaient une IR sévère. Dans l'ensemble, respectivement 68 %, 62 % et 12 % ont reçu les doses recommandées. Parmi les patients présentant une IR légère, les taux de récidives de TEV par rapport aux saignements majeurs (4,6 % contre 5,4 %) et d'EP mortelle par rapport aux saignements mortels (1,3 % contre 1,2 %) étaient similaires. Parmi les patients présentant une IR modérée, les récidives de MTEV étaient deux fois moins fréquentes que les hémorragies majeures (3,1 % contre 6,3 %), mais l'EP mortelle et l'hémorragie mortelle étaient proches (1,8 % contre 1,2 %). Parmi les patients présentant une IR sévère, les récidives dMTEV étaient 3 fois moins fréquentes que les hémorragies majeures (4,1 % contre 13 %), mais les EP mortelles étaient 3 fois plus fréquentes que les hémorragies mortelles (2,5 % contre 0,8 %).
 
Au cours des 10 premiers jours, les PE mortelles étaient 5 fois plus fréquentes que les hémorragies mortelles (2,1 % contre 0,4 %).

IREN11
Cumulative incidence rates of VTE recurrences, major bleeding, fatal 
pulmonary embolism or fatal bleeding in patients with mild renal insufficiency.

IREN2
IREN3
 
IREN4
Conclusions

Parmi les patients cancéreux présentant une IR sévère, l'EP mortelle était 5 fois plus fréquente que l'hémorragie mortelle. Les doses recommandées d'énoxaparine chez ces patients doivent être revues.

Pour en savoir plus sur IR et MTEV

L. Bertoletti, Rein et maladie thromboembolique veineuse : que nous apprend le registre RIETE ?, JMV-Journal de Médecine Vasculaire, Volume 45, Supplement,
2020,

Objectifs

La prise en charge de la maladie thromboembolique veineuse (MTEV) nécessite la prise en compte de la fonction rénale pour les modalités diagnostiques et thérapeutiques. Le registre RIETE a permis de produire des données importantes concernant ces interactions.

Matériel et méthode

Le registre RIETE est le plus grand registre clinique en cours dans le domaine de la MTEV. Il y est renseigné, entre autres, les antécédents du patient, les caractéristiques de la prise en charge initiale (diagnostique et thérapeutique), ainsi que l’évolution, au minimum pour 3 mois.
Nous avons étudié successivement l’impact du choix de la formule d’estimation de la fonction rénale chez les patients avec une insuffisance rénale sévère, la fréquence de l’insuffisance rénale aiguë (IRA) à la prise en charge de l’embolie pulmonaire (EP), et l’impact de l’existence d’une insuffisance rénale sur les modalités de diagnostic de l’EP.
 
Résultats

Les deux principales formules définissant l’existence d’une insuffisance rénale sévère n’individualisent pas les mêmes populations. La formule de Cockroft–Gault individualise une population âgée de faible poids corporel, quand la formule de CKD-EPI individualise une population moins nombreuse, plus jeune et de poids normal. Cependant, ces deux groupes sont à haut risque d’hémorragie majeure à 3 mois.
À la phase aiguë de l’EP, un tiers des patients présente une IRA définie selon les recommandations internationales KDIGO, cette proportion augmentant avec la sévérité de l’EP. La présence d’une IRA augmente le risque de décès ou d’hémorragie majeure à 3 mois.
 
La place de la scintigraphie pulmonaire dans le diagnostic de l’EP a diminué progressivement au cours des dernières années, pour se stabiliser à un taux plancher. L’existence d’une insuffisance rénale reste le principal facteur indépendamment associé à un diagnostic scintigraphique d’EP.
 
Conclusion
Les données récentes obtenues grâce au registre RIETE ont permis de confirmer que la scintigraphie pulmonaire restait l’examen clé dans le diagnostic d’EP chez le patient insuffisant rénal, de nous apprendre qu’un tiers des patients avec EP présentait une IRA, et que le choix de la formule utilisée pour définir l’existence d’une insuffisance rénale sévère conduisait à individualiser des populations différentes. Dans tous les cas, l’existence d’une insuffisance rénale impacte la prise en charge diagnostique et thérapeutique de la MTEV.

Oncologie et insuffisance rénale

La prévalence de l’insuffisance rénale est élevée chez les patients atteints de cancer.
En France, les études IRMA 1 et 2 (Insuffisance Rénale et Médicaments Anticancéreux) ont estimé le débit de filtration glomérulaire (DFG) de plus de 10 000 patients atteints de cancer [1,2]. Plus de la moitié de ces patients avaient un DFG inférieur à 90 ml/min/1,73m², soit 52,9% et 50,2% respectivement dans IRMA-1 et IRMA-2, et 12,0% et 11,8% avaient un DFG inférieur à 60 ml/min/1,73m², correspondant au stade 3 de la maladie rénale telle que définie par les recommandations internationales 
 
Dans une analyse réalisée à partir d’une banque de données australienne regroupant 4077 patients atteints de cancers, 30 % d’entre eux présentaient un DFGe de 45 à 59 mL/min/1,73 m² et 8,3 % présentaient un DFGe de <45 mL/min/1,73 m² .
 
Chez les patients atteints d’un cancer du rein, cette prévalence s’élevait à 87% et 26% pour des DFG inférieurs à 90 et 60 ml/min/1,73m² respectivement, dans une cohorte de 662 patients ayant une tumeur corticale en attente de néphrectomie partielle ou totale [

Une étude de cohorte basée sur la population coréenne a comparé 824 365 patients nouvellement diagnostiqués pour un cancer et 1 648 730 patients ne présentant pas de cancer. Les sujets ont été appariés selon l’âge, le sexe, le DFGe, l’hypertension et le diabète. Le cancer et en particulier le myélome multiple, la leucémie, le lymphome, le cancer rénal, le cancer des ovaires et du foie étaient associés significativement à un risque accru de survenue d’insuffisance rénale nécessitant une dialyse
 
D’autres études en Belgique au Japon et aux Etats-Unis ont également mis en évidence une prévalence élevée d’insuffisance rénale définie par un DFG inférieur à 60 ml/min/1,73m², de 16,1% à 25,0% des patients porteurs de différents types de tumeurs solides.

Par ailleurs, l’incidence des cancers est élevée chez les patients insuffisants rénaux. En effet, dans une cohorte de 3654 participants, il a été montré que les hommes ayant une insuffisance rénale de stade 3 avait un risque significativement plus élevé de cancer, et ce, dès 55 ml/min/1,73m². Ce risque augmentait de 29% à chaque diminution de 10 ml/min/1,73m² de DFG 

Le taux de survie est également plus faible chez les patients insuffisants rénaux atteints de cancer. Dans l’étude IRMA-2, les patients insuffisants rénaux avec un DFG inférieur à 60 ml/min/1,73m² lors de l’inclusion avaient un taux de mortalité accru de 27% et 43%, selon que l’on se plaçait dans la population générale où celle porteuse de tumeurs non métastatiques 

D’autres études au Japon et en Corée ont également rapporté que l’insuffisance rénale était associée à un taux de survie plus bas chez les patients atteints de cancer .

L’étude coréenne a montré que l’insuffisance rénale était un facteur prédictif indépendant de mortalité liée au cancer, avec un taux de mortalité augmentant plus le DFG diminuait [8]. Ce taux de survie plus bas observé chez les patients insuffisants rénaux atteints de cancer peut s’expliquer par une morbi-mortalité cardiovasculaire plus élevée chez ces patients, comme cela a été démontré dans la population générale , ainsi que par un mauvais maniement des chimiothérapies chez ces patients . Une autre étude confirme également qu’un DFGe <60 mL/min/1.73m² est un facteur de risque significatif de survenue de décès en particulier pour les cancers urinaires et du sein 

Ainsi, l’évaluation de la fonction rénale est essentielle en oncologie, afin d’adapter la posologie des chimiothérapies pour garantir une balance bénéfice/risque favorable .

Une bonne connaissance des médicaments à risque de néphrotoxicité ainsi que les mesures de prévention est également indispensable, quel que soit le niveau de fonction rénale


https://sitegpr.com/fr/rein/en-savoir-plus/oncologie-et-insuffisance-renale/

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https://medvasc.info/archives-blog/irc-et-anticoagulants